ANALYSE

Acteurs du monde de la culture, de la justice, de la santé, professeurs d'universités ou chercheurs, mais aussi responsables syndicaux, mutualistes : les citoyens sont nombreux à s'être mobilisés pour défendre le droit à la justice, à la santé, au logement. C'est le but de la campagne bilingue Tam Tam, soutenu notamment par Tout autre chose3, mouvement citoyen francophone, cousin du mouvement néerlandophone Hart boven Hard. Trois campagnes sont programmées d'ici à avril 2018 autour des thèmes de la santé, de l'accès à la justice et du temps de travail. Premier volet dévoilé depuis ce lundi : la santé, au travers d'une courte vidéo critiquant le néolibéralisme et le bilan du gouvernement Michel.

Très rapidement, ette capsule vidéo attiré les critiques. Les côtés caricatural et apolitique sans l'être ont été pointés du doigt. Notamment par Xaviez Brenez, directeur général de l'Union nationale des mutualités libres, qui s'est exprimé sur Twitter en ces termes : " Désolant de voir des organisations respectables verser dans la caricature et la désinformation dans la vidéo sur les soins de santé de #TamTam. Avec une caution 'académique' de surcroît! Un enjeu pareil mérite qu'on l'aborde avec nuances. "

Aborder le thème avec nuances, c'est justement ce qu'on fait les Drs Georges Bauherz, neurologue, et Michel Roland, médecin généraliste et président de Médecins du monde. Ils sont à la base du texte qui a servi de support à la capsule vidéo et à la note qui est sortie hier soir. " Le mouvement Tam Tam m'a demandé si je pouvais écrire une note santé globale reprenant le fonctionnement de notre sécurité sociale replacée dans un contexte historique ", explique le Dr Roland. " C'est surtout pour une question d'option idéologique que j'ai accepté, et aussi parce que je suis neutre. "

Un discours connu

Si l'on se penche sur la note de 20 pages, dès les premières lignes, on s'éloigne de la caricature peut-être nécessaire au coup de poing médiatique de la vidéo. " Cette note a pour ambition de montrer comment la politique des soins de santé du gouvernement Michel se place dans l'approfondissement des logiques néolibérales, mais surtout en quoi elle marque un tournant fondamental, d'abord au niveau des mécanismes budgétaires et de financements, mais aussi par la modification de la gestion paritaire du secteur de la santé ", peut-on lire dans les prolégomènes.

Plus loin, on rencontre des propos connus, et on peut d'ailleurs se remémorer les dires du philosophe liégeois Édouard Delruelle, qui ont été relayés par le journal du Médecin en début d'année, (lire ici). " Si les prestataires de soins sont importants pour soigner les individus, sur l'état global d'une population, ce sont plutôt les déterminants sociaux qui sont importants ", acquiesce celui qui fut professeur de médecine sociale à l'ULB. " L'État social d'après-guerre répondait tout à fait à ces conditions. Ce qui fait que nous avons gagné 35 ans d'espérance de vie au XXième siècle alors que le chiffre atteint 9 ans seulement entre l'an mille et 1900. Cette évolution est due à l'amélioration des soins, bien entendu, mais aussi et surtout à la diminution des inégalités. "

Le risque d'une médecine à deux vitesses

La note dépeint le rôle joué par le néolibéralisme dans la marchandisation et la privatisation des soins de santé. " L'évolution des proportions relatives des 'trois piliers' (sécurité sociale, assurances groupes, assurances individuelles) ou des diverses sources de financement des soins de santé traduisent un mouvement de privatisation et de marchandisation. On remarque que les deuxième et troisième piliers croissent de plus en plus. Ainsi, en dix ans, de 2003 à 2014, la part des assureurs a augmenté de 41 % pour 1,8 milliards. Or, les assurances qui constituent ces deux piliers sont généralement des structures à but de lucre qui tentent donc de maximiser leur profit. Que ce soit en matière de soins de santé, de pension, d'invalidité etc. un nombre conséquent de mesures des derniers gouvernements ont été dans le sens d'une déconstruction structurelle du premier pilier. Il est difficile de ne pas y voir l'objectif sous-jacent de prouver l'inefficacité d'une sécurité sociale financée sur une base solidaire, pour suggérer d'abord, favoriser concrètement ensuite, le développement de sources de financement d'avantage individuelle. "

" Aujourd'hui, le néolibéralisme augmente les inégalités, et ce dans le monde entier. Pourquoi vouloir passer d'un système solidaire de couverture universelle à un système de protection privé, où la couverture se fait en fonction du risque ? ", réagit le généraliste originaire de Cerfontaine, qui craint effectivement un glissement vers un modèle anglo-saxon, moins solidaire. " Ce gouvernement accélère peut-être le processus, mais le phénomène est mondial et l'Europe met la pression sur les pays membres. Je n'en ai pas ai tellement contre ce gouvernement. J'en ai tout autant contre les gouvernements précédents depuis les années 80 et l'avènement du néolibéralisme. "

Michel Roland : " Je n'ai pas tellement contre ce gouvernement. J'en ai tout autant contre les gouvernements précédents. "

Pour les deux auteurs, dès lors, les risques de créer une médecine à deux vitesses sont conséquents. " En effet, s'il faut maximiser le profit pour rémunérer le capital, il faudra d'une part, se tourner vers ce qui "rapporte" (maison de repos, examens techniques, discrimination des assurés, patients...) et d'autre part, délaisser ce qui n'engrange pas de rentrées suffisantes (prévention, soins des personnes précaires,...). Les organismes privés à but de lucre vont donc probablement se centrer sur ce qui " rapporte " et l'État devra se charger du reste. On tend ici progressivement vers un modèle de sécurité sociale libérale où la participation de l'État et de la collectivité dans les soins de santé doivent être réduits pour laisser la libre concurrence des structures privées opérer. C'est le développement de 'la médecine à deux vitesses': du 'palliatif' étatique via une couverture minimale des risques sociaux réservée aux plus démunis, et des soins onéreux et d'avantage privatisés et marchandisés pour les classes moyennes et les plus riches, qui ne sont au final, pas mieux soignés non plus. "

Pour étayer ces dires, Georges Bauherz et Michel Roland compare les budgets de la santé belge et américain. " Dans un système largement ouvert au financement par des assureurs privés, comme aux États-Unis, on peut constater que ce niveau élevé de dépenses n'est pas contrebalancé par une qualité accrue de la santé publique. Avec un PIB par habitant de 57.000 $ (contre 41.000 $ pour la Belgique) et une part de 17,1 % de ce PIB (contre 10,6 % en Belgique) consacré à la santé, leurs indicateurs de santé sont moins bons que ceux de nombreux pays dont le PIB par habitant est plus bas, avec une espérance de vie aux USA de 79,3 ans, inférieure à celle de la Belgique avec 81,8 ans. "

Trois conséquences de la marchandisation et la privatisation des soins

À coups de chiffres appuyés de nombreuses références, les deux auteurs pointent du doigt trois conséquences concrètes de cette politique néolibérale : le report des soins, le moratoire sur les nouvelles maisons médicales au forfait et l'implémentation progressive d'une médecine à deux vitesses, notamment due à la hausse des suppléments d'honoraires malgré l'interdiction de facturer des suppléments d'honoraires en chambre commune et à deux lits imposée en 2013 par la ministre de la Santé de l'époque, Laurette Onkelinx.

Revenons sur le report des soins, qui reste conséquent selon la note, notamment à cause de la part importante des dépenses de santé supportée par le patient ainsi que l'augmentation du ticket modérateur. " Sous la législature de Madame De Block, le ticket modérateur pour les consultations gynécologiques est, par exemple, passé de 8 euros à 12 euros et il a été prévu d'économiser 32,89 millions en 2015 via l'harmonisation et augmentation des tickets modérateurs chez les spécialistes. " Le cabinet De Block a réagi à cette information " fausse " : le ticket modérateur n'est pas en hausse, il diminue même. De plus, les plus fragiles peuvent compter sur le maximum à facturer (MAF) et sur le régime préférentiel (BIM). " C'est exact ", commente le Dr Roland. " La ministre avait d'ailleurs pris une bonne décision en rendant la non perception du ticket modérateur obligatoire en première ligne pour les BIM. Finalement, ce sont les médecins qui se sont opposés à cela. Alors que le ticket modérateur n'est que d'un euro. On parlait de dignité, d'honneur du corps médical. Si la dignité vaut un euro par consultation, elle ne vaut pas bien chère ", continue le médecin sur le ton de l'humour. " C'était une très bonne mesure : l'accès aux soins et la continuité doivent être facilités. "

La note complète : " les études montrent aussi que la perception d'un ticket modérateur sur les soins médicaux de première ligne, de même que l'interdiction d'appliquer le tiers-payant entraînent une sous-consommation de soins, en particulier pour les populations plus défavorisées, et cela malgré le mécanisme de MAF mis en place par l'assurance soins de santé. A contrario, la diminution ou la suppression du ticket et l'octroi du tiers-payant ne provoquent pas de surconsommation de soins mais permettent de ramener la consommation de soins à un niveau 'normal'. On peut donc se demander si le ticket modérateur ne passe donc pas à côté de son objectif de diminuer l'utilisation inappropriée des soins. En freinant l'accès aux soins de première ligne, il provoque un report de soins avec un impact négatif sur la santé et des dépenses plus importantes en deuxième ligne, notamment en médicaments et en hospitalisation, comme l'ont démontré d'autres analyses, notamment celle du KCE en 2008. "

"On peut donc se demander si le ticket modérateur ne passe donc pas à côté de son objectif de diminuer l'utilisation inappropriée des soins. "

Le moratoire sur les nouvelles maisons médicales au forfait

L'accessibilité de la première ligne est fondamentale souligne la note. Les maisons médicales, et notamment le système de financement au forfait participent à l'accessibilité de cette première ligne. Malgré cela, en octobre 2016, Maggie De Block décide de geler la croissance des maisons médicales au forfait. " Elle a en outre demandé à grand prix (200.000 euros) une nouvelle évaluation qui a été confiée à KPMG, cabinet d'audit privé, plutôt qu'au KCE, structure publique scientifique d'excellence spécialement créée pour ce genre d'étude ", soulignent Georges Bauherz et Michel Roland. " Depuis plus d'un an donc, aucune nouvelle structure forfaitaire n'a pu ouvrir ses portes. Il s'agit bien d'une décision idéologique, contre une initiative petite mais significative, qui tente, avec succès, d'explorer une autre organisation de système de soins promouvant une vision holistique de la santé et une prise en charge multidisciplinaire. (...) Alors que ce système collectif d'organisation des soins de santé se distingue et refuse de tomber dans la marchandisation et la privatisation à but de lucre des soins et lutte contre la mise en place d'une médecine à deux vitesses et d'une vision hospitalo-centré de la santé, le moratoire a montré que le gouvernement se montre hésitant à encourager sans ambiguïté ce type d'initiative. "

" Je n'ai jamais été, bien au contraire, pour l'imposition d'un modèle unique ", commente le Dr Roland qui est à la base des maisons médicales en Belgique, lui qui en a fondé trois, dont la première à Bruxelles en 1972. " Je pense que les patients doivent avoir le choix du système dans lequel ils se retrouvent le mieux. Par contre, ce que je pense indispensable, c'est le travail en équipe et le travail en réseau. Là, évidemment, la télématique a un rôle à jouer. "

Pour l'homme, ceci étant, le procès que l'on fait aux maisons médicales n'est pas bon. " C'est vrai que cela coûte plus cher en première ligne. Mais, ayant été à la base du forfait en 1985, on avait calculé des correctifs. Les patients sont plus jeunes, c'est vrai, mais il y a le double de BIM. L'un dans l'autre, je trouve que les deux systèmes ont leur place. Les patients ont leur choix à faire, ainsi que les médecins. Lorsque que j'étais professeur de médecine générale à l'ULB, je voyais bien avec le temps que de plus en plus de jeunes choisissaient le modèle des maisons médicales. Et parfois pour de mauvaises raisons : parce qu'effectivement il y a moins d'heures de travail quand on est à cinq que quand on est seul. Mais on peut mieux assurer la continuité des soins, sans avoir à travailler 12-14 heures par jour. L'organisation est plus facile, la clientèle est présente...Donc je pense que les maisons médicales vont émerger au détriment de la pratique à l'acte. C'est un modèle de soins qui permet le travail pluridisciplinaire de première ligne en réseau. Un réseau qui peut être virtuel grâce à la télématique. "

Le tournant Michel

Les auteurs pointent toutefois, sans caricature cette fois, le " tournant fondamental " pris par le gouvernement concernant la politique de santé en Belgique, " d'abord au niveau des mécanismes budgétaire et de financements mais aussi par la modification de la gestion paritaire, véritable ADN de notre système des soins de santé. "

L'affaiblissement de la concertation sociale est essentiellement visé, avec les exemples de l'élaboration des budgets 2015,2016 et 2017. La note cite, par exemple, la nouvelle réglementation apportée par le budget 2017 qui amène " une plus grande confusion dans le déroulement du processus de concertation, une répartition des tâches entre les diverses organes beaucoup moins claire et une compréhension plus difficile du cadre budgétaire pour les différents acteurs. "

Et de continuer : " Mais le changement le plus notable et regrettable derrière cette nouvelle règlementation concerne le temps accordé au Comité de l'assurance pour, à partir des positionnements des différentes commissions de conventions et d'accords, construire une proposition de budget concertée. Antérieurement, il possédait trois mois (de juillet à fin septembre) pour aboutir à une telle proposition. Ce qui permettait la possibilité d'une concertation large des différents organismes assureurs entre eux et des discussions entre organismes assureurs et représentants des professionnels de la santé. Dans la nouvelle réglementation, par contre, il y a, à peine une quinzaine de jours prévus pour ce travail d'arbitrage transversal. Formuler une proposition concertée ayant pu être discutée autant entre mutuelles qu'avec les prestataires a donc été impossible. En conclusion, si la concertation sociale reste possible en théorie dans la nouvelle réglementation introduite par le cabinet, ses conditions d'existences en pratique sont nulles. "

Michel Roland : " Pour résumé, je dirais qu'il y a très peu de politique de santé en Belgique. "

Il y a une logique uniquement financière qui nuit à la politique de santé estime pour sa part Michel Roland. " Pour résumé, je dirais qu'il y a très peu de politique de santé en Belgique. L'OMS nous a décrit comme un non-system system, donc un système qui n'est pas un système. " L'explication est à trouver dans la marchandisation des soins, bien sûr, mais pas uniquement. " La médicomut est une discussion entre prestataires de soins et assureurs sur des bases uniquement financières. Il est très rare que l'on discute de politique. Ce sont un peu des marchands de tapis (rires). Ensuite cela arrive au Conseil de l'assurance et la ministre est toute contente lorsqu'il y a un accord médicomut. Cette concertation aboutissait à ce qu'il n'y ait pas véritablement de politique de santé. Maintenant, le gouvernement a pris les choses en mains et a imposé, finalement, une façon de construire le budget. Mais ce faisant, cela met à mal les concertations paritaires qui représentent notre modèle social belge et dont nous pouvons être fiers. Le positif, c'est que l'on commence à avoir une ébauche de politique de santé, mais dont les bases sont trop peu issues de la santé publique au profit de l'équilibre budgétaire. "

Michel Roland : " La médicomut est une discussion entre prestataires de soins et assureurs sur des bases uniquement financières. Il est très rare que l'on discute de politique. "

Néolibéralisme : diable ou soucoupe volante ?

Ce néolibéralisme contre lequel lutte la campagne Tam tam, pour certains, n'existe tout simplement pas. " Le néolibéralisme, c'est comme les soucoupes volantes: tout le monde en parle mais cela n'existe pas ", explique sur le plateau de BX1 Corentin De Salle, le directeur du centre Jean Gol. " C'est une fiction, une mystification créée de toute pièce par les auteurs antilibéraux pour discréditer indirectement le libéralisme. Aucun auteur ne soutient cette position et ces idées absurdes (destruction de la sécurité sociale, loi du plus fort, etc.) ne sont appliquées nulle part dans le monde et a fortiori pas en Belgique. " Pour le président de Médecins du monde, c'est pourtant clair. " Le néolibéralisme n'est pas libéral. Le libéralisme, c'est la défense des valeurs humaines, de la laïcité, et d'un État qui respecte les individus. Au contraire, dans le néolibéralisme, l'État est presque porte-parole du marché. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut un FMI, un OMC pour défendre la concurrence qui profite plus aux actionnaires qu'à l'objet social. "

En conclusion, la situation n'est pas tenable à long terme soutient Michel Roland. " Si cela continue de la sorte, nous irons vers un système proche de celui pratiqué aux États-Unis, sans couverture universelle. Dans les années 90, j'espérais encore une levée de bouclier en Europe pour contrer l'évolution mondiale de la marchandisation des soins, mais c'est le contraire qui s'est produit. TINA, There is no alternative disait le slogan. Aujourd'hui, un anti-slogan voit le jour : There are many alternatives. "

Le médecin est optimiste. " Il y aura une prise de conscience et une négociation. Le système néolibéral a ses limites, comme la délocalisation, comme on le voit actuellement avec Brussels Airlines. Je ne comprends pas qu'on puisse être attaché à ce système qui ne profite qu'à quelques-uns. Un vrai libéral s'oppose à cela, au nom de valeurs humaines et individuelles. Le néolibéralisme ne respecte plus l'homme, il ne vise que le profit. "

1. La capsule est visible sur le site de la campagne Tam Tam : www.campagnetamtam.be/fr-santevideo

2. La note est consultable via ce lien : www.campagnetamtam.be/fr-santerealite

3. Plus d'informations ici : www.toutautrechose.be

ANALYSEActeurs du monde de la culture, de la justice, de la santé, professeurs d'universités ou chercheurs, mais aussi responsables syndicaux, mutualistes : les citoyens sont nombreux à s'être mobilisés pour défendre le droit à la justice, à la santé, au logement. C'est le but de la campagne bilingue Tam Tam, soutenu notamment par Tout autre chose3, mouvement citoyen francophone, cousin du mouvement néerlandophone Hart boven Hard. Trois campagnes sont programmées d'ici à avril 2018 autour des thèmes de la santé, de l'accès à la justice et du temps de travail. Premier volet dévoilé depuis ce lundi : la santé, au travers d'une courte vidéo critiquant le néolibéralisme et le bilan du gouvernement Michel.Très rapidement, ette capsule vidéo attiré les critiques. Les côtés caricatural et apolitique sans l'être ont été pointés du doigt. Notamment par Xaviez Brenez, directeur général de l'Union nationale des mutualités libres, qui s'est exprimé sur Twitter en ces termes : " Désolant de voir des organisations respectables verser dans la caricature et la désinformation dans la vidéo sur les soins de santé de #TamTam. Avec une caution 'académique' de surcroît! Un enjeu pareil mérite qu'on l'aborde avec nuances. "Aborder le thème avec nuances, c'est justement ce qu'on fait les Drs Georges Bauherz, neurologue, et Michel Roland, médecin généraliste et président de Médecins du monde. Ils sont à la base du texte qui a servi de support à la capsule vidéo et à la note qui est sortie hier soir. " Le mouvement Tam Tam m'a demandé si je pouvais écrire une note santé globale reprenant le fonctionnement de notre sécurité sociale replacée dans un contexte historique ", explique le Dr Roland. " C'est surtout pour une question d'option idéologique que j'ai accepté, et aussi parce que je suis neutre. "Si l'on se penche sur la note de 20 pages, dès les premières lignes, on s'éloigne de la caricature peut-être nécessaire au coup de poing médiatique de la vidéo. " Cette note a pour ambition de montrer comment la politique des soins de santé du gouvernement Michel se place dans l'approfondissement des logiques néolibérales, mais surtout en quoi elle marque un tournant fondamental, d'abord au niveau des mécanismes budgétaires et de financements, mais aussi par la modification de la gestion paritaire du secteur de la santé ", peut-on lire dans les prolégomènes.Plus loin, on rencontre des propos connus, et on peut d'ailleurs se remémorer les dires du philosophe liégeois Édouard Delruelle, qui ont été relayés par le journal du Médecin en début d'année, (lire ici). " Si les prestataires de soins sont importants pour soigner les individus, sur l'état global d'une population, ce sont plutôt les déterminants sociaux qui sont importants ", acquiesce celui qui fut professeur de médecine sociale à l'ULB. " L'État social d'après-guerre répondait tout à fait à ces conditions. Ce qui fait que nous avons gagné 35 ans d'espérance de vie au XXième siècle alors que le chiffre atteint 9 ans seulement entre l'an mille et 1900. Cette évolution est due à l'amélioration des soins, bien entendu, mais aussi et surtout à la diminution des inégalités. "La note dépeint le rôle joué par le néolibéralisme dans la marchandisation et la privatisation des soins de santé. " L'évolution des proportions relatives des 'trois piliers' (sécurité sociale, assurances groupes, assurances individuelles) ou des diverses sources de financement des soins de santé traduisent un mouvement de privatisation et de marchandisation. On remarque que les deuxième et troisième piliers croissent de plus en plus. Ainsi, en dix ans, de 2003 à 2014, la part des assureurs a augmenté de 41 % pour 1,8 milliards. Or, les assurances qui constituent ces deux piliers sont généralement des structures à but de lucre qui tentent donc de maximiser leur profit. Que ce soit en matière de soins de santé, de pension, d'invalidité etc. un nombre conséquent de mesures des derniers gouvernements ont été dans le sens d'une déconstruction structurelle du premier pilier. Il est difficile de ne pas y voir l'objectif sous-jacent de prouver l'inefficacité d'une sécurité sociale financée sur une base solidaire, pour suggérer d'abord, favoriser concrètement ensuite, le développement de sources de financement d'avantage individuelle. "" Aujourd'hui, le néolibéralisme augmente les inégalités, et ce dans le monde entier. Pourquoi vouloir passer d'un système solidaire de couverture universelle à un système de protection privé, où la couverture se fait en fonction du risque ? ", réagit le généraliste originaire de Cerfontaine, qui craint effectivement un glissement vers un modèle anglo-saxon, moins solidaire. " Ce gouvernement accélère peut-être le processus, mais le phénomène est mondial et l'Europe met la pression sur les pays membres. Je n'en ai pas ai tellement contre ce gouvernement. J'en ai tout autant contre les gouvernements précédents depuis les années 80 et l'avènement du néolibéralisme. "Pour les deux auteurs, dès lors, les risques de créer une médecine à deux vitesses sont conséquents. " En effet, s'il faut maximiser le profit pour rémunérer le capital, il faudra d'une part, se tourner vers ce qui "rapporte" (maison de repos, examens techniques, discrimination des assurés, patients...) et d'autre part, délaisser ce qui n'engrange pas de rentrées suffisantes (prévention, soins des personnes précaires,...). Les organismes privés à but de lucre vont donc probablement se centrer sur ce qui " rapporte " et l'État devra se charger du reste. On tend ici progressivement vers un modèle de sécurité sociale libérale où la participation de l'État et de la collectivité dans les soins de santé doivent être réduits pour laisser la libre concurrence des structures privées opérer. C'est le développement de 'la médecine à deux vitesses': du 'palliatif' étatique via une couverture minimale des risques sociaux réservée aux plus démunis, et des soins onéreux et d'avantage privatisés et marchandisés pour les classes moyennes et les plus riches, qui ne sont au final, pas mieux soignés non plus. "Pour étayer ces dires, Georges Bauherz et Michel Roland compare les budgets de la santé belge et américain. " Dans un système largement ouvert au financement par des assureurs privés, comme aux États-Unis, on peut constater que ce niveau élevé de dépenses n'est pas contrebalancé par une qualité accrue de la santé publique. Avec un PIB par habitant de 57.000 $ (contre 41.000 $ pour la Belgique) et une part de 17,1 % de ce PIB (contre 10,6 % en Belgique) consacré à la santé, leurs indicateurs de santé sont moins bons que ceux de nombreux pays dont le PIB par habitant est plus bas, avec une espérance de vie aux USA de 79,3 ans, inférieure à celle de la Belgique avec 81,8 ans. "À coups de chiffres appuyés de nombreuses références, les deux auteurs pointent du doigt trois conséquences concrètes de cette politique néolibérale : le report des soins, le moratoire sur les nouvelles maisons médicales au forfait et l'implémentation progressive d'une médecine à deux vitesses, notamment due à la hausse des suppléments d'honoraires malgré l'interdiction de facturer des suppléments d'honoraires en chambre commune et à deux lits imposée en 2013 par la ministre de la Santé de l'époque, Laurette Onkelinx.Revenons sur le report des soins, qui reste conséquent selon la note, notamment à cause de la part importante des dépenses de santé supportée par le patient ainsi que l'augmentation du ticket modérateur. " Sous la législature de Madame De Block, le ticket modérateur pour les consultations gynécologiques est, par exemple, passé de 8 euros à 12 euros et il a été prévu d'économiser 32,89 millions en 2015 via l'harmonisation et augmentation des tickets modérateurs chez les spécialistes. " Le cabinet De Block a réagi à cette information " fausse " : le ticket modérateur n'est pas en hausse, il diminue même. De plus, les plus fragiles peuvent compter sur le maximum à facturer (MAF) et sur le régime préférentiel (BIM). " C'est exact ", commente le Dr Roland. " La ministre avait d'ailleurs pris une bonne décision en rendant la non perception du ticket modérateur obligatoire en première ligne pour les BIM. Finalement, ce sont les médecins qui se sont opposés à cela. Alors que le ticket modérateur n'est que d'un euro. On parlait de dignité, d'honneur du corps médical. Si la dignité vaut un euro par consultation, elle ne vaut pas bien chère ", continue le médecin sur le ton de l'humour. " C'était une très bonne mesure : l'accès aux soins et la continuité doivent être facilités. "La note complète : " les études montrent aussi que la perception d'un ticket modérateur sur les soins médicaux de première ligne, de même que l'interdiction d'appliquer le tiers-payant entraînent une sous-consommation de soins, en particulier pour les populations plus défavorisées, et cela malgré le mécanisme de MAF mis en place par l'assurance soins de santé. A contrario, la diminution ou la suppression du ticket et l'octroi du tiers-payant ne provoquent pas de surconsommation de soins mais permettent de ramener la consommation de soins à un niveau 'normal'. On peut donc se demander si le ticket modérateur ne passe donc pas à côté de son objectif de diminuer l'utilisation inappropriée des soins. En freinant l'accès aux soins de première ligne, il provoque un report de soins avec un impact négatif sur la santé et des dépenses plus importantes en deuxième ligne, notamment en médicaments et en hospitalisation, comme l'ont démontré d'autres analyses, notamment celle du KCE en 2008. "L'accessibilité de la première ligne est fondamentale souligne la note. Les maisons médicales, et notamment le système de financement au forfait participent à l'accessibilité de cette première ligne. Malgré cela, en octobre 2016, Maggie De Block décide de geler la croissance des maisons médicales au forfait. " Elle a en outre demandé à grand prix (200.000 euros) une nouvelle évaluation qui a été confiée à KPMG, cabinet d'audit privé, plutôt qu'au KCE, structure publique scientifique d'excellence spécialement créée pour ce genre d'étude ", soulignent Georges Bauherz et Michel Roland. " Depuis plus d'un an donc, aucune nouvelle structure forfaitaire n'a pu ouvrir ses portes. Il s'agit bien d'une décision idéologique, contre une initiative petite mais significative, qui tente, avec succès, d'explorer une autre organisation de système de soins promouvant une vision holistique de la santé et une prise en charge multidisciplinaire. (...) Alors que ce système collectif d'organisation des soins de santé se distingue et refuse de tomber dans la marchandisation et la privatisation à but de lucre des soins et lutte contre la mise en place d'une médecine à deux vitesses et d'une vision hospitalo-centré de la santé, le moratoire a montré que le gouvernement se montre hésitant à encourager sans ambiguïté ce type d'initiative. "" Je n'ai jamais été, bien au contraire, pour l'imposition d'un modèle unique ", commente le Dr Roland qui est à la base des maisons médicales en Belgique, lui qui en a fondé trois, dont la première à Bruxelles en 1972. " Je pense que les patients doivent avoir le choix du système dans lequel ils se retrouvent le mieux. Par contre, ce que je pense indispensable, c'est le travail en équipe et le travail en réseau. Là, évidemment, la télématique a un rôle à jouer. "Pour l'homme, ceci étant, le procès que l'on fait aux maisons médicales n'est pas bon. " C'est vrai que cela coûte plus cher en première ligne. Mais, ayant été à la base du forfait en 1985, on avait calculé des correctifs. Les patients sont plus jeunes, c'est vrai, mais il y a le double de BIM. L'un dans l'autre, je trouve que les deux systèmes ont leur place. Les patients ont leur choix à faire, ainsi que les médecins. Lorsque que j'étais professeur de médecine générale à l'ULB, je voyais bien avec le temps que de plus en plus de jeunes choisissaient le modèle des maisons médicales. Et parfois pour de mauvaises raisons : parce qu'effectivement il y a moins d'heures de travail quand on est à cinq que quand on est seul. Mais on peut mieux assurer la continuité des soins, sans avoir à travailler 12-14 heures par jour. L'organisation est plus facile, la clientèle est présente...Donc je pense que les maisons médicales vont émerger au détriment de la pratique à l'acte. C'est un modèle de soins qui permet le travail pluridisciplinaire de première ligne en réseau. Un réseau qui peut être virtuel grâce à la télématique. "Les auteurs pointent toutefois, sans caricature cette fois, le " tournant fondamental " pris par le gouvernement concernant la politique de santé en Belgique, " d'abord au niveau des mécanismes budgétaire et de financements mais aussi par la modification de la gestion paritaire, véritable ADN de notre système des soins de santé. " L'affaiblissement de la concertation sociale est essentiellement visé, avec les exemples de l'élaboration des budgets 2015,2016 et 2017. La note cite, par exemple, la nouvelle réglementation apportée par le budget 2017 qui amène " une plus grande confusion dans le déroulement du processus de concertation, une répartition des tâches entre les diverses organes beaucoup moins claire et une compréhension plus difficile du cadre budgétaire pour les différents acteurs. "Et de continuer : " Mais le changement le plus notable et regrettable derrière cette nouvelle règlementation concerne le temps accordé au Comité de l'assurance pour, à partir des positionnements des différentes commissions de conventions et d'accords, construire une proposition de budget concertée. Antérieurement, il possédait trois mois (de juillet à fin septembre) pour aboutir à une telle proposition. Ce qui permettait la possibilité d'une concertation large des différents organismes assureurs entre eux et des discussions entre organismes assureurs et représentants des professionnels de la santé. Dans la nouvelle réglementation, par contre, il y a, à peine une quinzaine de jours prévus pour ce travail d'arbitrage transversal. Formuler une proposition concertée ayant pu être discutée autant entre mutuelles qu'avec les prestataires a donc été impossible. En conclusion, si la concertation sociale reste possible en théorie dans la nouvelle réglementation introduite par le cabinet, ses conditions d'existences en pratique sont nulles. "Il y a une logique uniquement financière qui nuit à la politique de santé estime pour sa part Michel Roland. " Pour résumé, je dirais qu'il y a très peu de politique de santé en Belgique. L'OMS nous a décrit comme un non-system system, donc un système qui n'est pas un système. " L'explication est à trouver dans la marchandisation des soins, bien sûr, mais pas uniquement. " La médicomut est une discussion entre prestataires de soins et assureurs sur des bases uniquement financières. Il est très rare que l'on discute de politique. Ce sont un peu des marchands de tapis (rires). Ensuite cela arrive au Conseil de l'assurance et la ministre est toute contente lorsqu'il y a un accord médicomut. Cette concertation aboutissait à ce qu'il n'y ait pas véritablement de politique de santé. Maintenant, le gouvernement a pris les choses en mains et a imposé, finalement, une façon de construire le budget. Mais ce faisant, cela met à mal les concertations paritaires qui représentent notre modèle social belge et dont nous pouvons être fiers. Le positif, c'est que l'on commence à avoir une ébauche de politique de santé, mais dont les bases sont trop peu issues de la santé publique au profit de l'équilibre budgétaire. "Ce néolibéralisme contre lequel lutte la campagne Tam tam, pour certains, n'existe tout simplement pas. " Le néolibéralisme, c'est comme les soucoupes volantes: tout le monde en parle mais cela n'existe pas ", explique sur le plateau de BX1 Corentin De Salle, le directeur du centre Jean Gol. " C'est une fiction, une mystification créée de toute pièce par les auteurs antilibéraux pour discréditer indirectement le libéralisme. Aucun auteur ne soutient cette position et ces idées absurdes (destruction de la sécurité sociale, loi du plus fort, etc.) ne sont appliquées nulle part dans le monde et a fortiori pas en Belgique. " Pour le président de Médecins du monde, c'est pourtant clair. " Le néolibéralisme n'est pas libéral. Le libéralisme, c'est la défense des valeurs humaines, de la laïcité, et d'un État qui respecte les individus. Au contraire, dans le néolibéralisme, l'État est presque porte-parole du marché. C'est d'ailleurs pour cela qu'il faut un FMI, un OMC pour défendre la concurrence qui profite plus aux actionnaires qu'à l'objet social. "En conclusion, la situation n'est pas tenable à long terme soutient Michel Roland. " Si cela continue de la sorte, nous irons vers un système proche de celui pratiqué aux États-Unis, sans couverture universelle. Dans les années 90, j'espérais encore une levée de bouclier en Europe pour contrer l'évolution mondiale de la marchandisation des soins, mais c'est le contraire qui s'est produit. TINA, There is no alternative disait le slogan. Aujourd'hui, un anti-slogan voit le jour : There are many alternatives. "Le médecin est optimiste. " Il y aura une prise de conscience et une négociation. Le système néolibéral a ses limites, comme la délocalisation, comme on le voit actuellement avec Brussels Airlines. Je ne comprends pas qu'on puisse être attaché à ce système qui ne profite qu'à quelques-uns. Un vrai libéral s'oppose à cela, au nom de valeurs humaines et individuelles. Le néolibéralisme ne respecte plus l'homme, il ne vise que le profit. "1. La capsule est visible sur le site de la campagne Tam Tam : www.campagnetamtam.be/fr-santevideo2. La note est consultable via ce lien : www.campagnetamtam.be/fr-santerealite3. Plus d'informations ici : www.toutautrechose.be