D'ici 2050, en Belgique, la population de plus de 80 ans aura doublé. Parallèlement, le secteur de la santé évoluera fortement dans les prochaines années: virage ambulatoire, désinstitutionalisation, augmentation importante des maladies chroniques... Ce contexte, désormais bien connu, aura des impacts importants sur le secteur de l'aide et des soins à domicile qui, si rien ne change, sera dans l'incapacité de répondre à l'ensemble des besoins de la population. C'est en tout cas l'avis de la Mutualité chrétienne et de Solidaris, qui tirent la sonnette d'alarme.
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C'est Alexandre Verhamme, directeur général de la MC, qui prend la parole en premier. "Le modèle des soins à domicile est aujourd'hui à la corde", prévient-il d'emblée. "C'est un secteur sous pression." Le DG avance plusieurs facteurs, tels l'accessibilité aux professions des soins à domicile (infirmières, aides familiales, coordination) et le financement qui ne suit pas la courbe de croissance du secteur. "Durant la crise sanitaire, on a beaucoup parlé des hôpitaux et des MRS. À juste titre. Mais on n'a pas assez parlé de l'aide et des soins à domicile", enquille Jean-Pascal Labille, secrétaire général de Solidaris. "Or, si ce secteur avait craqué pendant la crise, je ne sais pas comment les autres systèmes de soins auraient tenu. Il s'agit d'un secteur essentiel dans le continuum des soins." L'homme fort de Solidaris regrette, comme son homologue de la MC, la marchandisation qui commence à poindre dans le secteur. "Il faut préserver ce système de la logique marchande pour la simple raison qu'il s'agit d'un système de proximité, qui aide à la cohésion sociale." Il est d'autant plus important de préserver le secteur qu'il pèse 8.500 emplois pour les deux mutuelles, avec des niveaux de formation différents. "C'est un secteur qui est en souffrance. Il y a une tension financière sur les structures. Aujourd'hui, les modèles de financement du secteur de l'aide et des soins à domicile sont dépassés. Ils ne permettent plus de couvrir les coûts de l'organisation de services, des soins infirmiers. Ce n'est pas nouveau", explique Gaël Verzele, directeur général de la Fédération de l'aide et des soins à domicile (FASD), avant de donner un exemple. "Aujourd'hui, une injection intramusculaire est un acte technique infirmier qui n'est financé que 35 secondes. Cela veut dire qu'à partir du moment où l'infirmier éteint le moteur devant le domicile, il a 35 secondes de salaire pour aller réaliser cet acte-là. C'est irréaliste. Et cela montre la dégradation des conditions financières, car le même acte était financé 60 secondes il y a dix ans.""Depuis 2022, nous sommes passés sous le seuil de rentabilité. Nos dépenses sont supérieures aux recettes, aux subventions", continue Gaël Verzele. "Or, nous ne pouvons pas demander plus aux patients sous peine de diminuer l'accessibilité des soins. Cela entraîne des choix sur le terrain: des baisses de prestations, voire des arrêts, et une baisse de la qualité. C'est un vrai enjeu de société auquel il faut répondre avec une pénurie de personnel. Si on ne répond pas à ces défis, les soins à domicile seront reportés sur les autres secteurs de soins qui sont déjà à la corde. Et cela entraînera de facto un surcoût pour la société."Déborah Dewulf, directrice générale de la Fédération des centrales de services à domicile (FCSD) termine sur les problèmes du secteur: "Nous sommes à la croisée des chemins. Les besoins sont énormes. Face au risque accru de marchandisation de notre secteur, l'humain, on doit le placer au centre. Pour nos travailleurs, à qui l'on doit proposer des conditions de travail dignes, agréables, mais surtout leur permettre d'être vus dans l'espace public et dans l'espace professionnel. Ce sont des métiers qui sont souvent méconnus. Nous devons vraiment travailler à la reconnaissance de ces métiers. Et derrière, il y a nos bénéficiaires. Ce ne sont pas que des personnes âgées en perte d'autonomie, qui représentent environ 70% de nos bénéficiaires. Ce sont aussi 30% de gens en fragilité sociale, en sortie d'hospitalisation psychiatrique, en fragilité familiale. Il faut donc proposer une aide et des soins de qualité, donc reconnus et agréés par les autorités, afin d'éviter les dérives et garantir l'accès aux soins et aux services."Les quatre personnalités ont abordé les problèmes du secteur. Mais quelles solutions envisagent-elles? "Nous avons déjà formulé des propositions pour améliorer les soins infirmiers à domicile", avance Gaël Verzele. "Nous proposons un modèle de financement proche du buurzorg (soins de proximité, NdlR) aux Pays-Bas, ou du modèle actuellement testé en France. Nous désirons un modèle qui favorise la prise en charge holistique des besoins de la personne, en finançant le temps pris chez le bénéficiaire, plutôt que les actes pratiqués. C'est un changement de paradigme qui permet l'accompagnement, l'empowerment du patient. Et cela permet, pour les travailleurs, de retrouver du sens au travail, de ne pas devoir faire de course à l'acte, d'agir davantage pour la prévention et la promotion de la santé. C'est un modèle qui doit permettre de prendre soin et plus de prodiguer des soins." Son argument de poids pour les politiques: le modèle permet des économies, car la prise en charge coûterait 25% moins cher à l'État. Et que des bons soins au bon endroit évitent le report des soins sur les autres structures de soins, pas forcément moins coûteuses. Malheureusement, implanter un nouveau modèle demande aussi un investissement au préalable. Est-ce que la priorité des futurs gouvernements sera l'aide et les soins à domicile? Rien n'est moins sûr. "Nous avons plusieurs revendications à l'égard du gouvernement fédéral et du gouvernement wallon", détaille Déborah Dewulf. "Le modèle infirmier à domicile doit effectivement évoluer vers un modèle de financement forfaitaire. Cela dépend du gouvernement fédéral. Mais il faut également mettre à plat le modèle de l'accompagnement à domicile (aide à domicile, aide familiale, aide-ménagère, aide sociale, garde à domicile). Et cela dépend de la Région wallonne. Le modèle actuel de financement arrive en bout de course. Il ne finance pas la logique de prise en charge holistique des bénéficiaires. Si les aides familiales sont bien financées, ce n'est pas le cas de la télévigilance, ou des aides ménagères sociales. L'ensemble des métiers n'est à ce stade pas financé. Dans une logique de soins intégrés, repenser le financement des ces services est essentiel.""Il faut revaloriser les métiers humains, les métiers du care", complète Alexandre Verhamme. "On doit aussi avoir une vision politique et un modèle qui intègrent l'ensemble des enjeux, notamment d'aménagement du domicile, d'équipements adaptés du domicile, de capacité à se mouvoir et de continuer une vie sociale. C'est un continuum. Il faut sortir des silos, des financements parcellaires, et adopter une vision globale. Il faut s'en donner les moyens."