...

Les hôpitaux se sont engagés dans une course à lʼéquipement et proposent unpanel de techniques toujours plus étendu. Cependant leur utilisation doitrésulter dʼune réflexion critique sans cesse renouvelée, afin de faire lʼépargne de dommages iatrogènes et des coûts inutiles. Le recul dont nous disposons aujourdʼhui nous permet de critiquer les anciennes habitudes de prise encharge de pathologies illustrant bien le phénomène de surmédicalisation. Cʼestle cas de lʼembolie pulmonaire et des cancers de la prostate et du sein. Avec lʼamélioration de la sensibilité diagnostique, le nombre de patients traités pources maladie a augmenté prodigieusement, sans diminution à même mesure dela mortalité. En ce qui concerne le budget croissant des soins de santé, la Belgique y consacre plus de 10% de son PIB. Mais investir toujours davantage dans les soins peut se montrer contre-productif, car une expansion permanente de lʼoffre médicale sʼaccompagne dʼun abaissement du seuil de perception des maladies. Ainsi une proportion grandissante de patients bien-portants mais se vivant comme malades a recours aux soins de santé, mobilisant des ressources humaines et techniques dont pourraient bénéficier des patients plus vulnérables.Le phénomène nʼest pas récent puisquʼil est déjà dénoncé dans les années1970. Des ouvrages publiés sur le sujet ont permis lʼémergence dʼune prise de conscience du grand public. En réponse à la surmédicalisation émerge le concept de prévention quaternaire, sa mission est de protéger les patients de dégâts iatrogènes évitables. Cʼest un concept éthique dʼauto-limitation que tout médecin peut appliquer à chaque étape de la prise en charge de sespatients et qui a acquis une portée mondiale. Quant aux origines de lasurmédicalisation, elles sont bien sûr multiples. Le développement exponentiel du plateau technique médical et son accessibilité encouragent la recours aux examens secondaires qui visent à diminuer le doute diagnostique. Doute qui fait écho à la notion dʼerreur médicale, phobie de tout médecin évoluant dans une société peu tolérante à lʼincertitude. Une autre origine a trait au culte de la performance. Une bonne santé ne suffit plus, lʼindividu "sain" doit êtresportif, cultivé, efficace. On fera tout pour dissimuler les signes du vieillissement, masquer la fatigue et atténuer la douleur, physique ou morale. Dans cette société soumise au dictat de la productivité, le temps est une ressource à la gestion délicate, or communiquer avec son patient est chronophage. Le recours à la médication permet souvent dʼabréger les consultations car il est plus simple dʼavaler un comprimé que de changer des habitudes. Un autre phénomène qui mérite dʼêtre souligné est celui du"disease mongering", la fabrication de maladie. Elle se résume par lʼidée que beaucoup dʼargent peut être obtenu en faisant croire à des personnes en bonne santé quʼelles sont malades. Ainsi les firmes pharmaceutiques nʼont-elles eu de cesse dʼenvoyer des messages visant à faire de symptômes des maladies. Un élément supplémentaire est le développement dʼinternet. Nombreux sont les patients qui y cherchent des informations, dont la qualité et la neutralité fonts ouvent défaut et pouvant être à lʼorigine de demandes ultérieures. Les médecins sont eux aussi la cible dʼinformations dont la justesse scientifique et la neutralité sont parfois insuffisantes. Enfin la communication imparfaite entre acteurs des lignes de soins peut-être la source de redondances.Les pistes de solutions au phénomène de surmédicalisation sont le reflet des mécanismes qui lʼalimentent.Au centre de la prise en charge médicale se trouve la rencontre médecin patient, nécessitant communication et écoute. Les pouvoirs publiques doivent permettre aux médecins dʼaccorder à cette dimension du soin toute la place quʼelle mérite et lʼacte intellectuel doit être valorisé. Les compétences en communication des médecins devraient être davantage encouragées.Les médecins ont le pouvoir dʼaider les patients à développer leur littératie en soins de santé et si les patients doivent-être bien informés, cʼest aussi le cas des médecins. Dʼoù lʼimportance de leur accorder un temps suffisant de formation et de soutenir le développement de sources informatives fiables. La formation des médecins à la lecture critique de lʼinformation médicale est également primordiale et chaque médecin devrait avoir une utilisation fluide de lʼEBM. Au-delà du rôle de lʼinformation, les pouvoirs publics ont également le pouvoir dʼimpacter positivement les habitudes de prescription. A titre dʼexemples, la prescription en DCI et le remboursement des médicaments à lʼunité.Le fait de se sentir malade dépend partiellement de valeurs sociétales. Ainsi des outils invitant à la réflexion sur des questions fondamentales comme la souffrance ou la perte sont-ils plus que jamais nécessaires, tant aux patients quʼaux soignants. Un retour à la spiritualité, quelle quʼen soit la forme, pourrait nous aider à porter un regard moins médical sur la souffrance humaine.Enfin lʼéducation des futurs professionnels de la santé est un moment privilégié pour instaurer les bons réflexes dʼune future pratique responsable. En conclusion, bien que présentant nombre de travers notre médecine occidentale pourrait évoluer vers plus de justesse, dʼefficacité et dʼhumanisme si un désir collectif dʼaller dans ce sens était soutenu par les soignants, les patients et les pouvoirs publics. Ce désir de changement repose avant tout sur une prise de conscience toujours plus étendue de la situation actuelle et de ses enjeux.