Depuis l'aube des temps, l'être humain a cherché à altérer ses états de conscience. Il est donc d'autant plus complexe de lutter contre l'alcoolisme. Mais "Tournée minérale" peut se targuer d'avoir obtenu des résultats. Explications sur la 9e du nom, qui a démarré avec le concours de la SSMG.
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Récemment, une journée de réflexion autour du lancement de la 9e Tournée minérale se tenait à Louvain-la-Neuve. Martin De Duve (Univers santé, organisateur de l'événement), Sylvie Gérard (Conseil supérieur de la santé) et Éric Paquet (cellule alcool, SSMG) en ont résumé la substantifique moelle pour les médias. Journée ensoleillée oblige, ce n'a pas été le succès des grands jours. Mais le jdM était là, c'est l'essentiel. Depuis sa création en 2017 par la Fondation contre le cancer, "Tournée minérale®" (désormais une marque déposée) s'est imposé comme un rendez-vous incontournable pour sensibiliser aux effets de la consommation d'alcool sur la santé. Depuis 2020, l'ASBL Univers santé a repris les rênes de cette campagne, "qui encourage chaque année des milliers de Belges à faire une pause dans leur consommation d'alcool". Pour sa 9e édition, Tournée minérale "met l'accent sur le rôle fondamental des médecins généralistes pour réduire le 'treatment gap', cet écart significatif entre le nombre de personnes ayant besoin d'une prise en charge et celles qui en bénéficient".L'alcool est partout, omniprésent dans le quotidien des Belges, perçu comme un simple vecteur de convivialité. Mais derrière ce vernis festif, c'est un véritable fléau qui gangrène la société. Son coût humain et économique est colossal, ses conséquences désastreuses. Pourtant, on continue de tolérer sa banalisation sous prétexte de traditions et de culture. Les chiffres, eux, ne mentent pas: 14% des adultes belges sont des consommateurs excessifs et 7% sont alcoolo-dépendants. On déplore 9.300 décès par an. Ce qui pèse lourd sur le système de santé et l'économie. Encore que le décompte macabre doit être pire si l'on reprend les crimes, viols et homicides involontaires commis sous l'emprise de l'alcool. Remarquez-vous dans les séries américaines à quel point les personnages sont entourés de boissons alcoolisées de toutes sortes alors qu'ils n'ont plus, depuis longtemps, une cigarette au bec? Banalisation, vous dis-je... Chez les 15-29 ans, rappelle Martin De Duve, l'alcool est la première cause de mortalité. "Les campagnes de prévention peinent à s'imposer face à une industrie de l'alcool qui inonde l'espace public de messages publicitaires plus attractifs les uns que les autres. Pendant ce temps, la consommation continue de déclencher une avalanche de pathologies, d'accidents de la route, de violences domestiques et de problèmes de santé mentale. Rien que l'absentéisme et la perte de productivité coûtent des milliards. On chiffre l'impact économique de l'alcool entre 4,2 et 6 milliards d'euros par an (et même peut-être 13 milliards, si on extrapole les statistiques françaises, NdlR), alors que les recettes fiscales qu'il génère ne dépassent pas 1,8 milliard. Le compte est vite fait."Face à ce constat accablant, Tournée minérale est incontournable. Chaque année en février, 1,5 million de Belges se passent d'alcool pendant un mois. La SSMG, qui regroupe près de 3.000 médecins généralistes francophones, joue un rôle majeur dans cette bataille, explique Éric Paquet. "Elle se mobilise pour que les médecins soient mieux équipés face à la problématique de l'alcool. Elle propose des formations, des webinaires, des guides pratiques et des outils de dépistage pour que les consultations deviennent un véritable levier de sensibilisation." Or, trop souvent, l'alcool est un sujet tabou en consultation, soit par manque de formation des praticiens, soit par peur de froisser le patient. La SSMG veut briser le tabou en accompagnant les médecins pour qu'ils puissent aborder la question sans culpabilisation. Les résultats de Tournée minérale parlent d'eux-mêmes. En 2024, la participation a atteint 15% des Belges, avec une augmentation notable chez les jeunes adultes, passant de 22 à 28% en un an. "Un tiers des participants ont consulté un professionnel de santé pour en savoir plus sur leur consommation. Près de 20% des participants réduisent leur consommation six mois après l'opération." Des chiffres encourageants pour la SSMG, mais qui montrent aussi que la dépendance à l'alcool est profondément ancrée. Tournée minérale milite pour un encadrement plus strict de la publicité et du marketing alcooliers, inspiré du modèle appliqué au tabac. "Il est urgent d'introduire des avertissements sanitaires clairs sur les bouteilles d'alcool et de limiter la disponibilité des produits, en interdisant par exemple leur vente aux mineurs et en réglementant les horaires et lieux de distribution. La mise en place d'un prix minimum par unité d'alcool est une autre mesure qui pourrait contribuer à freiner la consommation excessive."Mais la formation des médecins, insuffisante, doit être renforcée, lorsqu'on sait que certaines pratiques accueillent 25% d'alcooliques auxquels, en principe, le MG ne peut consacrer qu'un quart d'heure. "Il faut favoriser les interventions brèves en consultation et créer un titre officiel d'alcoologue afin d'orienter plus efficacement les patients", pointe le Dr Paquet. "L'accent doit également être mis sur la prévention en entreprise et la responsabilisation des employeurs face à la consommation d'alcool sur le lieu de travail."Le Conseil supérieur de la santé évoque, de son côté, une législation qui obligerait à proposer des carafes d'eau gratuites dans l'Horeca, comme en France et aux États-Unis. Pas forcément un point de détail...