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Quels sont les arguments plaidant en faveur d'un investissement en actions des marchés émergents? Et d'abord: quels sont-ils? Voyons chez MSCI, la famille d'indices boursiers qui couvre une foule d'univers géographiques et qui fait autorité dans le monde entier. Le MSCI Emerging Markets réserve 27,5% du total à la Chine, 18,4% à l'Inde et 4,5% au Brésil, ceci à fin janvier dernier. Cette répartition fluctue en effet (un peu) en fonction de l'évolution des actions reprises dans l'indice, qui sont 1.251 à ce jour. Que contient-il pour le reste? Taiwan y pèse environ 20% et la Corée du Sud 9,4%, le solde de 20% étant très dispersé. Soyons clair: cette composition ne correspond plus vraiment à la notion actuelle de marché émergent, les deux derniers pays évoqués étant aujourd'hui considérés comme très avancés. Faut-il rappeler que le géant taïwanais TSMC (qui pèse à lui seul 11% de l'indice! ) produit la moitié des semi-conducteurs du monde, tandis que la Corée est un grand nom de l'électronique grand public, des batteries, ou encore de l'automobile? L'appellation marché émergent vise aujourd'hui plutôt l'Inde, ainsi que le Vietnam et l'Indonésie, mais aussi le Mexique, l'Afrique du Sud, pour retenir les pays ayant un certain poids. La Chine en fait toujours partie, mais parfois avec un statut particulier. On ne peut perdre de vue qu'il s'agit ici d'investissement par le biais d'actions cotées. Or, dans les pays émergents, des secteurs importants ne sont pas (encore) représentés par des entreprises cotées, ou marginalement. Un premier argument avancé en faveur des bourses émergentes est tout simplement leur retard par rapport aux marchés développés. Le tableau est même dramatique sur les 15 dernières années, puisqu'on note un gros écart positif (en 2017), deux petits écarts positifs et, pour le reste, que des écarts négatifs, parfois considérables. Pour ne retenir que les quatre dernières années, au travers de l'indice MSCI Emerging Markets évoqué plus haut et du MSCI World, on observe respectivement: 2021: -2,5% et +21,8% 2022: -20,1% et -18,1% 2023: +9,8% et +23,8% 2024: +7,5% et +18,7% Résultat: l'appréciation annuelle moyenne de l'indice émergent se monte à 3,76% à peine sur les dix dernières années, contre 10,53% pour l'indice mondial. Il faut savoir que la situation était spectaculairement inverse au début des années 2000. Savoir aussi que nul effondrement des économies ou des bénéfices des entreprises ne justifie cette déroute: le rapport cours/bénéfice de l'indice émergent est de 12, contre 19,5 pour l'indice mondial. Autre mesure de cherté: le cours de bourse par rapport à la valeur de l'entreprise. Ce ratio est de 1,8 pour l'indice émergent, soit exactement la moitié de celui de l'indice MSCI World. Il faut tout de même ajouter que l'Inde fait exception: la bourse y est aussi chère que sa consoeur américaine. Ce n'est évidemment pas tout à fait sans raisons que les marchés émergents furent à la peine ces dernières années. D'abord, on craignait que ces pays souffrent assez sérieusement de la forte hausse des taux d'intérêt par la banque centrale américaine, comme cela s'était produit dans le passé. Or, ils se sont montrés fort résilients. Autre inquiétude: ce qu'on a qualifié de "démondialisation". Si l'Occident veut rapatrier la production, n'est-ce pas une catastrophe pour ces pays? Ce n'est pas vraiment de cela qu'il s'agit en réalité, rétorque Will Sutcliffe, de la maison Baillie Gifford: "Ce à quoi nous assistons aujourd'hui, ce n'est pas une démondialisation, mais une réorientation, l'Occident tentant d'exclure la Chine de son système. D'autres marchés émergents vont y gagner... et des pays tels que le Vietnam et l'Indonésie vont devenir des champions de l'exportation et attirer plus de capitaux". L'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a un peu rebattu les cartes, mais si c'est uniquement la Chine qu'il vise au travers de droits de douane, ce scénario en sortirait même renforcé. Autre point de vue, développé à la fin de l'an dernier dans le magazine du Forum financier belge: les grands marchés émergents, en particulier Taiwan et la Corée du Sud, présentent l'anomalie du "risque faible" (low risk). De quoi s'agit-il? En principe, le revenu tiré d'un placement est proportionnel au risque pris. C'est une des bases de la finance. En bourse, ce risque est mesuré par la volatilité, c'est-à-dire par l'évolution d'une action par rapport à l'ensemble du marché. Une action "calme", moins volatile que l'ensemble, présente par définition moins de risque et devrait donc offrir une appréciation moindre. Or, c'est ici le contraire, a calculé Isaac Mviena Ossomo, auteur de l'étude. En d'autres termes, les grands marchés émergents rémunèrent mieux que les autres un investisseur choisissant des actions peu risquées. La performance moyenne des fonds axés sur les marchés émergents fut de l'ordre de 13% l'an dernier, contre plus de 32% par exemple pour les fonds axés sur les entreprises américaines de croissance. Certains ont toutefois largement battu cette moyenne. Le gestionnaire allemand DWS affiche ainsi un return de 29,4% avec son Xtrackers S&P Select, tandis que le britannique Schroders frise les 25% au travers du SISF Frontier Markets. Ils ne sont évidemment pas disponibles à l'agence bancaire du coin. On relève cependant, un peu plus loin dans le classement, un fonds de l'important gestionnaire français Amundi, dont plusieurs banques belges distribuent des produits. Son joliment nommé New Silk Road a gagné 19,3% l'an dernier, ce qui est plus qu'honorable. À noter que plusieurs gestionnaires proposent des fonds émergents qui excluent la Chine, à l'attention des investisseurs qui se méfient de Pékin. En juin 2022 déjà, le géant américain Goldman Sachs lançait un fonds suivant l'index MSCI EM ex-China. On note, avec le sourire, que l'émetteur lançait ce fonds en termes fort diplomatiques, puisqu'il s'adressait aux investisseurs ayant accepté le fait que la bourse chinoise méritait un fonds spécifique, compte tenu de son importance et de ses caractéristiques. Inutile de vexer Pékin... JPMorgan a suivi, comme plusieurs autres. Avec ou sans la Chine, les marchés émergents méritent sans doute de faire partie de la diversification des portefeuilles en 2025.