"On a largement étudié la prévention et le traitement des burn-out, y compris l'impact sur le contrôle et le sentiment de contrôle du prestataire sur son activité, mais pas spécialement sur les causes de ce manque de contrôle ni l'impact du carcan administratif."
Affronter les causes individuelles du burn-out
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La grande nouveauté dans le Landernau médical, c'est la création d'un baromètre du bien-être des médecins. L'Inami et la Santé publique au chevet des médecins, l'annonce est si énorme que si elle n'en avait pas été faite le 23 mars, on aurait cru à un poisson d'avril. C'est un instrument qui répond à une dizaine d'années de demandes pour faire face à un burn-out dévastateur que la charge de la pandémie n'a fait qu'aggraver. On pourrait dire que la mesure rencontre surtout les causes individuelles tirées de la personnalité de la victime. Le burn-out peut être considéré comme une maladie de la générosité et de l'investissement menaçant les idéalistes sans limites et les perfectionnistes consciencieux angoissés jusqu'à l'épuisement. Les médecins sont donc par essence les victimes désignées et le traitement de ses manifestations, ce n'est pas rien. On comprend que les intéressés aient salué cette première approche. Une deuxième cause de l'épuisement professionnel se retrouve dans l'environnement professionnel et les caractéristiques du travail. Ce sont des risques psycho-sociaux au travail. Ils sont aussi importants que difficiles à traiter parce qu'ils englobent l'organisation, le management, les rivalités, l'évaluation de la performance et de la qualité estimée, la convivialité, éléments dont la maîtrise échappe au travailleur et aux psys. Une bureaucratie étouffante, associée à une suspicion répandue et culpabilisante envers les médecins présentés comme des privilégiés et exploiteurs, fait partie du problème. Une blague que se racontaient les Russes à l'époque soviétique éclaire par l'allégorie d'un poids physique écrasant, la place du poids bureaucratique et du refus de prendre en compte ce facteur. "Il y a une course à l'aviron aux jeux Olympiques. Les Américains sont les premiers. Les Russes arrivent derniers. Alors, le Soviet suprême réunit une commission pour en découvrir la raison. Elle constate que le "quatre avec barreur" (1) américain embarque un barreur et quatre rameurs. Sur la yole russe, il y a le barreur, un fonctionnaire du "résumé de la course minimum", un auditeur de la qualité de "l'inspection des normes de l'activité moyenne imposée", un policier, parce qu'il faut toujours un policier pour empêcher les rameurs d'abuser de leur situation privilégiée, et puis enfin, mais parce qu'il faut bien, sans quoi il n'y aurait rien, un rameur. La discussion est animée. L'un propose de remplacer les fonctionnaires par des rameurs. Il est immédiatement arrêté et envoyé au goulag pour esprit subversif. Un autre suggère de mieux payer le rameur. Il est tout de suite envoyé dans un asile d'aliénés, parce que le rameur est déjà bien trop payé, bien sûr s'il rame 80 heures par semaine. La conclusion est unanime: le rameur est démotivé. Il faut le remotiver."Il n'y a pas de baromètre de la bureaucratie pour traiter les risques psycho-sociaux du travail provoqués sur les médecins par les facteurs environnementaux: il y a des descriptions. Citons Edward Harvey, médecin chef chez Greybox Solutions dans Canadian journal of Surgery (2), puisque nos politiques et gestionnaires ne jurent que par les Canadiens: " Les médecins se sentent coincés dans une situation sans issue ; les changements apportés au système ont alourdi leur tâche et rendu le milieu de travail dysfonctionnel ; ils n'ont de contrôle sur rien... La rationalisation émane du gouvernement, mais ce sont les médecins qui en portent l'odieux...Leurs plaintes concernent ... la multiplication des tracasseries administratives imposées par l'Administration... Les diplômés en médecine subissent une pression inégalée pour s'adapter à un nouveau milieu de travail sans compter l'endettement et l'incertitude professionnelle inhérente aux restrictions budgétaires." On comprend l'enthousiasme de nos politiciens pour le système canadien. On a largement étudié la prévention et le traitement des burn-out, y compris l'impact sur le contrôle et le sentiment de contrôle du prestataire sur son activité, mais pas spécialement sur les causes de ce manque de contrôle ni l'impact du carcan administratif. Sujet tabou? Ou à traiter en rapport avec le "Bore out" des fonctionnaires? Il faudrait maintenant compléter le volet des causes personnelles du burn-out en agissant sur les causes environnementales, liées non à la personne mais au travail lui-même. On peut agir sur les facteurs personnels. On peut rêver d'agir sur les risques psycho-sociaux du travail. Pourquoi ne pas ajouter aussi un volet d'équité, de sécurisation et de reconnaissance: éliminer l'insécurité provoquée par les conséquences financières de l'épuisement professionnel, dont l'appréhension s'ajoute à l'angoisse. C'est la question de l'indemnisation des maladies qui trouvent leur origine dans le travail. La question dépasse celle du burn-out, tout en y étant liée. Il est injuste que le médecin libéral soit le seul travailleur à ne pas être protégé contre la maladie provoquée par le travail. On l'a voulu indépendant pour qu'il n'ait pas droit aux coûteuses protections du droit du travail. Médecins salariés ou médecins indépendants font le même travail, courent les mêmes risques de contagion, les mêmes angoisses de l'erreur ou du surmenage. La maladie chez un indépendant, y compris le burn-out, c'est la misère et il faudra instaurer un système d'indemnisation des décès et maladies trouvant leur cause dans le travail, comme c'est le cas pour les salariés. La pandémie a rappelé les risques de contagion, pourtant permanents dans l'activité normale du médecin et il est inadmissible que la société ignore ceux qui prennent ces risques. Le burn-out touche bien sûr de nombreuses catégories de travailleurs, ce qui justifie d'intégrer dans l'approche de solution une comparaison des pratiques pour en évaluer l'impact des conditions de travail. Malheureusement, la situation du médecin est plus difficile que bien des autres. D'abord, la pression causée par l'attente énorme du public et des autorités s'accompagne d'une responsabilité personnelle pénale et financière qui ne tient pas compte des difficultés d'un métier consacré à éliminer les risques vitaux des autres. Ensuite l'insécurité d'une pratique exposée aux pressions émotionnelles, l'épuisement, la violence, les contraintes et contrôles bureaucratiques jusqu'à l'hostilité des autorités et, maintenant, à l'occasion de la pandémie, la prise de pouvoir administrative totale sur leur pratique. Il faut au moins éviter d'y rajouter l'insécurité de l'incapacité de travail, de pensions, et d'emploi. Là où les médecins attendent reconnaissance, ils affrontent la culpabilisation et les reproches. Dans le secteur des salariés, le burn-out n'est pas répertorié dans la liste des maladies professionnelles qui entraînent indemnisation automatique, mais peut être reconnu comme maladie en relation avec le travail par la sécurité sociale au cas par cas, s'il est prouvé qu'elle trouve sa cause dans le travail. Dans ce cadre, l'Agence fédérale des risques professionnels (Fedris) a lancé en 2019 un projet d'accompagnement destiné au personnel hospitalier salarié. Il inclut aussi les généralistes et spécialistes. Il prévoit concrètement avec le diagnostic trois consultations de starter kit sur la gestion du stress, l'hygiène de vie et la récupération d'énergie et, si souhaitées, sept séances "cognitivo-émotionnelles". L'accord intervenu entre le SPF et l'Inami correspond à l'extension parallèle du concept aux médecins indépendants. Pourquoi ne pas parachever ce parallèle et leur assurer un régime d'indemnisation de maladies liées au travail, incluant le burn-out, inspiré de celui des salariés en contrepartie du service d'intérêt général assuré par les médecins. Puisque le dommage trouve sa source dans les risques du service public, la cotisation, par exemple d'un pour cent de la rémunération comme pour les salariés et agents de certaines collectivités, pourrait être prise en charge par les pouvoirs publics.