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C'est un euphémisme d'affirmer que les résultats 2023 de Mithra sont désastreux, d'autant que la perte de 173,5 millions s'ajoute à un poste déjà tristement gonflé par les années précédentes: le total des pertes approche les 600 millions. À un cours de 24 cents le jour de cette annonce, la bourse valorisait l'entreprise à... 16 millions. Il n'y a, en soi, aucun lien entre ces chiffres, mais on conviendra qu'ils en disent long sur l'état de l'ex-vedette liégeoise. L'entreprise signale par la même occasion qu'elle est prête à vendre tout ce qui pourrait faire rentrer des liquidités, en particulier son usine de Flémalle. Encore faibles, les ventes ont chuté de 40% l'an dernier, à 40,2 millions. Quel contraste avec le ton optimiste adopté jusqu'ici. Le site Internet continue même de présenter l'entreprise en ces termes: "Active dans plus de 100 pays à travers le monde, Mithra explore le potentiel de l'Estétrol, un oestrogène natif unique, dans un large éventail d'applications dans le domaine de la santé féminine et au-delà." Même entrain au niveau de la communication ponctuelle. Le 7 novembre dernier encore, l'entreprise annonçait avoir obtenu un nouveau brevet aux États-Unis, qui prolonge la protection de Nextstellis jusqu'en 2036. Vendues chez nous sous le nom Estelle, ces pilules contraceptives contiennent essentiellement le fameux Estétrol, produit vedette de Mithra, associé au progestatif drospirénone. Le communiqué évoquait également l'accord de licence et d'approvisionnement exclusif accordé à l'entreprise pharmaceutique américaine Mayne Pharma pour 20 ans, aux États-Unis et en Australie. Le CEO de l'époque (viré le 5 mars dernier) affirmait alors que le produit est "le premier nouvel oestrogène à être introduit aux États-Unis en plus de 50 ans". En léger rebond depuis quelques jours, l'action Mithra cote alors péniblement 1,5 euro. Il y a en réalité belle lurette que le marché n'y croit plus... Petit retour en arrière. C'est en 2018 que l'entreprise pharmaceutique, lancée en 1999 par François Fornieri et le beaucoup moins médiatisé Jean-Michel Foidart, devient une véritable vedette. Introduite en bourse en 2015, l'action Mithra se contentait jusque-là de fluctuer autour de 20 euros, mais elle grimpe soudain au début 2018, frisant les 40 euros en été. Elle revient rapidement à moins de 30 euros et s'accroche à la barre des 20 euros jusqu'au début 2022. C'est ensuite la dégringolade, le titre passant sous les dix euros en avril et sous les cinq euros en novembre. Il plonge sous un euro au début février dernier, quand Mithra reconnaît être aux abois, avec des liquidités lui permettant de tenir seulement jusqu'au début du mois de mars. Et le 5 de ce mois, l'entreprise annonce à la fois avoir viré son CEO et contracté deux prêts, de 18,5 millions au total. Il s'agit clairement de garder la tête hors de l'eau quelques semaines supplémentaires... Comment et pourquoi l'ex-star liégeoise a-t-elle ainsi sombré? On sait bien que, très prisé des investisseurs, le secteur pharmaceutique et biotech peut réserver le meilleur comme le pire (lire encadré "De nombreux échecs"). Le scénario est souvent assez simple: le remède ayant fait l'objet de coûteuses recherches, des années durant, n'offre pas les effets escomptés. L'argent investi est dès lors perdu et la société est en sursis. Tel n'est toutefois pas le cas de Mithra, dont la pilule contraceptive Estelle est commercialisée depuis plusieurs années. Le Donesta, pour le traitement de la ménopause, a suivi, sans oublier les plus confidentiels anneau contraceptif Myring et comprimé Tibelia utilisé en hormonothérapie. Oui, mais... Les partenariats noués par Mithra pour commercialiser ces produits au niveau international l'ont été avec des acteurs de second rang qui ont d'entrée de jeu suscité une sérieuse défiance auprès des investisseurs. Ceci explique que le cours de l'action a décroché il y a plusieurs années déjà. Qu'en est-il? Le hongrois Gedeon Richter n'est pas un acteur négligeable, avec un chiffre d'affaires de quelque deux milliards d'euros l'an dernier. De plus, il est largement axé sur la santé féminine, lui aussi. N'empêche, cette entreprise reste d'envergure limitée et peut difficilement faire des étincelles au bénéfice de son partenaire liégeois. Les ventes de produits Mithra avaient plus que doublé au premier semestre 2023, mais il ne s'agissait encore que de 13,8 millions d'euros. La force de frappe de l'américain Mayne Pharma est, elle, franchement modeste, avec un chiffre d'affaires annuel inférieur à 200 millions de dollars. Les ventes du Nextstellis de Mithra ont explosé pour l'exercice 2022-2023, affiche le rapport annuel de l'entreprise, mais elles n'ont quand même représenté que 14,1 millions de dollars, ce qui reste dérisoire pour les Etats-Unis, premier marché du monde. A noter que le Donesta en est absent, un autre élément négatif volontiers mis en lumière par les analystes. Quant au marché chinois, il a fait l'objet d'un accord avec Gedeon Richter le 4 décembre dernier. Un peu tard... Le CDMO de Flémalle constitue à coup sûr l'autre clou du cercueil des ambitions de Mithra. Ce superbe et imposant (15.000 m2) bâtiment a coûté 75 millions d'euros à la construction et son fonctionnement annuel en requiert 30 à 35 millions. C'est donc un gouffre! Ce CDMO n'est pas l'usine fabriquant les produits mis au point par Mithra, qui viennent surtout d'Allemagne. Il s'agit en réalité d'une plate-forme qui offre "une gamme complète de services allant du développement pharmaceutique à la fabrication commerciale", explique l'entreprise. Ce site vise donc clairement d'autres entreprises et son manque de succès est quasiment sans lien avec les produits Mithra. C'est ce qui explique la facilité avec laquelle la direction envisage sa vente. Quels que soient les évènements dans l'avenir immédiat, on a compris que l'entreprise Mithra "actuelle" était arrivée en fin de parcours. Le fait que le groupe américain Armistice Capital y ait injecté 20 millions d'euros en août de l'an dernier laisse supposer que les actifs de l'entreprise ne sont pas dénués d'intérêt. Mais au cours symbolique qui prévaut aujourd'hui pour l'action, il suffirait d'une mise aussi modeste pour prendre le contrôle du spécialiste liégeois de la santé féminine. Il arrive aussi qu'on préfère prononcer la faillite pour simplifier la reprise. On verra. Dommage en tout cas...