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Rempart contre l'inflation, assurance contre des évènements extrêmes, diversification judicieuse: les vertus prêtées au métal jaune sont diverses et plus ou moins fondées. Il convient toutefois d'admettre que l'image de l'or plonge dans l'histoire, la mythologie, voire les contes de fée, de sorte que son approche est (aussi) relativement irrationnelle. On a pu le détester ou le mépriser, à l'instar du célèbre économiste Keynes le qualifiant de "relique barbare", une expression qui a fait florès. À l'instar aussi de plusieurs banques centrales occidentales s'étant massivement délestées de leurs réserves dans les années 1980... et ayant de ce fait perdu des fortunes. Au premier rang d'entre elles figure tristement la Belgique! Divers investisseurs, y compris professionnels, considèrent au contraire qu'un portefeuille équilibré doit comporter un peu d'or. Un peu... ou un peu plus, suivant les circonstances. On observe par ailleurs l'émergence croissante de très gros investisseurs, à savoir les banques centrales d'États voulant diversifier leurs réserves et, surtout, y diminuer le poids du dollar. Ce n'est pas pour rien que l'once d'or (soit 31,1 grammes) s'était grosso modo propulsée de 1.250 dollars en 2018 à 2.000 dollars en 2020. Et qu'elle a tout récemment retrouvé et largement dépassé cette barre symbolique. Quelles sont les qualités attribuées à l'or? Une protection en cas d'évènements extrêmes? En tant qu'actif réel, tangible, il est historiquement apprécié comme tel. Ce fut le cas au début de l'année 1980, après l'entrée des armées soviétiques en Afghanistan et les propos alarmistes tenus par plusieurs personnalités. En France, on a même assisté à une ruée de panique sur le "napoléon", la pièce de thésaurisation nationale. Son cours a doublé en quelques heures, avant que cette flambée n'engendre des ventes venant rééquilibrer le marché. Ajusté pour l'inflation, le cours du début 1980 demeure le record à ce jour. Force est de reconnaître qu'on n'a rien connu de semblable depuis. Même si de nombreux particuliers européens se sont précipités pour acheter des lingots lors de la crise financière de 2008 et que le cours de l'or a grimpé. Toutefois, c'est durant les années suivantes, période plus apaisée, que le métal précieux s'est le plus apprécié. Ni la guerre en Ukraine, ni le récent conflit de Gaza n'ont provoqué de flambée spectaculaire. Curieusement, c'est la crise du covid qui a suscité un fameux bond, l'once progressant de plus d'un quart entre le mois de janvier 2020 et l'été. Le côté protection (ou dernier recours) de l'or était très présent dans l'esprit des anciens ayant connu la guerre, ou encore de ceux que la guerre froide entre l'Est et l'Ouest a pu faire trembler par moments. Cette vision s'est visiblement fort estompée. Du coup, la diversification des portefeuilles grâce à l'or semble en prendre un coup. Le principe souvent exposé est en effet qu'en cas de krach ou autre panique financière, tandis que les actions piquent du nez, et peut-être aussi les obligations, l'or grimpe au contraire grâce aux achats empressés de ceux qui s'inquiètent. Cette vision est toutefois excessive: une juste diversification ne vise pas un actif qui grimpe quand un autre recule. Il suffit qu'ils ne baissent pas de concert! Par ailleurs, l'or peut fort bien s'apprécier pour d'autres raisons. Dès l'instant où celles-ci sont différentes des éléments faisant grimper les actifs financiers, il y a bel et bien diversification judicieuse. Le même raisonnement vaut évidemment pour les (autres) matières premières ou encore l'immobilier. Certains présentent aujourd'hui le bitcoin et les autres crypto-actifs comme une alternative. Sans entrer dans le débat, on soulignera simplement qu'il ne s'agit absolument pas là d'actifs réels. Bien au contraire... Et qu'en est-il de ce fameux rempart contre l'inflation? En tant qu'actif réel, l'or peut très bien jouer ce rôle, au même titre que l'immobilier encore une fois. Mais en ne perdant pas de vue que le niveau des taux d'intérêt est essentiel: si le rendement offert par les obligations est au moins égal à l'inflation, un rempart en actifs réels ne sera sans doute pas jugé indispensable par la plupart des investisseurs. Au demeurant, la flambée d'inflation de l'année 2022 a, dans un premier temps, provoqué une baisse sensible de l'once: alors qu'elle avait un moment passé le cap des 2.000 dollars au début mars, elle a chuté aux environs de 1.620 dollars en octobre, soit à l'époque de l'inflation maximum! Alors, rempart ou pas... Il résulte de ce petit tour d'horizon que les qualités supposées du métal jaune ne sont pas à prendre pour argent comptant... sans jeu de mots. Et qu'en est-il de son gros défaut proclamé, à savoir qu'il n'offre pas de rendement, contrairement aux actions et obligations? Le métal jaune devrait dès lors baisser quand les taux d'intérêt grimpent (et inversement), puisque l'investisseur détenant de l'or se prive alors d'un revenu plus élevé, en obligations par exemple. Suivant ce principe, serait-ce la certitude que la baisse des taux d'intérêt par les banques centrales va vraiment intervenir cette année qui a fait grimper l'or aussi sensiblement ces dernières semaines? Pas sûr: le marché en est persuadé depuis longtemps, quitte à douter de temps en temps. L'explication principale pourrait être totalement différente. C'est la Chine qui achète, affirme Solita Marcelli, de la banque suisse UBS, interrogée par le magazine Forbes. Ce pays était la destination de la moitié de l'or expédié en ce début d'année. Pourquoi cet empressement? Le déclic pourrait avoir été la confirmation que c'est bien Donald Trump qui sera le candidat républicain aux élections américaines du 5 novembre prochain. Or, on le sait vent debout contre l'empire du Milieu, prêt à renforcer les barrières sur les importations de produits chinois, tout comme les restrictions d'exportation de produits américains stratégiques vers la Chine. Le rapport avec l'or? Simple: Pékin veut accélérer le placement d'or dans ses réserves, au détriment des obligations de l'État américain, dont elle fut longtemps le principal acheteur. Parce que ce n'est peut-être plus un placement sûr si la situation s'envenime entre les deux pays... Ceci ne fait en réalité que renforcer une tendance qui prévaut depuis plusieurs années déjà à une large échelle, à savoir la volonté des banques centrales de divers États d'accumuler de l'or pour diversifier leurs réserves avec un actif réel et moins dépendre des devises occidentales, dollar en tête. Sur une demande record de 4.900 tonnes en 2023, les achats nets des banques centrales ont atteint 1.037 tonnes, après 1.082 tonnes déjà en 2022. Outre la Chine et la Russie, on relève la Turquie et l'Inde, mais pas seulement. L'an dernier, c'est la Pologne qui s'est distinguée, avec pas moins de 130 tonnes! Ce mouvement semble promis à durer, voire se renforcer. Notamment de la part de la Chine. Elle possède officiellement 2.235 tonnes d'or, contre 8.100 pour les États-Unis et 3.300 pour l'Allemagne. Plus important: le métal jaune ne représente encore que 4% de ses colossales réserves. On peut donc imaginer qu'elle poursuive ses achats et même les accentue. Et comme elle n'est pas seule, on comprend que le sentiment des professionnels à l'égard de l'or est plutôt positif pour cette année et les suivantes.