Au mois d'août, l'Ordre des médecins enregistrait déjà quasi deux fois plus de plaintes que pour toute l'année 2022. Et du côté de la police, 273 P.-V. pour "coups envers la profession médicale" ont été dressés sur les seuls neuf premiers mois de 2022.
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Où s'arrêtera la flambée de violence qui menace chaque jour davantage les soignants? Au vu des dernières statistiques de criminalité de la police fédérale - 273 P.-V. pour "coups et/ou blessures volontaires envers la profession médicale" de janvier à septembre 2022 -, on dépassera largement la barre symbolique des 300 faits en 2022. Et ce n'est guère mieux du côté de l'Ordre des médecins qui recensait, à la mi-août de cette année, pas moins de 135 plaintes, déjà, pour agression via son formulaire en ligne[1], contre 77 pour l'ensemble de l'année 2022. Du jamais vu. Et c'est sans compter les faits qui échappent aux statistiques officielles dont, notamment, les agressions verbales (flots d'injures, tout particulièrement dans les services d'urgences) et la violence psychologique (harcèlement pour des certificats, des prescriptions...). "C'est beaucoup, et pourtant ce n'est que la pointe de l'iceberg", rappelle à juste titre Pascale Senny, chargée de mission chez Médecins en difficulté, le "0800" de confiance mis à disposition des médecins pour recueillir leurs plaintes mais aussi accueillir leur détresse. "L'urgentiste agressé se dit sur le moment même ''Ce n'est pas grave'' et passe à l'urgence suivante. Quand il a enfin fini journée, il est tellement fatigué qu'il renonce à aller porter plainte ou même à remplir le formulaire en ligne. Et le généraliste harcelé, où va-t-il déposer plainte? En a-t-il seulement le temps? N'a-t-il pas peur des représailles? Si, au moins, il existait une ligne directe...", souligne Mme Senny. C'est un des combats de l'Ordre: centraliser un point de signalement des agressions envers les prestataires de soins pour pouvoir dresser un véritable état des lieux de ce fléau en Belgique, un phénomène sociétal qui n'a cessé de s'amplifier au cours de la dernière décennie et touche tous les pays. À titre de comparaison, les P.-V. pour "coups et/ou blessures volontaires envers un fonctionnaire de police" fluctuent entre 800 et 900, selon les années, depuis 2000, et ceux concernant le personnel enseignant varient entre 350 et 450 par an, ces dix dernières années. Des chiffres certes plus élevés, mais plus stables que ceux des agressions médicales, plus récentes et toujours en mode ascensionnel. Fin février dernier, face à l'augmentation, déjà, du nombre de notifications d'agressions envers les médecins via son point de contact, le Conseil national de l'Ordre des médecins s'était réuni pour faire le point, soulignant par ailleurs que cette tendance, pour le moins inquiétante, concernait également d'autres prestataires de soins de santé, "portant préjudice à la relation de soins". Aujourd'hui, l'Ordre passe à la vitesse supérieure et organise un symposium le mois prochain. "L'Ordre souhaite examiner cette problématique dans un cadre multidisciplinaire, afin de contribuer à y apporter des solutions avec l'aide de tous les acteurs concernés", explique l'institution, invitant tant les praticiens des soins de santé que les décideurs politiques à participer pour "réfléchir aux moyens susceptibles de faire bénéficier à l'avenir les professionnels des soins de santé de conditions de travail plus sûres". En attendant de mettre en place des mesures concrètes, comme c'est déjà le cas en Espagne qui pratique désormais la tolérance zéro, toute violence doit être signalée. Il ne faut en aucun cas "taire le mal", soulignait déjà l'Ordre des médecins dans nos colonnes en début d'année (lire jdM n°2740). Aucune forme d'habituation, de tolérance ni de fatalisme ("à quoi bon?") n'est de mise, si l'on veut arriver à éradiquer le mal. "On sent clairement une différence ces derniers temps", reprend Pascale Senny, qui reçoit au quotidien la souffrance des praticiens au téléphone. "On les sent de plus en plus déstabilisés, confrontés à une solitude et une incompréhension: ce sont des métiers difficiles, par vocation, ils ne comprennent pas cette violence alors qu'ils font tout pour aider le patient..."