On gérait déjà la complexité, devra-t-on dorénavant prendre en charge l'incertitude ? La récente épidémie due au Coronavirus bouleverse nos cadres de classification des populations malades.
Prenez la tuberculose. Pas un cadeau, mais une répartition claire : le non-malade, le primo-infecté, le tuberculeux et le vacciné. Un dépistage bien codifié, un traitement, un vaccin. Les exemples similaires pullulent, qui permirent de traiter avec des consignes claires des situations parfois lourdes de dangers.
Et soudain, tout bascule avec un virus minuscule mais emblématique de notre époque chaotique, dont la rencontre ne crée pas deux catégories de patients, mais une dizaine.
Le non-porteur sain, forcément asymptomatique, mais dans lequel on distingue dès le départ deux populations bien distinctes : le patient lambda et le patient à haut risque (les vieux, les gros, les sucrés, les déjà malades d'autre chose, les hypertendus, ceux qui prennent un sartan, les immunosuppressés, et les pires de tous : ceux qui cumulent tout). Deux prises en charge dissemblables, on en protège l'une, on surprotège l'autre. Et une question sans réponse : où placer les gosses ? Le virus glisse-t-il sur eux comme la graisse sur le téflon, ou sont-ils comme les chauve-souris un réservoir non-malade mais infectant.
Le porteur non-malade qui s'ignore, totalement asymptomatique, qui sort, travaille, soigne ses semblables, aime, festoie, fait son jogging chaque jour, rénove sa maison, tond la pelouse et infecte tout ce qu'il croise dans ses multiples activités. Par civisme il porte le masque et se distancie comme il peut, sans trop y croire car n'ayant peur de rien, il n'imagine guère qu'un homme en bonne santé puisse constituer une menace.
L'infecté symptomatique, et c'est ici que les soucis naissent, car il constitue à lui seul une catégorie multiple. Face au Coronavirus, oubliez définitivement la notion d'égalité. Deux sexagénaires de même condition sociale, au parcours professionnel similaire, sportifs l'un et l'autre, sans aucun facteur de risque connu, confrontés au même virus, réagiront de manière tout-à-fait différentes sans aucun critère prédictif. Michel Barnier, Philippe Bodson. Après un mois, l'un reprendra ses activités, l'autre se sera éteint. Le syndrome viral mineur confondu avec un banal coryza s'estompe spontanément chez les uns, et en conduit d'autres au respirateur. D'aucuns ne présenteront guère d'autres symptômes qu'une agueusie-anosmie, sous-catégorie supplémentaire qui s'effiloche lorsqu'on teste leur sérologie, parfois négative. Malade, pas malade, immunisé, non-immunisé, un chat n'y retrouve ses jeunes.
Et les tests, docteur ? S'il nous restait un espoir d'y voir clair, dès le départ ils ont parfois ajouté de l'incertitude au doute en raison d'une sensibilité aléatoire liée en partie aux conditions de prélèvement. Des maisons de repos préservées du virus en totalité, mais où l'écouvillon ne semble pas avoir dépassé le bord des narines, des frottis revenus négatifs chez des patients à l'imagerie pulmonaire suspecte, ou encore des frottis négatifs en nasopharyngé mais positifs en oro-pharyngé. Frotter n'est jamais certain. Piquer non-plus : la possibilité récente d'effectuer des sérologies testant l'immunité, dans lesquelles on plaçait l'espoir d'enfin distinguer de manière indiscutable ceux qui avaient été infectés et les autres, ne paraissent à l'heure actuelle pas apporter les certitudes attendues : des tableaux cliniques fort suspects débouchent sur des sérologies banales, et des patients sains se testant par curiosité reviennent étonnamment avec des taux positifs.
Pour faire simple, on peut ainsi imaginer un patient totalement asymptomatique mais contagieux, non-frotté, non confiné, à sérologie négative mais néanmoins immunisé. Les experts me contrediront si je m'égare. Et s'il fallait se résoudre à aborder dorénavant la médecine sur un mode échappant aux catégories simples ? La guérilla plutôt que le choc en plaine, où toute personne apparemment saine représente parfois un danger potentiel, où un frotté négatif peut constituer un contamineur redoutable, où une sérologie normale s'accompagne peut-être d'une immunité larvée, ou son contraire ? Et s'il fallait se résoudre à l'humilité ?
Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste et auteur
Prenez la tuberculose. Pas un cadeau, mais une répartition claire : le non-malade, le primo-infecté, le tuberculeux et le vacciné. Un dépistage bien codifié, un traitement, un vaccin. Les exemples similaires pullulent, qui permirent de traiter avec des consignes claires des situations parfois lourdes de dangers.Et soudain, tout bascule avec un virus minuscule mais emblématique de notre époque chaotique, dont la rencontre ne crée pas deux catégories de patients, mais une dizaine.Le non-porteur sain, forcément asymptomatique, mais dans lequel on distingue dès le départ deux populations bien distinctes : le patient lambda et le patient à haut risque (les vieux, les gros, les sucrés, les déjà malades d'autre chose, les hypertendus, ceux qui prennent un sartan, les immunosuppressés, et les pires de tous : ceux qui cumulent tout). Deux prises en charge dissemblables, on en protège l'une, on surprotège l'autre. Et une question sans réponse : où placer les gosses ? Le virus glisse-t-il sur eux comme la graisse sur le téflon, ou sont-ils comme les chauve-souris un réservoir non-malade mais infectant.Le porteur non-malade qui s'ignore, totalement asymptomatique, qui sort, travaille, soigne ses semblables, aime, festoie, fait son jogging chaque jour, rénove sa maison, tond la pelouse et infecte tout ce qu'il croise dans ses multiples activités. Par civisme il porte le masque et se distancie comme il peut, sans trop y croire car n'ayant peur de rien, il n'imagine guère qu'un homme en bonne santé puisse constituer une menace.L'infecté symptomatique, et c'est ici que les soucis naissent, car il constitue à lui seul une catégorie multiple. Face au Coronavirus, oubliez définitivement la notion d'égalité. Deux sexagénaires de même condition sociale, au parcours professionnel similaire, sportifs l'un et l'autre, sans aucun facteur de risque connu, confrontés au même virus, réagiront de manière tout-à-fait différentes sans aucun critère prédictif. Michel Barnier, Philippe Bodson. Après un mois, l'un reprendra ses activités, l'autre se sera éteint. Le syndrome viral mineur confondu avec un banal coryza s'estompe spontanément chez les uns, et en conduit d'autres au respirateur. D'aucuns ne présenteront guère d'autres symptômes qu'une agueusie-anosmie, sous-catégorie supplémentaire qui s'effiloche lorsqu'on teste leur sérologie, parfois négative. Malade, pas malade, immunisé, non-immunisé, un chat n'y retrouve ses jeunes.Et les tests, docteur ? S'il nous restait un espoir d'y voir clair, dès le départ ils ont parfois ajouté de l'incertitude au doute en raison d'une sensibilité aléatoire liée en partie aux conditions de prélèvement. Des maisons de repos préservées du virus en totalité, mais où l'écouvillon ne semble pas avoir dépassé le bord des narines, des frottis revenus négatifs chez des patients à l'imagerie pulmonaire suspecte, ou encore des frottis négatifs en nasopharyngé mais positifs en oro-pharyngé. Frotter n'est jamais certain. Piquer non-plus : la possibilité récente d'effectuer des sérologies testant l'immunité, dans lesquelles on plaçait l'espoir d'enfin distinguer de manière indiscutable ceux qui avaient été infectés et les autres, ne paraissent à l'heure actuelle pas apporter les certitudes attendues : des tableaux cliniques fort suspects débouchent sur des sérologies banales, et des patients sains se testant par curiosité reviennent étonnamment avec des taux positifs.Pour faire simple, on peut ainsi imaginer un patient totalement asymptomatique mais contagieux, non-frotté, non confiné, à sérologie négative mais néanmoins immunisé. Les experts me contrediront si je m'égare. Et s'il fallait se résoudre à aborder dorénavant la médecine sur un mode échappant aux catégories simples ? La guérilla plutôt que le choc en plaine, où toute personne apparemment saine représente parfois un danger potentiel, où un frotté négatif peut constituer un contamineur redoutable, où une sérologie normale s'accompagne peut-être d'une immunité larvée, ou son contraire ? Et s'il fallait se résoudre à l'humilité ?Dr Carl Vanwelde, médecin généraliste et auteur