Un enfant ou un adolescent sur cinq souffre de douleurs chroniques à un moment ou à un autre de sa vie. Les maux de tête prolongés, les douleurs abdominales ou musculo-squelettiques deviennent problématiques lorsqu'ils entravent le fonctionnement quotidien. Dans ces cas-là, référer le patient s'impose parfois.
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Le Dr Sophie Wouters, pédiatre et spécialiste en algologie, partage certains outils avec la première ligne. Son stage axé sur la douleur pédiatrique à Toronto lui a permis d'acquérir de nouvelles connaissances. "Je veux maintenant utiliser ces connaissances en Belgique car il y a encore du travail à faire ici." "Dans les douleurs aiguës et persistantes, notre tâche médicale consiste d'abord à écarter les signaux d'alarme (et donc une éventuelle cause organique)", commence le Dr Wouters. "Il s'agit des signaux d'alarme typiques, spécifiques à chaque pathologie, mais aussi des signaux de comorbidités psychologiques, du comportement douloureux et des facteurs de risque contextuels que l'on peut déjà évaluer lors de l'anamnèse initiale. S'il n'y a pas de signaux d'alarme, le message doit être rassurant. On peut alors déjà mettre l'accent sur la fonction plutôt que sur la douleur." Un deuxième élément est l'impact de la douleur sur la vie de l'enfant. L'enfant s'absente-t-il de l'école? A-t-il abandonné ses loisirs et le sport? Le jeune souffre-t-il également de dépression ou d'isolement social? "Si cet impact est important et que vous n'arrivez pas à le comprendre en tant que médecin traitant, il peut s'agir d'une raison de référer votre patient", ajoute-t-elle. "Bien que les centres belges de traitement de la douleur n'aient pas de spécialisation pédiatrique spécifique, il est déjà possible de s'adresser à certains centres pour des problèmes de douleur pédiatrique", précise le Dr Wouters. Parmi les autres motifs de renvoi, citons la douleur neuropathique, qui nécessite généralement un traitement pharmacologique ou interventionnel, et le syndrome douloureux régional complexe, qui exige une rééducation intensive. "La douleur chronique peut être primaire ou secondaire, par exemple due à la drépanocytose ou à des maladies rhumatismales. Parfois, un traitement médicamenteux est immédiatement nécessaire, ce qui implique souvent (par nécessité) l'utilisation de traitements pour adultes en off-label", explique la spécialiste de la douleur. "Cependant, la douleur chronique chez les enfants et les adolescents nécessite souvent une approche multidisciplinaire et, de préférence, non médicamenteuse." Au Canada, les médecins peuvent s'appuyer sur des institutions spécialisées et un parcours de soins soigneusement élaboré. Les enfants y commencent un parcours ambulatoire, dans lequel l'éducation à la douleur et la physiothérapie et la psychothérapie intensives sont primordiales. Tout est remboursé. "En Belgique, c'est plus difficile, car il n'existe pas de convention de ce type. Parfois, l'argent devient un problème après neuf séances de kinésithérapie, surtout lorsque les parents doivent également faire appel à un psychologue. Il est urgent de mettre en place un parcours de rééducation ambulatoire remboursé pour la douleur chronique primaire chez l'enfant", souligne le Dr Wouters. "Idéalement, les jeunes patients algiques devraient être pris en charge en parallèle par une équipe de prestataires de soins, avec des psychologues, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, etc." "La Belgique compte 35 centres multidisciplinaires reconnus pour les adultes souffrant de douleurs chroniques. Un tel centre pédiatrique de chaque côté de la frontière linguistique ne serait pas un luxe. Faute de structure, les médecins recourent plus souvent et plus rapidement aux médicaments et c'est dommage", estime-t-elle. "Je vais continuer à militer pour une meilleure approche, car j'ai vu que c'était possible et que cela fonctionnait, sans médicaments. Finalement, ce ne doit pas être difficile de mettre en place une telle convention." ll n'est pas facile de rassurer les parents et les patients sur le plan diagnostique et d'élaborer une feuille de route pour reprendre l'école et les activités. Souvent, l'attention est tellement focalisée sur la douleur qu'elle doit disparaître avant que l'on puisse penser à autre chose. "Les parents ont très peur que nous ne passions à côté de quelque chose. Il faut beaucoup de temps, de confiance et d'éducation pour faire comprendre que nous prenons la douleur au sérieux, que nous continuons à l'examiner d'un oeil médical critique, mais que nous allons nous focaliser sur la fonction", reconnaît le Dr Wouters. "Je fais appel au modèle de la douleur et à la neurophysiologie: la douleur mentale et la douleur physique se manifestent de la même manière dans le cerveau, elles sont toutes deux aussi réelles et, dans les deux cas, on combat la douleur en se concentrant sur la fonction: en nous y mettant, malgré la douleur." Pour y parvenir, il est parfois nécessaire de procéder à des renvois ciblés. "C'est ce que je fais moi-même. J'envoie les gens chez le neurologue, le gastro-entérologue ou le spécialiste du sommeil avec un projet clair, en disant: cet avis va certainement démontrer à 99% ce que nous savons déjà. C'est une bonne chose car cela renforce le chemin sur lequel nous sommes déjà engagés. En ce qui concerne les problèmes psychologiques et psychiatriques, j'essaie de déterminer quelles en sont plutôt les causes et quelles en sont plutôt les conséquences car il est évident que la douleur ne rend pas heureux", explique le Dr Wouters. "La douleur n'est jamais inventée. Ou plutôt: elle est toujours bien présente. Nous pouvons déjà gagner beaucoup en ne minimisant pas la douleur et en la déstigmatisant", conclut-elle.