Le terme de granulats SBR vient du mot barbare "styrène-butadiène", composant principal des caoutchoucs artificiels. On le retrouve dans tous les pneumatiques. Les premières générations de terrains synthétiques datent des années 60. Trop durs, ils ont été remplacés par des terrains synthétiques à base de granulats SBR dans le courant des années 90 (USA). Les raisons ? Ils permettent une utilisation plus intensive et en toute saison, demandent moins d'entretien, réduisent la consommation d'eau, évitent l'utilisation de pesticides. Les USA en comptent de 12.00 à 13.000 [i]. Ils sont utilisés, régulièrement ou occasionnellement, par des millions de personnes.
Des risques déjà très documentés.
Une abondante littérature scientifique existe sur ces terrains et leurs risques potentiels. Il en ressort, globalement, que
- les données épidémiologiques ne supportent pas l'hypothèse d'une association entre terrains synthétiques et cancer ;
- les risques pour la santé ne sont pas préoccupants ;
- il existe un risque pour l'environnement, localement et sur le long terme ;
- des investigations complémentaires sont nécessaires pour compléter la compréhension des risques et renforcer la sécurité des normes. Ces investigations recouvrent des études de caractérisation des granulats SBR et d'exposition humaine.
La "Environnemental Protection Agency" Américaine a publié en février 2016 un "Federal Research Action Plan on Recycled Tire Crumb Used on Playing Fields and Playgrounds" [ii] destiné à investiguer et documenter de manière exhaustive les questions qui se posent encore en matière d'exposition environnementale et humaine. Le rapport, en phase finale de relecture, devrait sortir en 2019.
En Europe, tout ceci fait l'objet de rapports récents, complets, convergents, issus de plusieurs institutions publiques : Institut National de Santé et de l'Environnement (Pays-Bas, 2017) [iii], Agence Chimique Européenne (2017)[iv], Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'Environnement et du travail (France, 2018) [v].
Le reportage de "Questions à la Une" aborde les différentes questions déjà instruites dans ces rapports, en insistant sur les risques de cancer et les risques environnementaux. Il détaille également la problématique des normes en incriminant l'industrie, les fabricants, et le monde politique.
Le reportage débute avec le cas particulier d'un jeune gardien de but anglais, décédé en 2018 d'une maladie de Hodgkin diagnostiquée 4 ans auparavant. Une équipe journalistique est dépêchée en Angleterre, où le cas a été largement médiatisé. Elle y interviewe longuement un père dévasté, persuadé que les terrains synthétiques sont responsables de la maladie de son fils et dévoré par l'obsession de le démontrer. Ce douloureux cas particulier sert de fil conducteur. Le reportage conclut avec un dernier retour sur le père et sur sa croisade.
La maladie de Hodgkin n'est pas un cancer environnemental
Certains facteurs environnementaux - benzène et hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), certains pesticides - sont associées à un excès de risque pour plusieurs leucémies, myélomes et lymphomes. A l'exception notoire de la maladie de Hodgkin dont le seul facteur de risque extérieur connu est infectieux (virus de Epstein Barr). L'évocation d'un lien possible entre maladie de Hodgkin et exposition environnementale, qui inaugure et clôture le reportage, ne correspond à aucune réalité clinique ou épidémiologique. La maladie de Hodgkin n'est connue ni comme cancer professionnel, ni comme cancer environnemental" [vi], [vii], [viii]. Accessoirement, aux Etats-Unis, le taux d'incidence de la maladie de Hodgkin a diminué de 1,8 % par an ces 10 dernières années [ix].
Des enquêtes épidémiologiques qui ne plaident pas pour une association entre terrains de sport synthétiques et cancers
La conviction du père du jeune homme provient d'une autre affaire médiatisée aux Etats Unis. Celle de la "liste de Amy Griffin". L'affaire est largement évoquée dans le reportage. Amy Griffin est coach de football féminin à l'Université de Washington et entraîne l'équipe U.S. de football des malentendants. Elle fit partie de l'équipe américaine qui gagna la première coupe du monde de football féminin en 1991. Sensibilisée au problème du cancer, Amy Griffin s'est persuadée que les terrains synthétiques sont responsables de cancers chez les jeunes joueurs, en particulier les gardiens de but, supposés en contact plus intense avec les granulats SBR. Entre 2009 et 2016, Amy Griffin a dressé une liste de joueurs atteints d'un cancer dans l'Etat de Washington. Elle a alerté les autorités publiques. En 2017, le Département de la Santé de l'Etat de Washington a diligenté une enquête épidémiologique [x] en utilisant la méthode classique d'exploration des clusters (Standardised Incidence Ratios). La conclusion est claire : la liste de Amy Griffin n'est en rien révélatrice d'un plus grand nombre de cancers chez les joueurs ou chez les gardiens de but.
Dans la foulée, une autre enquête épidémiologique a exploré la possibilité de liens entre le risque de lymphomes malins chez les jeunes de 14-30 ans, et la densité des terrains synthétiques dans les 58 comtés de Californie. L'étude ne suggère aucun lien (Cancer Epidemiology, 2018)[xi].
Ces deux études, qui ne plaident pas pour une association entre terrains synthétiques et cancers, sont passées sous silence par Questions à la Une .
Un monitoring d'exposition chez des enfants, non significatif et questionnable
Pour étayer son hypothèse d'une contamination via les granulats de pneu, "Questions à la Une" réalise un bio-monitoring. On y mesure la présence de toxiques ou de métabolites dans les urines de 5 enfants avant et après un stage de football de 4 jours sur un terrain synthétique extérieur. Un bio monitoring similaire est réalisé chez des adolescents avant et après un entraînement d'une journée sur un terrain intérieur. Les résultats, évoqués et commentés publiquement dans le reportage, font état de légères différences avant-après, pour les HAP et les phtalates. Ces légères différences - on ne donne aucun chiffre - sont qualifiées d'"inquiétantes", mais on laisse planer le doute sur leur origine.
Aucune conclusion "inquiétante" ne peut cependant être tirée de ces informations. On ne sait pas si les facteurs confondants ont été explorés (en particulier le facteur alimentaire, principale source d'exposition aux HAP). On ignore tout du protocole. Une étude de ce type doit être supervisée par un médecin, un responsable officiel des données doit être désigné, des consentements explicites doivent être signés par les parents, une demande d'avis à l'Autorité de Protection des Données devrait être faite par précaution. On ne sait pas si ces conditions ont été respectées.
Conclusion
Les terrains synthétiques font l'objet d'un engouement général dans les milieux sportifs. Ils permettent à plus de clubs de jouer d'avantage et dans de meilleures conditions. Les investigations réalisées à ce jour montrent que les risques pour la santé humaine ne sont pas préoccupants. Des incertitudes sur certains aspects toxicologiques demandent cependant des investigations supplémentaires, qui sont en cours aux Etats-Unis. Avec son reportage, "Questions à la Une" a généré une perception biaisée de la problématique. Il en découle pour la communauté, des craintes, des peurs, et au final des effets dommageables tout à fait disproportionnés.
Reférences
[i]https://www.syntheticturfcouncil.org/page/About_Synthetic_Turf
[ii]https://www.epa.gov/sites/production/files/2016-12/documents/federal_research_action_plan_on_recycled_tire_crumb_used_on_playing_fields_and_playgrounds_status_report.pdf
[iii]https://www.rivm.nl/bibliotheek/rapporten/2017-0017.pdf
[iv]https://echa.europa.eu/documents/10162/13641/annex-xv_report_rubber_granules_fr.pdf/fb5dae24-620d-b6ec-e4da-b82b1b61cc46
[v]https://www.anses.fr/fr/system/files/CONSO2018SA0033.pdf
[vi] Delzell E, Sathiakumar N et al. An updated study of mortality among North American synthetic rubber industry workers. Res Rep Health Eff Inst. 2006 Aug;(132):1-63; discussion 65-74.
[vii] Iavarone I, Buzzoni C et al. Cancer incidence in children and young adults living in industrially contaminated sites: from the Italian experience to the development of an international surveillance system. Epidemiol Prev. 2018 Sep-Dec;42(5-6S1):76-85
[viii]https://www.cancer.gov/types/lymphoma/hp/child-hodgkin-treatment-pdq#link/_420_toc
[ix]https://seer.cancer.gov/statfacts/html/hodg.html
[x]https://www.doh.wa.gov/Portals/1/Documents/Pubs/210-091.pdf
[xi]http://comedsoc.org/images/Bleyer%20Keegan%20Turf%20Ca%20CANEP%202018-2.pdf