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Les activités professionnelles en Europe occidentale seraient responsables de +/- 4,5% de la totalité des affections malignes. Par définition, ces pathologies résultent - partiellement - d'une exposition à un agent cancérogène (ou à plusieurs) lors du travail. Deux grandes catégories de cancérogènes directs (qui agressent directement l'ADN, sources de plusieurs types de lésions): les agents physiques d'une part (radiations ionisantes - RI), les agents chimiques d'autre part (benzène, médicaments alkylants, alcool éthylique). Les mécanismes d'action des cancérogènes (directs ou génotoxiques) sont aujourd'hui mieux appréhendés grâce aux progrès de la biologie moléculaire (lésions persistantes de gènes impliqués dans la division cellulaire), notamment, mais aussi par une meilleure compréhension de l'homéostasie globale: ensemble des phénomènes pouvant survenir au long des années après qu'une lésion se soit pérennisée au niveau de l'ADN. Tout cela constitue une vaste matière scientifique à la base de la clinique oncologique moderne, et montre que le cancer est un processus multi-étapes où le cancérogène externe n'a joué qu'un rôle initial partiel et indépendant de la suite des événements. Par définition, la "matière vivante" ne subit pas sans réagir les agressions du milieu extérieur, pas plus d'ailleurs que celles, endogènes, liées à des incidents métaboliques (près de 60.000 lésions spontanées à l'ADN par jour par cellule, comme le rappelle I. Nosel en 2013 [1]). Des mécanismes de sauvegarde interviennent à toutes les étapes. D'abord le système DDR (DNA Damage Response, système enzymatique complexe chargé de la détection et de la réparation des lésions de l'ADN chez les eucaryotes, son inexistence rendrait impossible toute vie. Inconnu en 1965) pour prévenir l'installation de mutations potentiellement délétères: lecture-contrôle enzymatique de l'intégrité de l'ADN, réparation de celui-ci. Et au-delà des mutations jouent aussi des processus homéostasiques de sécurité: régulation des espèces réactives de l'oxygène, induction de l'apoptose, modification des communications biochimiques entre les cellules lésées et leur micro-environnement (effet bystander), interventions immunitaires contre une cellule ou un clone cellulaire ayant acquis des caractéristiques "étrangères"... Une relation causale entre la survenue d'un cancer professionnel et la grandeur de l'exposition à certains agents génotoxiques est certaine. Le risque augmente avec la dose, mais exclusivement pour des expositions de niveaux relativement élevés. Sous 100 mSv/an, jamais de cancer observé pour les expositions aux RI, comme le rappellent ces deux grands maîtres, les Prs Tubiana et Aurengo (respectivement oncologue-radiothérapeute, polytechnicien et médecin nucléariste), dans un rapport célèbre présenté à l'Académie de médecine de Paris en 2004 et à l'Académie des sciences l'année suivante - accepté par chacune des deux académies à l'unanimité (moins deux abstention à l'Académie des sciences).D'où la question légitime: existe-t-il un seuil d'exposition en deçà duquel le risque serait nul? Répondre non s'exprime mathématiquement par une "relation linéaire sans seuil (RLSS)", où l'on extrapole à partir des faits constatés aux hautes doses ce qui est "censé" se produire aux faibles expositions. Pour les RI, la publication 9 de la CIPR (1965), se basant sur la non-connaissance avouée, à l'époque, des mécanismes de cancérogenèse, introduit par précaution une telle relation. Elle postule en plus que les dégâts causés par les RI sont cumulatifs.Le hic, c'est qu'en 57 ans, la génétique a plus évolué. Grand principe actuel: pas d'irradiations "superflues" ; irradier le moins possible (travailleurs et d'ailleurs patients) puisque les dégâts radio-induits sont présumés cumulatifs. Un bon principe justifié par de mauvaises raisons. Comprenons bien: ceci postule qu'un gène lésé le restera et qu'un ADN cellulaire déjà altéré accumulera au fil du temps de nouvelles mutations induites par les expositions ultérieures[2]. Quand elles seront en nombre suffisant, le cancer se déclenchera. Faux. Non seulement l'ADN se répare, mais il est avéré que les cancérogènes génotoxiques n'agissent très majoritairement qu'à la phase initiale pour provoquer "une mutation initiatrice" et nulle part dans les étapes ultérieures de l'oncogenèse.La RLSS reposerait donc sur des lésions génétiques non réparées et consécutives survenues dans une même cellule, ainsi que sur le déni d'existence des mécanismes de défenses intervenant par la suite. Nous sommes bien ici dans un cumul (si j'ose dire) de conjectures décrédibilisées par les avancées scientifiques en cancérologie. C'est ainsi qu'un postulat se transforme en dogme, comme l'écrivaient en 2020 le Pr Vuillez[3] et ses collaborateurs. La pratique radiologique d'un dentiste l'expose à recevoir professionnellement et par année une dose infime de 0,23 mSv [4]. Selon la RLSS, ce dentiste a une probabilité augmentée de présenter un cancer radio-induit puisque toute dose, même la plus infime, génère un risque. Donc inhaler quelques émanations d'alcool éthylique émanent de la bouche de patients traités par une solution alcoolisée désinfectante augmente également le risque de cancers chez ce même dentiste. Dans les années 80, l'Europe a décidé l'interdiction du plomb dans l'essence. Mais ce que l'on a omis de signaler, c'est que pour compenser l'absence de plomb, on a introduit de bonnes rasades de benzène dans nos carburants. Jusqu'à dix pourcents au début... Une bouffée d'air cancérogène à chaque plein pour les pompistes professionnels en nombre à l'époque, et pour chaque automobiliste remplissant lui-même son réservoir... Tout cela pour dire que, scientifiquement, les faibles doses de RI et celles de cancérogènes chimiques directs devraient se trouver sur un strict pied d'égalité au niveau prévention puisque la RLSS s'applique à l'identique dans les deux cas. Les toxicologues concèdent du bout des lèvres et par analogie avec la radioprotection que les carcinogènes chimiques agressant directement l'ADN agissent aussi en vertu d'une RLSS (sans d'ailleurs pouvoir le prouver non plus - ce qui amène en pratique à ignorer les précautions découlant de la RLSS)... Ici apparaît l'incohérence: si la moindre exposition aux RI fait l'objet d'une chasse obsessionnelle, dans le cas des cancérogènes chimiques, on est bien moins regardant: on écarte du pied les faibles doses comme si elles étaient inoffensives (ce qu'elles sont probablement comme les faibles doses de RI). Face à deux poires, on en rebaptise une sous le nom de "pomme". En vertu de quoi? D'une donnée socio-psychologique pervertie jusqu'à la sottise: le "risque acceptable". Tout se passe comme si la population négligeait un potentiel cancer induit par des émanations d'alcool ou de benzène. Mais pas question de risquer un même cancer en se soumettant à la mammographie! Ma réponse? Elle sera brève. Arrêtons ces inepties, tenons compte des données biologiques contemporaines et regardons-les avec esprit critique comme l'on fait Tubiana, Aurengo, Vuillez et nombre d'autres confrères. Certes la question est complexe et touche des questions sensibles. Il faut savoir expliquer et convaincre la société en se basant sur des données scientifiques difficiles à "vulgariser" car faisant appel à plusieurs disciplines partant de la physique pour arriver à la biologie d'un organisme entier, en passant par la biochimie, la génétique, la cytologie, l'immunologie... Mais il faut aussi prendre garde de bien former les "sachants"... dont le savoir n'est pas toujours sans lacune. Il apparaît que certains experts physiciens très actifs en radioprotection ne sont guère formés aux disciplines biologiques et encore moins à l'oncologie moderne, mais quasi exclusivement (et très bien d'ailleurs) à la physique et à la sûreté nucléaires. Si l'on regarde le cursus universitaire d'un ingénieur civil, on n'y trouve pas souvent une heure de biologie... Tout médecin en général, tout nucléariste, tout radiologue, tout radiothérapeute, tout médecin radioprotectionniste en particulier, a dû, lui, pas mal se frotter à la physique lors de ses études supérieures... Le radiothérapeute collabore en continu avec son physicien médical. Il faut qu'il en soit de même entre les radioprotectionnistes physiciens et leurs collègues médecins.