Sensibiliser aux assuétudes dès le baccalauréat, rencontrer des usagers problématiques de substances illicites, utiliser un vocabulaire adéquat et suivre une formation spécifique font partie des pistes proposées par la Dre Lou Richelle pour mieux accueillir et accompagner ces patients en médecine générale.
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Comment améliorer l'accompagnement des personnes ayant un trouble lié à l'usage de substances illicites en médecine générale? Tel était l'objet de la thèse de doctorat (ULB) de la Dre Lou Richelle, médecin généraliste qui codirige aujourd'hui le département de MG de l'ULB. Nous avons déjà présenté une partie des résultats de son travail qui dresse un état des lieux de la situation en Belgique francophone [1]. Parmi les obstacles qu'elle a identifiés, la stigmatisation dont sont victimes ces patients, et le manque de formation des soignants en la matière. Parmi les leviers pour améliorer cet accompagnement, travailler sur les stigmas structurels et le langage de l'addiction, sensibiliser et former dès le début du cursus médical et mieux reconnaître et valoriser cette pratique. Ne dites plus "addict, drogué, junkie, toxicomane", dites "personne avec un trouble lié à l'usage de substances illicites (PTUSI)". Ne dites plus "ex-addict", "ex-toxicomane", dites "personne en rétablissement". Ne dites plus "traitement de substitution", dites "traitement par agonistes opioïdes" (TAO). "Il est très important d'utiliser un vocabulaire neutre, scientifique et précis, qui se concentre sur la personne avec un trouble lié à l'usage de substances illicites, et non sur le fait que la personne est le trouble. Le vocabulaire peut véhiculer, de manière inconsciente ou consciente, toute une série de stigmas. Cette stigmatisation peut se manifester sous différentes formes: sociales (attitudes discriminantes), structurelles (notamment au sein du système de soins) et peut générer de l'autostigmatisation, une marginalisation et une auto-exclusion des soins", a-t-elle mis en garde lors d'une conférence de la Féda Bxl (Fédération drogues addictions) [2]. Pour Lou Richelle, les patients PTUSI ont leur place en MG, mais elle ne leur est pas toujours acquise et adéquate (refus...). "Une société sans drogues n'existe pas et n'existera jamais. Il est important, en tant que soignant, de considérer ces usagers et de les accompagner le mieux possible. Il y a donc une nécessité d'une approche holistique qui intègre un soutien médical, psychologique et social pour les PTUSI. Mais j'ai fait le constat que l'accueil restait difficile en MG, et que les centres dédiés aux assuétudes étaient saturés. D'où ma question de recherche: comment améliorer l'accompagnement des PTUSI en MG?"Dès le début de sa thèse, deux points ont émergé: la stigmatisation et le besoin de formation. D'où l'idée de lancer une recherche-action sur un dispositif pédagogique. Après avoir analysé les besoins de formation en addictologie, un projet pilote a été mené en 2018 à Bruxelles et en Wallonie. Sur cette base, une Formation assuétudes [3] a été mise au point. Cette formation interuniversitaire (ULB, UCLouvain, ULiège) comporte une partie théorique (contexte éco-politique et historique, concepts d'addictologie, stigmas et langage, substances licites et illicites, aspects biopsychosociaux, accompagnement des proches, échanges de situations cliniques) et une partie pratique (deux fois six mois dans deux centres d'assuétudes, et six fois un demi-jour dans les réseaux assuétudes et chez les partenaires locaux (pharmacie, MG addictologue, ASBL et institutions). Elle est accessible aux assistants en MG et aux médecins déjà en activité. "On a évalué cette formation pendant cinq ans. On a noté beaucoup de satisfaction de la part des participants parce qu'elle répond à un manque, elle développe des compétences en termes de savoir, savoir être et savoir-faire avec ces publics. De plus, ces compétences peuvent aussi être appliquées dans d'autres situations, avec des publics vulnérables et dans l'accompagnement en général des maladies chroniques", précise la Dre Richelle. "Cette formation diminue les stigmas chez ceux qui la suivent, elle augmente leur empathie, leurs compétences en santé mentale et en addictologie, elle permet d'aborder cette thématique de manière holistique (prévention, réduction des risques, soins), d'appréhender cette clinique au niveau multidisciplinaire et transdisciplinaire, d'éprouver réellement la notion de partenariat patient, de travailler la question du cadre de consultation, de la réflexivité et du transfert des acquis d'apprentissage dans la pratique."À côté, Lou Richelle a aussi profité d'un dispositif pédagogique existant - le projet patient chronique - pour mener une étude interventionnelle auprès des étudiants en médecine et des assistants en MG. "Ce projet est obligatoire pour les 3e bacheliers à l'ULB: ils doivent suivre pendant trois ans un patient qui a au moins une maladie chronique et le voir au moins cinq fois. J'ai proposé à ces étudiants (313) de suivre un patient avec dépendance, on en a recruté neuf." "Notre étude montre que le discours se construit progressivement avec le temps et l'expérience. Les étudiants qui avaient choisi un patient avec dépendance avaient, à la base, moins de stéréotypes et de moralisme par rapport à cette question et, avec le temps, ils avaient de plus en plus d'optimisme face au traitement (contrairement à ceux qui ne suivaient pas ces patients), ils croyaient de moins en moins à une prise en charge spécialisée et suivaient ces patients dans le cadre de la MG."Dernière question: quelles sont les représentations des étudiants en dernière année de master? Pourquoi certains ont-ils envie de faire cette formation en assuétudes? "Les stigmas structurels avaient un impact sur les étudiants en médecine et leur volonté de s'engager dans cette clinique et d'accompagner ces patients. Plus d'un quart des étudiants en dernière année (27,6%) présentaient des attitudes très stéréotypées et moralistes. La moitié des étudiants (dont la plupart des futurs MG) étaient toutefois neutres par rapport aux stéréotypes et au moralisme. Nous avons pu constater que ces attitudes étaient influencées par leur vécu personnel et professionnel par rapport aux substances et par certaines caractéristiques sociodémographiques, mais également par les modèles de rôle et les mentors qu'ils avaient côtoyés durant leur parcours d'apprentissage", souligne-t-elle. "Il y a un contexte historique et éco- politique qui explique actuellement les représentations sociétales, la législation et les politiques de santé. Heureusement, ce contexte évolue, mais il a un impact sur le cursus médical, les représentations structurelles dans le système de santé, le langage utilisé et le paradigme de soin actuel fort autour de l'abstinence. Notre thèse a essayé de faire des sensibilisations, des formations et des revalorisations pour impacter positivement ce cursus, les représentations des médecins, notamment des MG, pour diminuer les stigmas, soutenir le rétablissement et arriver à plus de satisfaction dans le soin pour les patients et les soignants", souligne Lou Richelle. Dans cet objectif, les deux projets testés dans le cadre de sa thèse, même s'ils impliquaient un nombre limité de personnes, semblent montrer des effets positifs, notamment sur le plan de l'identité professionnelle en construction. Elle conclut en résumant les principaux leviers pour améliorer l'accompagnement en médecine générale: "Un travail sur les stigmas structurels et le langage de l'addiction, des sensibilisations et formations itératives et variées dès le début du cursus médical, et une meilleure reconnaissance et valorisation de cette pratique."