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Bien que certains de ses extraits soient disponibles en vente libre en (para)pharmacie depuis un bon bout de temps, le chanvre suscite encore pas mal d'interrogations, voire d'inquiétudes, chez certains patients. Comme si la plante ne pouvait être dissociée du haschisch... Le chanvre - de son petit nom latin Cannabis Sativa L. - présente pourtant des ressources remarquables (pour ne pas dire "stupéfiantes"), qui font désormais l'objet de nombre de recherches scientifiques (plus de 2.800 références sur Pubmed). Ainsi chez CBX Medical, jeune entreprise wallonne qui bénéficie d'un partenariat de recherche avec la faculté de pharmacie de l'ULB (lire ci-dessous). Nous avons participé à l'une des matinées scientifiques que cette start-up propose aux médecins afin d'éclairer le rôle et l'utilité potentielle des cannabinoïdes dans leur pratique clinique. Plus de 2.000 médecins et pharmaciens ont déjà suivi des formations (huit, en moyenne, sont organisées chaque mois). Rendez-vous au pied du champ expérimental de cannabis de Lasne (Brabant wallon). La douce fin de l'été sonnera bientôt l'heure de la récolte du chanvre, certains spécimens de Sativa L. (sans THC) pointent déjà à plusieurs mètres de haut. Parmi la septantaine de personnes présentes, environ un tiers de médecins généralistes, un tiers de spécialistes dont une majorité d'anesthésistes- algologues et oncologues et un tiers d'infirmières spécialisées en soins palliatifs ou dans la douleur chronique. "C'est clairement le thème de la douleur, dans cet événement, qui m'intéresse", confie Édouard, jeune généraliste actuellement médecin conseil en mutuelle à Bruxelles, qui croise des patients douloureux au quotidien. Latha, une généraliste namuroise elle aussi médecin conseil en mutuelle, confirme: "Je participe à cette formation parce qu'il y a, en Belgique, 350.000 malades chroniques en incapacité de travail depuis plus de 12 mois, souvent pour cause de lombalgies ou de fibromyalgie. C'est un réel souci de santé publique, nous devons pouvoir orienter ces patients vers d'autres voies thérapeutiques."Véronique et Sylvie sont infirmières à la Clinique de la douleur du Centre hospitalier Epicura (Baudour). C'est leur collègue Fouzia qui les a encouragées à faire le déplacement: "Lionel (le patron de CBX, NdlR) est venu faire une présentation à Epicura, c'était très enrichissant. J'ai apprécié le partage et les interactions, tant avec les médecins que les paramédicaux, et dans une approche holistique. C'est une formation très intéressante pour la prise en charge de nos patients", assure-t-elle, tout en dégustant une praline... au chanvre, réalisée par Thomas Genonceaux, pharmacien chocolatier à Braine-l'Alleud. À côté de ses recherches ULbistes qui visent à développer un médicament antalgique à partir du chanvre, CBX Medical distribue déjà, essentiellement en pharmacie, plusieurs compléments à base d'extraits de cannabinoïdes. "On sait que les cannabinoïdes offrent une nouvelle alternative", expose Lionel Quataert, cofondateur de la start-up, ingénieur et détenteur d'un certificat interuniversitaire en cannabis médical de l'Université Paris-Saclay. "Nous avons deux piliers. D'un côté, la collaboration scientifique: nous initions des études 'real life' avec des hôpitaux et nous avons notre champ de cannabis de trois hectares en collaboration avec le Groupe santé CHC de Liège en face de leur clinique de Hermalle (lire jdM 2780). De l'autre côté, la communication multidisciplinaire, avec nos formations (accréditées, NdlR) sur les cannabinoïdes, mais aussi des sujets plus larges." Et de rappeler que la Région wallonne leur a fait confiance, en juin 2023, avec une subvention du SPW de plus d'un demi- millier d'euros (somme que CBX porte à 800.000 euros sur fonds propres). C'est en compagnie de Patricia Bourguignon, biologiste-immunologue et nutrithérapeute, et du Pr Étienne Masquelier, spécialiste en médecine physique (CHU UCL Namur) et plus particulièrement expert en fibromyalgie, que démarrent les exposés scientifiques... On discute Gaba, oméga-3, dérégulation du glutamate, curcuma, insulinorésistance, hyperactivité prémorbide et douleurs nociplastiques, tout en marchant d'un bon pas autour du champ de chanvre. Une démarche péripatéticienne, au sens étymologique du terme, et d'ailleurs baptisée "Arist'walk" en mémoire d'Aristote qui baladait les élèves de son lycée dans Athènes tout en discutant, le mouvement étant déjà connu pour soutenir les fonctions cognitives telles que l'apprentissage et la réflexion. "C'est la première fois que nous testons ce concept", souffle Lionel Quataert, pas peu fier. "Marcher ainsi, entre professionnels de la santé, peut vraiment insuffler une dynamique nouvelle, et participe aussi du principe 'practice what you preach'", sourit-il. Les participants sont visiblement enchantés de cet enseignement ouvert, en mode peripateîn. Retour en position assise pour le second acte, qui s'ouvre avec le Dr Jean-Philippe Wagner, oncologue et algologue, spécialiste en santé intégrative (Clinique de Flandre, Dunkerque), qui explique la place des cannabinoïdes, en tant qu'intervention non médicamenteuse (INM), dans les trajets de soins liés à la douleur chronique. Et de rappeler "le scandale des opioïdes, qui ont fait plus de 640.000 morts aux États-Unis depuis 1999. Depuis 2020, les CDC recommandent les INM dans la douleur chronique non cancéreuse", affirme l'algologue, "et le Royaume-Uni a emboîté le pas en 2021". En France, les "INM" sont le cheval de bataille du Pr Grégory Ninot (Université de Montpellier- Inserm), président de la "Non Pharmacological Intervention Society" (NPIS). La matinée se clôture avec Carla Hamann, biologiste et doctorante à l'ULiège (Centre interdisciplinaire de recherche sur le médicament - CIRM), lauréate de la Fondation Léon Fredericq, qui poursuit sa thèse sur le système endocannabinoïde (SEC) et ses perspectives dans le cancer du sein, et planche notamment sur "l'effet d'entourage" des différents composés du cannabis. "Une synergie 1+1 = 3", se réjouit la jeune femme, qui cherche à déterminer les types d'interactions entre cannabinoïdes et terpènes pour "aboutir à un extrait enrichi de chanvre qui contiendrait les proportions idéales pour une valorisation thérapeutique". Une trentaine d'études sont actuellement en cours sur les effets du cannabis rien qu'en oncologie. La révolution est en marche.