À l'appui de leurs recours, ces associations ont fait valoir plusieurs arguments. En premier lieu, elles soutenaient que la disposition querellée instaure une différence de traitement non justifiée entre les médecins généralistes et les autres médecins et plus particulièrement les médecins spécialistes ; ces derniers n'étant pas obligés d'appliquer, pour les mêmes prestations, ce mode de paiement.
Il ne se justifierait pas non plus de traiter différemment les médecins généralistes et les autres titulaires d'une profession libérale à qui ils peuvent être comparés en raison de la liberté dans l'organisation de l'exercice de leur profession et de leur liberté d'entreprendre.
En revanche, alors qu'il aurait été logique de traiter différemment les médecins généralistes conventionnés et les médecins généralistes non conventionnés, force est de constater que la législation dont question les place sur un pied d'égalité alors que ces catégories ne sont pas du tout comparables.
Enfin, la disposition attaquée porterait atteinte au principe de sécurité juridique, en raison d'une part de la signification confuse de la notion de " algemeen geneeskundige " utilisée dans la version néerlandaise et d'autre part en raison de son application avec effet rétroactif.
Esprit de la loi
Saisie de ce recours, la Cour constitutionnelle a pris soin d'examiner l'évolution législative en la matière ainsi que l'esprit de la loi querellée.
Elle a ainsi relevé que l'obligation d'appliquer le régime du tiers payant avait originairement été introduite par une loi (2) qui prévoyait, à l'époque, l'obligation pour tous les dispensateurs de soins d'appliquer, pour les prestations médicales déterminées par le Roi, le régime du tiers payant à l'égard de deux catégories de personnes, étant les bénéficiaires de l'intervention majorée de l'assurance et les bénéficiaires du statut " affections chroniques ".
Cette législation avait été justifiée par le souci d'amélioration de l'accessibilité financière des prestations de santé au profit de ces deux groupes plus vulnérables (3).
Le législateur a ensuite limité cette obligation aux prestations des médecins généralistes, que le Roi détermine, fournies aux bénéficiaires de l'intervention majorée de l'assurance (4). Les autres dispensateurs de soins et les patients bénéficiant du statut " affections chroniques " ne relevaient donc plus de ce régime.
Cette restriction avait alors été motivée par les difficultés opérationnelles de la mise en exécution d'une telle obligation qui suppose l'utilisation d'un réseau électronique.
Enfin, le législateur (5) a pris la loi querellée qui reprend en des termes quasi identiques le contenu de la précédente législation.
Absence de discrimination - Sécurité juridique
Eu égard aux objectifs poursuivis, la Cour constitutionnelle a estimé que les différences de traitements soulevées étaient justifiées et donc non discriminatoires.
En ce qui concerne la différence de traitement entre les médecins généralistes et les autres médecins, force est de constater que le législateur a souhaité améliorer l'accessibilité financière des prestations de santé tout en garantissant l'applicabilité technique du régime concerné qui implique l'utilisation du réseau électronique MyCareNet en vue de consulter le statut d'assurance du bénéficiaire et la facturation électronique.
Afin de concilier ces deux objectifs, le législateur a pu, sur base du large pouvoir d'appréciation dont il dispose dans le cadre de sa politique socio-économique, déterminer les catégories des dispensateurs de soins qui relèvent de ce régime.
La cour ne peut sanctionner un tel choix politique que s'il est dépourvu de justification raisonnable.
Or, tel n'est pas le cas en l'espèce dans la mesure où les médecins généralistes sont principalement chargés de prodiguer des soins de santé de première ligne et jouent à ce titre un rôle particulier dans la promotion de l'accessibilité des soins de santé.
Il n'y a donc pas de discrimination à traiter différemment les médecins généralistes et les autres médecins.
Ceci est encore plus patent par rapport aux autres titulaires d'une profession libérale qui jouent un rôle moins important si pas inexistant dans l'amélioration de l'accessibilité des soins de santé.
Enfin, il n'est pas discriminatoire de traiter de la même manière les médecins conventionnés et non conventionnés en ce qui concerne le mode de paiement de la partie des honoraires qui correspond à l'intervention de l'organisme assureur.
L'obligation pour cette seconde catégorie d'appliquer le régime du tiers payant a également pour effet d'améliorer l'accessibilité des soins de santé sans par ailleurs porter atteinte à la faculté qu'ils ont de fixer librement leurs honoraires.
Pour le surplus, la cour constitutionnelle a estimé que le principe de sécurité juridique n'était pas mis à mal.
Selon elle, le terme utilisé dans la version néerlandaise de " algemeen geneeskundige " (et non " huisarts ") n'est absolument pas ambigu. Il ne fait aucun doute qu'il a, en l'espèce, la même portée que la notion de " médecin généraliste ".
Enfin, s'il est vrai que la loi du 17 juillet 2015 s'applique à partir du 1er juillet 2015, soit également pour des prestations déjà effectuées lors de son entrée en vigueur, force est de constater que la disposition querellée a un contenu quasi identique à la précédente législation de sorte qu'il ne peut être raisonnablement soutenu qu'elle porte atteinte, de manière discriminatoire, au principe de la sécurité juridique.
Conclusion
Sur le plan du droit, cet arrêt nous semble devoir être approuvé.
La différence de traitement est en effet raisonnablement justifiée eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur et au rôle joué par les médecins généralistes.
Sur le plan des principes, cet arrêt nous rappelle encore le rôle des médecins généralistes au niveau de l'accessibilité aux soins de santé.
Il ne nous reste plus qu'à espérer que les mérites de ces praticiens ne soient pas générateurs uniquement d'obligations mais également de plus de droits.
Sources :
- Arrêt n° 137/2016 du 20 octobre 2016 de la cour constitutionnelle (numéros de rôle : 6321 et 6322). Les associations ont chacune introduit un recours et les deux affaires ont été jointes.
- Modification de l'article 53, § 1er, alinéa 9, de la loi AMI par l'article 18 de la loi du 27 décembre 2012 portant des dispositions diverses en matière d'accessibilité aux soins de santé.
- Doc. Parl. Chambre 2012-2013, Doc. 53-2524/001, P.12.
- Article 137 de la loi - programme du 19 décembre 2014.
- Article 20 de la loi du 17 juillet 2015 portant des dispositions diverses en matière de santé.