L'association "Un Pass dans l'impasse" publie les dernières données statistiques sur le suicide dans le cadre de la Journée mondiale de la prévention du suicide qui se déroule ce mardi 10 septembre. Des statistiques importantes: ce sont en effet les premières tendances chiffrées depuis la crise sanitaire liée au covid-19, dont on connaît les lourdes conséquences sur la santé mentale, et notamment parmi les plus jeunes.
Si les chiffres sont en diminution par rapport aux cinq années précédentes, la différence est minime. Le taux de suicide demeure (trop) élevé en Belgique et la détresse psychologique est, elle, en forte augmentation, entraînant une hausse des idéations suicidaires. "Au contraire même, durant toute la pandémie, nos psychologues ont constaté une forte augmentation des troubles anxiodépressifs avec une augmentation de l'intensité des idéations suicidaires ", explique Florence Ringlet, directrice thérapeutique chez Un pass dans l'impasse, dans un communiqué.
Une des pistes évoquées à l'époque pour tenter d'expliquer la très légère diminution du nombre de suicides pendant la pandémie tient aux confinements, qui rendaient le passage à l'acte plus compliqué du fait de l'entourage constamment présent, ou de l'aide apportée par cet entourage justement présent, ou encore d'une espèce de 'retenue altruiste' par rapport aux médecins et aux hôpitaux alors débordés par le coronavirus.
" Après les premiers confinements, une multiplication des passages à l'acte a été remarquée. Et depuis, les crises n'ont cessé de se succéder", souligne encore Florence Ringlet.
Avant d'analyser les chiffres, rappelons également qu'au début de ce siècle, le taux de mortalité standardisé par suicide en Belgique dépassait les 20 pour 100.00 habitants (32,7 pour les hommes en 2003, selon Statbel), versus 14 aujourd'hui, soit vingt plus tard. Hélas, il reste encore énormément de travail pour faire baisser les chiffres qui restent inquiétants.
Que nous apprennent ces chiffres?
Les hommes sont toujours les premiers concernés: 1.173 hommes se sont donné la mort en 2021, contre 467 femmes. Mais, comme le rappelle l'administrateur délégué d'Un Pass dans l'impasse, Thomas Thirion, les tentatives de suicide (TS) sont beaucoup plus élevées que les 1.640 suicides avérés recensés en 2021 (1.736 en 2020), et en particulier chez les femmes: "On estime que les tentatives de suicide sont à 15 à 20 fois plus nombreuses que les suicides. Deux tiers de ces tentatives concernent des femmes. "
Le chiffre le plus élevé se situe dans la tranche d'âge '55-59 ans' chez les hommes (122 personnes), et chez les '50-54 ans' du côté des femmes (55 personnes). On note également un taux élevé passé 80 ans et ce, dans les deux sexes: 134 octogénaires et 27 nonagénaires se sont suicidés en 2021... Un public fragilisé, souvent polymédiqué, que les médecins généralistes doivent donc garder à l'oeil comme potentiellement à risque de passer à l'acte (voire à risque de suicide 'altruiste' quand l'un des deux est atteint d'une maladie incurable).
A l'autre extrême de la vie, on déplore sept décès chez les '10-14 ans' (quatre garçons et trois filles) et 50 suicides chez les '15-19 ans'. Ici aussi, pour combien de TS assurément... Pour rappel, depuis 2017, le suicide est devenu la première cause de décès chez les '15-24 ans', représentant plus d'un décès sur quatre. Et, depuis cinq ans, il détrône même, parmi les '15-45 ans', les autres causes de mortalité historiquement les plus élevées comme les accidents de la route.
La Wallonie parmi les pires taux européens
Autre enseignement important: " Au niveau régional, c'est en Wallonie que la situation est la plus préoccupante", alerte encore Thomas Thirion. "Si on analyse les chiffres proportionnellement à la population, la Région wallonne a le plus haut taux de décès par suicide. On est à un taux de 17,1 pour 100.000 habitants en 2021, contre 13,6 en Flandre et 8,6 en Région bruxelloise." Pour rappel, la moyenne belge est à 14,2 en 2021.
Concrètement, en 2021, on comptabilisait 910 décès côté flamand, 625 côté wallon et 105 à Bruxelles. 2018 fut la pire année sur la période 2017-2021 avec 698 décès par suicide enregistrés en Wallonie (soit un taux de 19,12/100.000 habitants).
Si l'on grossit encore la loupe, au niveau provincial cette fois, c'est à Namur que le taux de décès par suicide était le plus élevé en 2021 (19,83/100.000 habitants), suivi de Liège (18,97), le Hainaut (17,22), le Luxembourg (16,06) et enfin le Brabant wallon (11,53). Par contre, la moyenne sur cinq ans (2017-2021) montre que le Luxembourg est le plus touché, avec un taux moyen de 20,7 (24,8 à Neufchateau). On pense, notamment, à la profession d'agriculteur, où la pression, notamment financière face aux investissements consentis pour maintenir les exploitations, peut favoriser un passage à l'acte.
Où nous situons-nous à l'échelle européenne? Par rapport aux autres pays membres de l'Union, notre taux de décès par suicide en Belgique (14,34/100.000 habitants) nous place en 4e position, juste après la Slovénie (19,81), la Lituanie (19,51) et la Hongrie (15,69) - les trois pays qui connaissent le plus de suicides au sein de l'UE. Le taux de décès par suicide en Wallonie (17,58) est même supérieur à celui de la Hongrie.
La moyenne européenne se situe à 10 décès pour 100.000 habitants, statistique que l'on retrouve chez nos voisins directs, l'Allemagne et les Pays-Bas. Les pays du Sud affichent moitié moins de suicides que la Belgique (Italie: 5,89, p.ex.). La Grèce (4,15) et Chypre (2,68) étaient les États-membres les plus préservés en 2021.
En pratique, pour le médecin
Le numéro d'aide pour la Wallonie, à afficher au cabinet médical (vous pouvez télécharger ici une affiche A3):
Prévention du suicide en Wallonie : 081/777.150
Par ailleurs, Un pass dans l'impasse, qui est l'unique structure de prévention du suicide depuis 2008 en Wallonie, lance un appel aux dons, face à l'explosion de demandes pour ses consultations psychologiques. Pour soutenir l'association et sauver des vies, rendez-vous sur le site internet d'Un pass dans l'impasse : www.un-pass.be
Rappelons enfin que l'association dispose d'un réseau de "sentinelles", des lanceurs d'alerte pour aider les personnes en détresse. Lire ici comment devenir sentinelle, si cela vous intéresse dans le cadre de votre pratique, pour vous, vos assistants ou d'autres personnes impliquées au cabinet.