Aujourd'hui, de nombreux États sont impliqués dans la "guerre contre le terrorisme". Dans ce contexte, l'hôpital fait désormais partie intégrante du champ de bataille. Si les structures médicales ont toujours été prises pour cible de manière inacceptable en temps de guerre, la nature des conflits évolue constamment. Ce qui est nouveau, c'est que la guerre contre le terrorisme a créé un cadre légal et moral qui justifie une telle conduite.
Depuis un an, des hôpitaux de MSF et des infrastructures soutenues ont été attaqués en Afghanistan, en Syrie et au Yémen. Dans chacun de ces pays, des coalitions militaires internationales soutiennent l'État dans sa lutte contre un ennemi criminalisé ou qualifié de terroriste. La majorité des hôpitaux de MSF et infrastructures soutenues qui ont été frappés se trouvaient dans des zones contrôlées par ces groupes "ennemis".
Combat de l'humanitarisme médical contemporain
La volonté de dispenser des soins de santé impartiaux dans le cadre des conflits liés à l'antiterrorisme peut avoir des conséquences fatales. Les soins de santé sont pris pour cible à travers des attaques directes ainsi qu'à travers des mesures indirectes comme les sièges et les sanctions. Nous constatons que les attaques des soins de santé sont souvent justifiées comme une "erreur" ou une conséquence malheureuse d'une guerre contre un ennemi soi-disant impossible à distinguer des civils qui l'entourent.
Cette situation est liée au principe au coeur de l'humanitarisme et de l'éthique médicale : l'impartialité. Le personnel médical ne devrait jamais avoir à décider de dispenser ou non un traitement sur la base de l'affiliation politique, militaire, religieuse ou autre d'un patient. Dans un contexte où tout le monde est le terroriste de quelqu'un, une offre de traitement médical motivée uniquement par les besoins réduit le risque que les actes médicaux ne servent des intérêts politiques et militaires, ce qui serait dangereux.
Dans ces contextes, défendre la capacité des travailleurs de la santé à traiter ceux qui sont qualifiés de "terroristes" revient à empêcher que l'éthique médicale ne soit sapée par ceux qui cherchent à soumettre tout acte d'humanité aux intérêts politiques et militaires. En effet, alors que la guerre contre le terrorisme s'étend, être capable de fournir des traitements à ceux qui ont été désignés comme des "terroristes" pourrait bien être le combat marquant de l'humanitarisme médical contemporain.
Soutien à l'État ou à l'ennemi ?
L'aide humanitaire est souvent alignée sur les intérêts politiques et militaires des principaux États donateurs, ce qui donne le ton quant au type d'assistance considéré comme acceptable.
L'aide humanitaire est souvent alignée sur les intérêts politiques et militaires des principaux États donateurs,...
Par exemple, l'Etat Islamique, Boko Haram, les talibans pakistanais, le groupe Al-Shabbaab et d'autres mouvements désignés par les États-Unis et leurs alliés comme des "organisations terroristes" contrôlent des territoires de différentes tailles à travers le monde et sont visés par des frappes aériennes, des attaques de drones et des opérations des forces spéciales. Dans ces contextes, l'aide humanitaire est confrontée à un cadre juridique antiterroriste de plus en plus important, qui cherche à criminaliser la large notion de "soutien matériel au terrorisme". Ce cadre définit les limites de ce qui est considéré comme une forme acceptable d'aide humanitaire. Des limites qui entrent souvent en contradiction avec l'offre impartiale d'assistance basée exclusivement sur les besoins.
Comment cela se traduit-il sur le terrain ? En Afghanistan, ainsi que dans d'autres contextes, des hôpitaux sont attaqués et des patients arrêtés, sous prétexte d'appliquer la loi, et ce, souvent sans mandat d'arrêt et sans suivre le processus légal réglementaire. En temps de conflit, élargir une opération d'application de la loi à un hôpital en arrêtant des combattants blessés, désignés comme des "criminels", au titre du droit national, porte atteinte à la neutralité des infrastructures médicales. Au bout du compte, quand les acteurs humanitaires essayent d'opérer dans des zones contrôlées par l'ennemi, ils sont susceptibles d'être pris pour cible ou soumis à des contraintes d'accès au niveau politique.
"Erreurs" en cours
Une fois que les travailleurs de la santé ont dépassé la limite de ce qui est considéré comme une forme acceptable d'assistance humanitaire, les hôpitaux sont attaqués de nombreuses manières. Certaines des attaques directes les plus récentes sur les soins de santé ont été menées par des États qui bombardent sans discrimination des quartiers et communautés entiers dans le cadre de leurs opérations antiterroristes. En Syrie, les hôpitaux constituent des cibles directes, tout comme les écoles, places de marché et boulangeries. Dans d'autres contextes, comme à Gaza, les attaques contre les hôpitaux sont justifiées par un flou juridique croissant à travers lequel les hôpitaux sont considérés comme des boucliers humains pour des personnes qualifiées de "terroristes".
Le bombardement de l'hôpital de MSF à Kunduz, Afghanistan, en octobre 2015 illustre bien les défis plus larges auxquels est confronté l'humanitarisme médical dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. MSF a été attaquée par les forces spéciales américaines, qui opéraient en soutien à l'État afghan, alors que notre infrastructure médicale se trouvait dans un territoire contrôlé par un ennemi. Les Américains ont réagi en affirmant que le bombardement était une erreur, ce qui leur a permis d'échapper à toute conséquence juridique significative et d'évincer commodément les forces afghanes du tableau.
Qu'elle soit bombardée intentionnellement ou frappée par erreur, l'aide humanitaire dans le contexte de la lutte contre le terrorisme est susceptible d'être attaquée lorsqu'elle franchit les limites de ce que l'État et ses bailleurs internationaux considèrent comme acceptable, et quand la distinction entre civils et combattants est brouillée.
Et après ? Quatre scénarios
Quelles sont les implications pour une organisation comme MSF ? Dans le premier scénario, nous parvenons à un accord négocié nous permettant d'opérer en toute impartialité dans des conflits caractérisés par des opérations anti-terroristes. Cela inclut la possibilité, pour nous, de traverser d'éventuelles lignes de front et, pour nos patients, d'atteindre nos infrastructures, même s'ils sont considérés comme des terroristes ou des criminels.
Dans le deuxième scénario, MSF ne parvient pas à un accord négocié avec les différentes parties au combat mais décide d'opérer tout de même en toute impartialité. Dans ce cas, nous acceptons davantage de risques pour nous-mêmes et nos patients.
Dans le troisième scénario, MSF ne parvient pas non plus à un accord et décide de compromettre son impartialité en adaptant ses projets de manière à ne pas traiter les combattants ennemis, les opposants ou les groupes d'opposition armés dans le contexte de la lutte anti-terroriste. Cette approche implique, par exemple, d'éviter les projets chirurgicaux ou traumatologiques.
Enfin, dans le dernier scénario, MSF ne parvient pas à un accord négocié et ne se compromet pas, tout en n'acceptant pas un degré de risque plus élevé. Dans ce cas, nous décidons de ne plus travailler dans ces environnements et de nous retirer.
Pour MSF, ne pas s'opposer aux récentes formes d'attaque contre les soins de santé reviendrait à accepter une réalité dans laquelle les fournisseurs de soins de santé agissent au bénéfice des plus puissants, en raison des limites imposées à leurs capacités d'agir indépendamment de leurs intérêts. Ne pas résister à ces tendances signifierait que nous acceptons d'opérer au gré des intérêts politiques dominants. C'est l'impartialité même de la fourniture des soins de santé qui est en jeu.
Depuis un an, des hôpitaux de MSF et des infrastructures soutenues ont été attaqués en Afghanistan, en Syrie et au Yémen. Dans chacun de ces pays, des coalitions militaires internationales soutiennent l'État dans sa lutte contre un ennemi criminalisé ou qualifié de terroriste. La majorité des hôpitaux de MSF et infrastructures soutenues qui ont été frappés se trouvaient dans des zones contrôlées par ces groupes "ennemis". La volonté de dispenser des soins de santé impartiaux dans le cadre des conflits liés à l'antiterrorisme peut avoir des conséquences fatales. Les soins de santé sont pris pour cible à travers des attaques directes ainsi qu'à travers des mesures indirectes comme les sièges et les sanctions. Nous constatons que les attaques des soins de santé sont souvent justifiées comme une "erreur" ou une conséquence malheureuse d'une guerre contre un ennemi soi-disant impossible à distinguer des civils qui l'entourent.Cette situation est liée au principe au coeur de l'humanitarisme et de l'éthique médicale : l'impartialité. Le personnel médical ne devrait jamais avoir à décider de dispenser ou non un traitement sur la base de l'affiliation politique, militaire, religieuse ou autre d'un patient. Dans un contexte où tout le monde est le terroriste de quelqu'un, une offre de traitement médical motivée uniquement par les besoins réduit le risque que les actes médicaux ne servent des intérêts politiques et militaires, ce qui serait dangereux. Dans ces contextes, défendre la capacité des travailleurs de la santé à traiter ceux qui sont qualifiés de "terroristes" revient à empêcher que l'éthique médicale ne soit sapée par ceux qui cherchent à soumettre tout acte d'humanité aux intérêts politiques et militaires. En effet, alors que la guerre contre le terrorisme s'étend, être capable de fournir des traitements à ceux qui ont été désignés comme des "terroristes" pourrait bien être le combat marquant de l'humanitarisme médical contemporain.L'aide humanitaire est souvent alignée sur les intérêts politiques et militaires des principaux États donateurs, ce qui donne le ton quant au type d'assistance considéré comme acceptable. Par exemple, l'Etat Islamique, Boko Haram, les talibans pakistanais, le groupe Al-Shabbaab et d'autres mouvements désignés par les États-Unis et leurs alliés comme des "organisations terroristes" contrôlent des territoires de différentes tailles à travers le monde et sont visés par des frappes aériennes, des attaques de drones et des opérations des forces spéciales. Dans ces contextes, l'aide humanitaire est confrontée à un cadre juridique antiterroriste de plus en plus important, qui cherche à criminaliser la large notion de "soutien matériel au terrorisme". Ce cadre définit les limites de ce qui est considéré comme une forme acceptable d'aide humanitaire. Des limites qui entrent souvent en contradiction avec l'offre impartiale d'assistance basée exclusivement sur les besoins.Comment cela se traduit-il sur le terrain ? En Afghanistan, ainsi que dans d'autres contextes, des hôpitaux sont attaqués et des patients arrêtés, sous prétexte d'appliquer la loi, et ce, souvent sans mandat d'arrêt et sans suivre le processus légal réglementaire. En temps de conflit, élargir une opération d'application de la loi à un hôpital en arrêtant des combattants blessés, désignés comme des "criminels", au titre du droit national, porte atteinte à la neutralité des infrastructures médicales. Au bout du compte, quand les acteurs humanitaires essayent d'opérer dans des zones contrôlées par l'ennemi, ils sont susceptibles d'être pris pour cible ou soumis à des contraintes d'accès au niveau politique. Une fois que les travailleurs de la santé ont dépassé la limite de ce qui est considéré comme une forme acceptable d'assistance humanitaire, les hôpitaux sont attaqués de nombreuses manières. Certaines des attaques directes les plus récentes sur les soins de santé ont été menées par des États qui bombardent sans discrimination des quartiers et communautés entiers dans le cadre de leurs opérations antiterroristes. En Syrie, les hôpitaux constituent des cibles directes, tout comme les écoles, places de marché et boulangeries. Dans d'autres contextes, comme à Gaza, les attaques contre les hôpitaux sont justifiées par un flou juridique croissant à travers lequel les hôpitaux sont considérés comme des boucliers humains pour des personnes qualifiées de "terroristes". Le bombardement de l'hôpital de MSF à Kunduz, Afghanistan, en octobre 2015 illustre bien les défis plus larges auxquels est confronté l'humanitarisme médical dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. MSF a été attaquée par les forces spéciales américaines, qui opéraient en soutien à l'État afghan, alors que notre infrastructure médicale se trouvait dans un territoire contrôlé par un ennemi. Les Américains ont réagi en affirmant que le bombardement était une erreur, ce qui leur a permis d'échapper à toute conséquence juridique significative et d'évincer commodément les forces afghanes du tableau. Qu'elle soit bombardée intentionnellement ou frappée par erreur, l'aide humanitaire dans le contexte de la lutte contre le terrorisme est susceptible d'être attaquée lorsqu'elle franchit les limites de ce que l'État et ses bailleurs internationaux considèrent comme acceptable, et quand la distinction entre civils et combattants est brouillée.Quelles sont les implications pour une organisation comme MSF ? Dans le premier scénario, nous parvenons à un accord négocié nous permettant d'opérer en toute impartialité dans des conflits caractérisés par des opérations anti-terroristes. Cela inclut la possibilité, pour nous, de traverser d'éventuelles lignes de front et, pour nos patients, d'atteindre nos infrastructures, même s'ils sont considérés comme des terroristes ou des criminels.Dans le deuxième scénario, MSF ne parvient pas à un accord négocié avec les différentes parties au combat mais décide d'opérer tout de même en toute impartialité. Dans ce cas, nous acceptons davantage de risques pour nous-mêmes et nos patients.Dans le troisième scénario, MSF ne parvient pas non plus à un accord et décide de compromettre son impartialité en adaptant ses projets de manière à ne pas traiter les combattants ennemis, les opposants ou les groupes d'opposition armés dans le contexte de la lutte anti-terroriste. Cette approche implique, par exemple, d'éviter les projets chirurgicaux ou traumatologiques.Enfin, dans le dernier scénario, MSF ne parvient pas à un accord négocié et ne se compromet pas, tout en n'acceptant pas un degré de risque plus élevé. Dans ce cas, nous décidons de ne plus travailler dans ces environnements et de nous retirer.Pour MSF, ne pas s'opposer aux récentes formes d'attaque contre les soins de santé reviendrait à accepter une réalité dans laquelle les fournisseurs de soins de santé agissent au bénéfice des plus puissants, en raison des limites imposées à leurs capacités d'agir indépendamment de leurs intérêts. Ne pas résister à ces tendances signifierait que nous acceptons d'opérer au gré des intérêts politiques dominants. C'est l'impartialité même de la fourniture des soins de santé qui est en jeu.