L e secret des mutuelles: unies dans le secteur public, concurrentes dans le privé.
Les mutuelles ont réussi le tour de force de concilier des positions dans l'État et un réseau de filiales privées. Les voilà donc bien installées
1) comme entrepreneurs sociaux (épithète censée adoucir un nom trop proche du terme marché) animant des équipes soignantes, offrant divers services à leurs membres et s'intéressant au vaste secteur du bien-être ;
2) comme agents incontournables de l'assurance maladie-invalidité obligatoire.
Autant de sources de revenus publics et privés. Ce mélange des genres en choque plus d'un. A tort et à raison! A tort, car il ne faut pas se tromper de cible en critiquant les mutuelles. Si la transparence des flux financiers et la bureaucratisation restent un problème, au demeurant propre à de nombreuses organisations, je ne vois guère de motif pour critiquer leur dynamisme. Ce qui donne raison aux critiques, par contre, c'est leur refus d'accorder aux médecins, aux autres praticiens et aux gestionnaires d'hôpitaux, la liberté qu'elles défendent bec et ongles pour elles-mêmes. Or, face aux incertitudes autour des questions de santé, une marge de liberté respectée à tous les niveaux, micro-, méso-et macro-décisionnels, est une condition sine qua non d'efficacité technique, de viabilité économique et de justice sociale.
Pour les praticiens aussi, un double rôle d'agents publics et d'entrepreneurs privés.
En termes de santé publique, les médecins fonctionnent comme des agents de l'État et sur le terrain, ils exercent de personnes à personnes, seuls ou en groupes plus ou moins structurés. À la place de la séparation tant prônée entre public et privé, on trouve donc des spirales d'interactions.
Je suggère à mes collègues d'adopter la méthode mutualiste: union en haut, émulation au service des malades en bas, pour défendre leurs libertés. Libertés en matière d'honoraires, d'organisation, d'investissements et de décisions médicales concertées si possible avec les malades. Non pas des libertés absolues, mais des libertés conscientes de leurs limites, balisées par des lois claires, tenant compte du sens pratique nécessaire face aux imprévisibles situations individuelles. Hélas, nous nous éloignons de cet optimum.
Pour les honoraires, je défends ici la thèse suivante: seul un système de libertés réparties entre les différents niveaux du système peut sauvegarder les finances de l'assurance maladie-invalidité tout en garantissant la justice sociale.
Les médecins, comme professionnels et comme citoyens, devraient donc s'unir pour jouer les contre-pouvoirs avec une masse critique suffisante, capable de contenir les excès des egos forts de certains dirigeants. Le corps médical peine à équilibrer les pouvoirs politiques des mutuelles. Pourtant, les médecins eux aussi ne manquent pas d'egos forts à la tête de leurs innombrables associations. Pour les diviser ou les unir? Sans bonne réponse à cette question ils risquent de se voir transformés en exécutants de décisions prises sans eux et à distance des malades.
L'essentiel pour défendre à la fois la liberté des honoraires et la justice sociale.
- À l'État de créer un cadre permettant aux individus de garder une part de libre négociation des honoraires.
- À l'État de maintenir dans ce but ET des honoraires libres ET des honoraires conventionnés. S'attaquer aux suppléments d'honoraires consentis de commun accord va déséquilibrer dangereusement le système. Autant supprimer les mutuelles, étatiser les soins de santé et fonctionnariser tous les médecins et soignants. L'histoire a suffisamment montré les effets de l'étatisme.
-Les citoyens doivent être libres de choisir leurs médecins en ambulatoire et à l'hôpital.
-Cette liberté s'exprime sur les trois fronts de la qualité technique, du sens et de la valeur.
-La diversité des caractères et des situations face à l'argent doit permettre à tous de s'y retrouver.
-À l'État de mettre des garde-fous pratiques et non pas idéologiques.
-Le cadre légal doit permettre ET aux plus démunis ET à ceux qui acceptent de payer plus de trouver les médecins et les hôpitaux qui leurs conviennent.
-Les mutuelles veulent être libres comme entreprises sociales actives sur le marché des assurances, de l'immobilier, de l'hôtellerie, des loisirs et autres secteurs? Bravo! Mais alors, qu'elles laissent aux médecins et aux soignants la même liberté d'entreprendre. Et de se faire honorer à leur juste valeur.
Joyeuses fêtes de Noël et de Nouvel-An!
Suite dans l'épisode 4/9. Le déséquilibre des libertés: danger sur les trois fronts de la pandémie.
Résumé
Passées maîtres en matière d'économie de la santé, les mutuelles illustrent le subtil alliage de collectivisme et d'individualisme, de solidarité et de liberté, d'altruisme et d'égoïsme, si typique du système dit belge. Tout au long de leur histoire, elles ont conquis des positions fortes grâce à d'étonnantes capacités relationnelles mises d'abord en oeuvre au sein de leurs sociétés de secours pour les déployer ensuite dans des grandes organisations présentes à tous les niveaux institutionnels. Leurs indéniables réalisations n'empêchent pas toujours les egos forts qui les poussent à céder aux griseries du pouvoir. Quand ils s'attaquent aux suppléments d'honoraires par exemple, en s'arrogeant le monopole de la justice et de l'équité. D'où le besoin de réactions fortes et cohérentes des médecins et des autres praticiens pour promouvoir la valorisation financière de leurs prestations au service des malades. Contrebalancer les excès des mutuelles tout en préservant leurs bons côtés: voilà le défi.