Prescrit-on beaucoup d'inhibiteurs de la pompe à protons en pédiatrie? Pourquoi, et pour quelle durée? Une étude de la VUB donne une vue d'ensemble des habitudes de prescription des IPP à l'hôpital.
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La déprescription est souvent vue comme un processus concernant les personnes âgées, mais tous les âges sont concernés et notamment les enfants. Lors du symposium 'Di-Prescribe' qui s'est tenu à Bruxelles le 12 septembre dernier (lire jdM n°2782), la Pre Eline Tommelein (faculté de médecine et de pharmacie, VUB) s'est intéressée à la déprescription des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) chez les enfants hospitalisés. On sait qu'environ la moitié des nourrissons en bonne santé auront du reflux à un moment donné, et que cela ne nécessite le plus souvent pas de traitement médicamenteux. Diverses études ont cependant montré que l'utilisation des médicaments contre l'acidité gastrique est en augmentation chez les nourrissons. Cette évolution présente des inconvénients tels que l'exposition inutile des nourrissons à des médicaments et à leurs effets secondaires, ainsi qu'un coût plus élevé pour la société. Dans un avis publié le 19 septembre dernier, le CBIP rappelle "qu'aucune des spécialités à base d'un IPP disponibles n'est autorisée pour une utilisation chez les enfants de moins d'un an". Chez les enfants de plus d'un an, les IPP sont enregistrés pour quatre indications: pour le traitement à court terme du reflux gastro-oesophagien (RGO) symptomatique, pour le traitement de l'oesophagite érosive, pour le traitement de l'ulcère gastroduodénal et pour l'éradication de l'Helicobacter pylori. Ils sont également donnés en prophylaxie de l'ulcère de stress. Le traitement par IPP est généralement considéré comme sûr, mais son utilisation à long terme pose question, en particulier chez les jeunes enfants (risque accru d'infections, surtout du tractus gastro-intestinal, mais aussi des voies respiratoires, et risque accru de fractures et d'allergie). "En Belgique, on estime qu'environ 10% des enfants reçoivent une prescription d'IPP avant l'âge d'un an. Un chiffre qui monte à 60% chez les enfants hospitalisés (IPP prescrits avant ou pendant l'hospitalisation). Ce sont des chiffres élevés. Ces vingt dernières années, on observe une augmentation énorme de cette consommation", constate Eline Tommelein. Cette surprescription peut s'expliquer pour trois raisons principales: le non-respect des recommandations, une déprescription inadéquate (pas de guidelines disponibles pour les enfants) et la pression exercée par les parents. "Étant donné les préoccupations concernant la sécurité de l'utilisation à long terme des IPP chez les enfants, nous devons comprendre les schémas actuels de prescription et d'utilisation afin de développer des stratégies efficaces de déprescription. Par conséquent, nous voulons avoir une vue d'ensemble de l'utilisation des traitements par IPP chez les enfants admis dans un hôpital tertiaire et évaluer la pertinence de leur utilisation", explique la spécialiste, qui a donc mené avec son équipe une étude rétrospective à partir de la base de données des médicaments de l'UZ Brussel. Entre le 1er janvier 2022 et le 31 janvier 2024, les chercheurs ont comptabilisé 29.024 administrations d'IPP chez 659 enfants hospitalisés (0-18 ans): 35% étaient âgés de plus de 12 ans, mais 4% avaient entre 0 et 28 jours, 16,5% 29 jours à un an, 13,5% un à deux ans, 13,5% trois à six ans et 17,5% sept à 12 ans. Les principaux motifs d'hospitalisation étaient les suivants: intoxication (5%), douleur abdominale (5%), bronchiolite (5%), vomissements (4%), pneumonie (4%) et gastrite (3%). Pour plus de la moitié, la durée du séjour était inférieure à une semaine. Le principal IPP prescrit était l'ésoméprazole (50%), suivi par l'oméprazole (30%) et le pantoprazole (20%) (pas de consommation de lansoprazole ou de rabéprazole). Quelles doses d'IPP? Chez les 0-12 ans, les doses d'(és)oméprazole étaient basées sur le poids dans 50% des cas, mais celles du pantoprazole l'étaient rarement. Chez les adolescents, les doses d'IPP n'ont que très rarement été administrées en fonction du poids (2%). En général, il s'agissait d'une prise quotidienne. La durée médiane du traitement était de neuf jours, mais 15% ne concernaient qu'une prise unique. Dans la majorité des cas (60%), un pédiatre avait prescrit l'IPP (versus 18% par un médecin urgentiste). L'indication était-elle appropriée? Dans près de 70% des cas, il s'agissait d'une utilisation off-label (25% chez des enfants qui ne prenaient rien per os, 10% pour gastro-entérite, 10% pour usage concomitant d'AINS ou de cortisone), dans 6,6%, l'indication était enregistrée et dans 24%, il n'y avait pas d'indication mentionnée dans le dossier médical électronique ou les IPP avaient été initiés avant l'hospitalisation. Dans 10-15% des cas, le dosage était inapproprié (dépassement de la dose unitaire ou de la dose journalière maximale). Enfin, 60% des IPP ont été stoppés pendant l'hospitalisation. "On peut en tirer la conclusion que la déprescription n'est soit pas activement encouragée à l'UZ Brussel, soit pas enregistrée. Et lorsque les IPP ont été arrêtés, aucun programme dégressif n'a été documenté: on a donc supposé qu'il s'agissait d'un arrêt brutal. Aucun effet secondaire n'a été mentionné dans le dossier médical électronique, mais il n'est pas certain qu'ils étaient suivis ou demandés. On ne sait pas s'il y a eu un rebond d'hypersécrétion acide chez ces enfants", commente la chercheuse. À la question de savoir si les pédiatres sont sensibilisés à la déprescription des IPP chez les enfants, Eline Tommelein répond par la négative: "Si un enfant arrive en consultation avec une consommation d'IPP, il faut se poser la question de savoir si c'est encore nécessaire. Cependant, c'est une intervention complexe, il faudrait disposer d'une méthode structurée de déprescription", conclut-elle.