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[Lire aussi notre article]En 2017, le Collège universitaire de médecine intégrative et complémentaire (Cumic) a été créé à la demande du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche en France [3]. Ce Collège regroupe des universitaires médecins, dentistes, sages-femmes, psychologues, kinésithérapeutes impliqués dans l'enseignement, la recherche et/ou l'activité clinique portant sur les thérapies complémentaires et leur intégration aux soins conventionnels appelée " médecine intégrative ". Cette création répond aux demandes conjointes de l'Académie nationale de médecine [4] et de la Conférence des doyens de médecine en France qui soutiennent un enseignement critique sur l'intérêt et les risques des thérapies complémentaires, et appellent à la structuration de départements de médecine intégrative dans les facultés de médecine. Notons à cet égard qu'il existe plus de 13 professeurs d'université en Allemagne et plus de cinq en Suisse avec orientation médecine intégrative et complémentaire [2].Depuis sa création, le Cumic a rédigé une question sur ce que sont les thérapies complémentaires et la médecine intégrative et, à titre d'exemple, sur l'intérêt et les risques de quatre thérapies complémentaires dans le cadre des questions obligatoires dans la formation de 2e cycle des étudiants de médecine en France. Le Cumic a aussi établi des critères qualité pour garantir la qualité et la rigueur scientifique des formations postuniversitaires portant sur des thérapies complémentaires [5]. Enfin, un projet de surspécialisation en médecine intégrative est en construction, dont l'objectif sera de former de futurs cliniciens capables de créer ou coordonner des services de médecine intégrative et/ou des réseaux ambulatoires de médecine interactive [6].Cette structuration en France poursuit au moins trois objectifs. Premièrement, elle vise à garantir un accès sécurisé des patients qui le souhaitent à certaines thérapies complémentaires (c'est-à-dire en complément des soins conventionnels) dans le cadre de programmes de soins balisés et accompagnés par une évaluation. En effet en France, comme dans de nombreux pays européens, 40% de la population a eu recours à au moins une pratique de soins non conventionnelle dans l'année écoulée et ce chiffre atteint 70% pour les patients ayant un cancer [7]. Or, si certaines de ces pratiques sont réservées aux professions médicales en France (acupuncture, homéopathie, ostéopathie médicale [8]) d'autres sont exercées par une grande diversité de praticiens, notamment non professionnels de santé, dont la formation et l'éthique sont parfois peu lisibles. Certains usages de ces thérapies peuvent ainsi présenter un risque de dérive thérapeutique. Si les pouvoirs publics semblent actuellement privilégier des actions politiques de sensibilisation (en luttant contre la désinformation) voire d'interdiction, le Cumic propose surtout de s'inspirer du modèle qui a fait ses preuves en addictologie : celui de la réduction des risques et des dommages [9]. La création de parcours de soins intégratifs apparaît ici comme une solution pertinente pour réduire les risques et dommages de certaines pratiques et d'améliorer la qualité des soins.Le second objectif concerne les professionnels de santé qui ont la possibilité d'être formés à des pratiques de soins non conventionnelles. Plusieurs études qualitatives menées auprès d'infirmiers ont montré que la possibilité d'exercer une de ses pratiques leur permet d'améliorer la qualité de leur relation aux patients et de retrouver un sens à leur fonction de soignant [10]. La France connaît une désaffection croissante des soignants pour les hôpitaux, lesquels ne se reconnaissent plus dans une pratique médicale de plus en plus technique. Soutenir le développement de la médecine intégrative par une formation des soignants permettrait non seulement d'améliorer la qualité de la médecine intégrative en France mais aussi de limiter ce départ de certains soignants... dont un certain nombre se tourne parfois vers un exercice purement libéral de thérapies déconnectées des soins conventionnels.Un troisième objectif plus ambitieux rejoint le modèle développé en Suisse à la demande de la population qui s'est exprimée dans une votation en 2009 en faveur d'un accès sécurisé aux thérapies complémentaires [11]. Il porte sur une réglementation des praticiens de santé non professionnels de santé dont l'exercice devrait être conditionné à une formation encadrée par l'État, comprenant des bases médicales suffisantes [12]. L'objectif de cette formation serait principalement de réduire les usages à risques de ces pratiques liés au manque de formation de ces praticiens. Notons que ces derniers se développent notamment en France dans les déserts médicaux, devenant ainsi les premiers professionnels pour entrer dans les soins... La France n'ayant toujours pas réussi à engager une politique cohérente sur la gestion des déserts médicaux.Il reste un long chemin à parcourir pour arriver à une telle structuration, mais une forte demande du côté des patients et une volonté évidente de nombreux universitaires d'avancer dans cette structuration nécessaire de la médecine intégrative en France.Signataires: Fabrice Berna, François Paille, Laurence Verneuil et Julien Nizard.Références1. Cumic. Faut-il intégrer les pratiques de soins non conventionnelles au système de santé? Le Figaro Santé [Internet]. 2023 [cité 10 févr 2024]; Disponible sur: https://sante.lefigaro.fr/social/sante-publique/faut-il-integrer-les-pratiques-de-soins-non-conventionnelles-au-systeme-de-sante-202312182. Homberg A, Scheffer C, Brinkhaus B, Fröhlich U, Huber R, Joos S, et al. Naturopathy, complementary and integrative medicine in medical education - position paper by the GMA Committee Integrative Medicine and Perspective Pluralism. GMS J Med Educ. 14 avr 2022;39(2):Doc16. 3. Nizard J, Kopferschmitt J. Collège universitaire interdisciplinaire de médecine intégrative et thérapies complémentaires (Cumic). 2017;7:4. 4. Académie Nationale de Médecine, Commission XII. Thérapies complémentaires en France?: La science doit être au centre de toutes les initiatives [Internet]. Académie Nationale de Médecine; 2021 juin [cité 23 déc 2022]. Disponible sur: https://www.academie-medecine.fr/therapies-complementaires-en-france-la-science-doit-etre-au-centre-de-toutes-les-initiatives/5. Cumic [Internet]. [cité 11 févr 2023]. Page Enseignement du CUMIC. Disponible sur: https://www.cumic.fr/enseignement6. Berna F, Verneuil L, Paille F, Nizard J. Pourquoi enseigner les thérapies complémentaires et la médecine intégrative au cours des études médicales?? Et comment?? soumis; 7. Fjær EL, Landet ER, McNamara CL, Eikemo TA. The use of complementary and alternative medicine (CAM) in Europe. BMC Complement Med Ther. 6 avr 2020;20(1):108. 8. Conseil National de l'Ordre des Médecins. Les pratiques de soins non conventionnelles et leurs dérives. Etat des lieux et propositions d'actions. Paris; 2023 p. 88. 9. Berna F, Nizard J, Verneuil L, Paille F. La réduction des risques et des dommages appliquée aux pratiques de soins non conventionnelles?: analyse des usages à risques et questionnaire d'évaluation des risques. Presse Médicale Form. déc 2023;S2666479823002574. 10. Hall H, Leach M, Brosnan C, Collins M. Nurses' attitudes towards complementary therapies: A systematic review and meta-synthesis. Int J Nurs Stud. 1 avr 2017;69:47-56. 11. Rodondi PY, Berna C. Académisation de la médecine complémentaire et intégrative?: une nécessité à plusieurs niveaux. Rev Med Suisse. 27 janv 2021;17(723):163-4. 12. Berna F, Berna-Renella C, Verneuil L, Nizard J, CUMIC. " Il est temps d'accorder une place raisonnée aux médecines alternatives dans le système de soins ". Le Monde [Internet]. 10 nov 2022 [cité 26 févr 2023]; Disponible sur: https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/11/10/il-est-temps-d-accorder-une-place-raisonnee-aux-medecines-alternatives-dans-le-systeme-de-soins_6149270_3232.html