Un village au look des années 50 a été recréé à San Diego pour des patients atteints de la maladie d'Alzheimer. Le but est de leur permettre d'avoir des interactions sociales mais surtout de stimuler leur mémoire, via la thérapie de réminiscence, en faisant ressurgir des souvenirs de leur enfance et leur jeunesse. Le concept pourrait être appelé à se généraliser.
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On l'appelle Town Square. Avec sa station-service, son théâtre, son cinéma qui projette des films d'époque, ses boutiques, sa bibliothèque où l'on trouve des journaux titrant " Roosevelt est mort ", son restaurant Rosie's où des notes de mélodies anciennes sortent d'un juke-box neuf, cette petite bourgade, réplique d'une ville imaginaire des années 50, a l'air figée dans les glorieuses fifties.Reconstruite par les centres de jour pour adultes du George G. Glenner Alzheimer's Family Center dans un centre commercial de la banlieue de San Diego (Californie) qui s'étend sur 800 m2, elle est pourtant toute neuve. Dédiée aux personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer et de sénilité, elle vient d'être inaugurée en août dernier.Sachant que bon nombre des malades atteints d'Alzheimer ou de troubles de la mémoire sont des octogénaires et que, selon les chercheurs, les souvenirs les plus vivaces et les plus durables sont ceux que l'on se fabrique entre 10 et 30 ans, le choix des années 50 fait sens.Le but du projet est de recréer l'atmosphère d'antan afin de stimuler la mémoire des patients. Ils sont invités à se promener et à pratiquer des activités dans un environnement qu'ils ont connu naguère et qui les rassure, dans l'espoir qu'ils puissent retrouver un lien avec leur passé et leur identité et ainsi recouvrer une partie de leurs souvenirs d'enfance ou de jeunesse. C'est ce qui est appelé thérapie de la réminiscence.Town Square est en réalité un établissement de soins de jour. Chaque jour, des patients sont donc envoyés en soin dans cette " fausse " ville. Ils circulent en petits groupes avec un assistant. Chaque lieu est un prétexte pour pratiquer un exercice de stimulation de la mémoire.Outre le visionnage de films et l'écoute de musique des années 50, les malades peuvent aussi réaliser des puzzles à la bibliothèque, écouter des conteurs, prendre soins d'animaux dans l'animalerie, etc.En réalité, Town Square pousse loin le concept de réminiscence, apparu pour la première fois en psychiatrie en 1963 et mis en oeuvre au fil du temps, via des ateliers de réminiscence.Comme son nom l'indique, ce concept, qui a été déjà fait l'objet de nombreux ouvrages et articles scientifiques, repose sur les réminiscences, des bribes de souvenirs anciens. Elles peuvent demeurer longtemps chez des personnes atteintes de détérioration cognitive aux stades débutants et modérés, et certaines catégories de souvenirs, ceux qui relèvent de la mémoire procédurale en particulier, persistent jusqu'à un stade avancé.La réminiscence exploite cette caractéristique. Elle consiste la plupart du temps en des séances collectives au cours desquelles les soignants, en s'aidant de films, de photographies, de musiques, de vêtements d'époque et de messages sensoriels stimulants, encouragent en effet les malades à raconter des événements et des expériences du passé.A l'heure actuelle, la thérapie de réminiscence (*) fait partie des prises en charge pour traiter les pathologies neurodégénératives et plus généralement les patients qui présentent des lésions cérébrales.Bon nombre de spécialistes de la maladie d'Alzheimer considère que cette thérapie a fait ses preuves. Plusieurs études ont d'ailleurs montré qu'elle a une efficacité significative sur les troubles du comportement. Elle permet aussi de réduire le stress des patients, de diminuer leur agitation, de renforcer leur estime de soi, de reconstruire leur identité, de faciliter la communication et les interactions avec l'entourage, d'améliorer leur humeur et la qualité de leur sommeil, d'atténuer l'état dépressif qui accompagne les premiers stades d'une démence, de procurer du plaisir et ainsi freiner, pour un temps, la progression de la maladie.Ceci dit, la thérapie de réminiscence n'est pas considérée comme un remède à la perte de mémoire et son efficacité à long terme reste à prouver.Pour mesurer la portée réelle de ce nouveau traitement, Town Square s'est d'ailleurs doté d'un pôle de recherches qui " mènera une étude comparative avec les établissements traditionnels, de l'impact de nouvelles approches thérapeutiques sur les malades, les aidants et les soignants. "Par ailleurs, certaines voix critiques se font entendre à l'égard de Town Square qu'elles considèrent comme un ghetto pour malades mentaux où l'on viserait à reproduire une normalité que les personnes démentes n'ont pas.Reste que la demande est forte. Bien qu'à San Diego le tarif soit de 95 dollars la journée, la thérapie par réminiscence remporte un franc succès et Town Square devrait faire des émules. Une autre bourgade factice devrait prochainement faire son apparition à Baltimore, dans le Maryland, et plus de 200 villes sont candidates aux États-Unis.En France aussi, un tout premier " Village Alzheimer " devrait ouvrir ses portes fin 2019 à Dax, dans les Landes, et accueillir 120 patients, accompagnés d'une centaine de soignants et de bénévoles.Enfin rappelons qu'une démarche similaire en matière de psychogériatrie est entreprise depuis 2009, aux Pays-Bas, à Hogewey, un hameau situé à une vingtaine de kilomètres d'Amsterdam.Luc Ruidant