Le monde avait très peur des annonces du président américain sur les tarifs douaniers. À juste titre... Sauf qu'en bourse, ce sont les États-Unis qui ont subi le plus gros krach. L'investisseur doit-il modifier sa stratégie... ou pas?
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Le 'Liberation Day' fut plus spectaculaire encore que prévu. Le mercredi 2 avril avait été qualifié de la sorte par un président américain plus fanfaron que jamais: les droits de douane "réciproques" annoncés ce jour-là vont libérer l'industrie américaine d'une concurrence étrangère jugée déloyale. Ce sera pour plus tard, après des moments un peu difficiles dans l'immédiat, avait-il fini par préciser... suite au krach provoqué par sa démarche et, dès le lendemain, par la riposte chinoise. Krach? Le mot n'est pas trop fort. L'investisseur n'ayant regardé que la cote bruxelloise a pu ne pas y croire le jeudi 3 avril, au lendemain de l'annonce: l'indice Bel 20 n'avait cédé que 1,14%, ce qui est relativement insignifiant. En réalité, les investisseurs s'étaient ce jour-là repliés sur les valeurs défensives, dont certaines affichaient de fameux bonds: +4,6% pour l'immobilière Cofinimmo et +7,6% pour Elia, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité en Belgique (et en partie en Allemagne). Des hausses sortant de l'ordinaire! Ceci masquait assez largement quelques fortes chutes, de l'ordre de 5% pour le bancassureur KBC, et de 7,5% pour le groupe de non-ferreux Umicore. La baisse était plus sensible dans les pays voisins, l'ensemble de l'Europe refluant de 2,57% exactement. Contre toute attente sans doute dans le chef du locataire de la Maison Blanche, c'est surtout Wall Street qui dégusta ce jour-là: l'indice général S&P 500 perdit pas loin de 5%, et l'indice technologique Nasdaq carrément 6%. Pas étonnant quand des supervedettes comme Amazon et Apple chutent de 9% sur une séance! Rebelote le lendemain, après que la Chine a réagi aussi rapidement que vigoureusement en imposant à son tour 34% de droits sur les produits américains. L'Europe plonge cette fois à l'unisson (-5,1%), tandis que la bourse américaine s'enfonce un peu plus encore que la veille: -6% pour l'indice S&P 500. Ce dernier a chuté de près de 11% en deux jours et le Nasdaq de 11,4%, l'Europe limitant la casse à -7,6%. Au lendemain du week-end, l'Europe se colore à nouveau de rouge vif, tandis que Wall Street termine quasiment à l'équilibre. L'Europe s'en trouve rassurée le lendemain. Pourquoi un tel bain de sang? Tout le monde savait en effet que Trump allait augmenter les droits de douane. Oui, mais comme il change d'avis tous les jours, beaucoup imaginaient qu'il ferait plus ou moins marche arrière, une procession d'Echternach qu'il a beaucoup pratiquée depuis son entrée en fonction. Et si ces taux peuvent être considérés comme des points de départ sujets à discussions, ou plutôt marchandages, ils sont de toute façon beaucoup plus élevés qu'attendu. Il faut savoir que les droits de douane se montaient ces dernières années globalement à quelques pour cent à peine. Ils passeraient d'un coup à quelque 25%. Mais pourquoi ce véritable krach de plusieurs vedettes de Wall Street? Amazon a perdu près de 13% en deux jours et Apple quasiment 16%! Parce que ces entreprises achètent énormément en Chine, comme la plupart des sociétés occidentales d'ailleurs. Or, les produits chinois, qui n'étaient jusqu'à tout récemment taxés qu'à 13%, le seront dorénavant à 67% environ. Amazon et Apple devront donc afficher de fameuses hausses de prix, ce qui risque de peser sur leurs ventes. Et surtout, ces entreprises risquent de devoir y aller doucement, pour ne pas trop effrayer le consommateur, ce qui fera chuter leur bénéfice. C'est là que se situe la grande crainte des investisseurs à leur sujet. Il en est d'autres, plus globales. En matière d'inflation d'abord: la hausse des droits va donc inévitablement entraîner des hausses de prix, ce qui va peser sur la consommation et donc sur le tonus économique des États-Unis. D'autant que le moral des consommateurs est là-bas au plus bas depuis 12 ans. De ce fait, mais aussi en raison de l'incohérence de la politique de Donald Trump, les entreprises hésitent à investir depuis le début de l'année, au point qu'on attend un fort ralentissement économique, certains n'excluant même pas une récession. À défaut d'annoncer de profondes modifications de leur stratégie, plusieurs gestionnaires d'actifs et de fonds ont signalé qu'ils avaient, ces derniers mois, partiellement pris leurs bénéfices sur les actions chères, en particulier les technologiques américaines. Ou encore abaissé la part des actions dans les portefeuilles. Une autre piste reste probablement très valable pour le moyen terme: se tourner vers les actions défensives. Les Cofinimmo et Elia cités plus haut, qui étaient en progrès le jeudi 3 avril, ont rechuté le lendemain, mais ont terminé la semaine de manière beaucoup plus satisfaisante que la moyenne. Quant à l'action Colruyt, elle a clôturé cette semaine sanglante sur un bond de 7,8%. La distribution est en effet un secteur réputé défensif, comme le confirme la hausse de 3% enregistrée à Paris durant cette même semaine par l'action Carrefour, à égalité avec Danone. Autres représentants de secteurs défensifs, Engie et Orange font mieux encore, avec une hausse de quelque 5,5%. Sur une bourse en chute de 7,3%, faut-il préciser! Le petit krach du début avril confirme donc un des axes d'investissement promus dès le début de l'année par nombre de gestionnaires: s'intéresser davantage aux actions restées dans l'ombre des technologiques, à la croissance (beaucoup) moins spectaculaire, mais ayant des qualités défensives et par ailleurs (beaucoup) moins chères. Cet épisode boursier pointe aussi clairement en direction de la diversification, le maître-mot de toute stratégie d'investissement. Même si l'on croit toujours dans la technologie, ce qui est le cas de la plupart des professionnels, il ne saurait être question de mettre tous ses oeufs dans ce panier-là. Car si l'on évoque le rapport qualité/prix pour des marchandises, on évoque de la même façon le rapport risque/return pour les placements financiers: il ne faut pas hésiter à accepter une performance potentielle un peu moindre pour diminuer son risque.