L'équipe du Pr Cédric Blanpain a induit la mort des cellules luminales d'un sein afin de voir comment les cellules souches réparent le tissu, et invente une nouvelle manière de combattre les cancers les plus fréquents, ceux du sein et de la prostate.
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On le sait, le cancer en général n'est qu'une forme hélas très maligne de dévoiement de nos mécanismes de défense et de réparation cellulaire. Pour échapper aux traitements, le cancer peut déployer une série de mécanismes de défenses étonnante : se créer une circulation sanguine " à part " ou se disséminer en métastases pour mieux revenir frapper là où le scalpel a cru l'anéantir. Il peut même emprunter plusieurs identités génétiques pour tromper les traitements " ciblés ". S'endormir des années dans des réservoirs cellulaires pour resurgir, telle une maléfique cinquième colonne. Le comprendre et l'expliquer, c'est trouver comment, demain, déjouer ses répliques. Et augmenter les chances de l'envoyer au tapis, si possible définitivement. C'est ce que vient de faire avec un particulier brio une équipe dirigée par le Pr Cédric Blanpain (ULB), dont l'étude publiée le 26 août a décroché la couverture de la prestigieuse revue de référence " Nature ". Il faut dire que le directeur du laboratoire des cellules souches et du cancer à la Faculté de médecine de l'Université libre de Bruxelles ne fait pas moins que d'identifier, pour la première fois, les mécanismes contrôlant l'identité cellulaire des cellules souches de la glande mammaire et de la prostate. Soit les deux cancers les plus fréquents, une femme sur huit étant frappée au cours de sa vie, tandis que 10.000 nouveaux cancers de la prostate sont diagnostiqués chaque année. La glande mammaire et la prostate sont composées de deux types cellulaires différents : les cellules basales et les cellules luminales. " Les cellules basales se trouvent à l'extérieur de l'organe, les luminales se présentant à l'intérieur de tubes transversaux. Ce sont les cellules luminales par exemple qui secrètent le lait de la glande mammaire ", rappelle Cédric Blanpain. " Ces deux types cellulaires sont maintenus par des cellules souches distinctes, basales et luminales. Dans des conditions normales, les cellules souches basales chez l'adulte donnent seulement naissance à des cellules basales. En revanche, lors d'une transplantation ou de l'initiation d'un cancer, les cellules souches basales sont susceptibles de générer à la fois des cellules souches basales et des cellules luminales et devenir ainsi multipotentes ". Le fait qu'elles le soient, signifie qu'elles peuvent donner naissance à plus d'un type cellulaire. Mais les mécanismes permettant aux cellules souches basales de restreindre cette multipotence dans les conditions normales ou d'activer la multipotence dans des conditions de réparation tissulaire restaient largement inconnus. L'équipe de Blanpain a découvert que la communication entre les cellules basales et luminales restreignait la multipotence des cellules souches de la glande mammaire et de la prostate. Elle a également identifié les signaux qui restreignent la multipotence dans des conditions normales et qui l'activent dans des conditions de régénération et de réparation tissulaire. Afin de déterminer si la communication entre les cellules basales et luminales contrôle la multipotence des cellules souches basales, Alessia Centonze et ses collègues ont développé une nouvelle approche génétique qui permet de marquer spécifiquement les cellules basales avec un marqueur fluorescent. Puis ils ont carrément tué les cellules luminales. Objectif : évaluer le sort des cellules souches basales au cours du temps. Ils ont ainsi pu découvrir que l'ablation des cellules luminales menait à l'activation de la multipotence des cellules souches basales et au réapprovisionnement des cellules souches luminales par des cellules souches basales dans de nombreux tissus. " Parmi ces nombreux tissus, nous avons découvert qu'il y avait la glande mammaire, la prostate, les glandes sudoripares et les glandes salivaires. Nous avons découvert que l'activation de la multipotence des cellules souches menait à la formation d'une population cellulaire hybride présentant un programme de différentiation basal et luminal ", explique le Pr Blanpain. Afin d'identifier les mécanismes moléculaires menant à l'activation de la multipotence, les chercheurs de l'ULB, en collaboration avec le Professeur Thierry Voet (KULeuven), ont effectué des séquençages d'ARN de cellules uniques, leur permettant ainsi d'étudier l'identité moléculaire des cellules individuelles après l'ablation des cellules luminales. Ils ont ainsi pu définir la trajectoire des cellules souches basales et la signature génétique unique des cellules souches basales multipotentes, ainsi que la manière dont ces cellules donnaient naissance à de nouvelles cellules luminales. " Il était fascinant d'identifier ce nouvel état cellulaire qui accompagne la régénération de différents tissus et montre que la différentiation des cellules basales en cellules luminales constitue un processus dynamique dans lequel les cellules basales perdent leur identité basale tout en acquérant des caractéristiques luminales, passant à travers un état hybride évocateur de l'état cellulaire observé durant le développement embryonnaire ", commente Alessia Centonze, la première auteure de cette étude. Les chercheurs ont ensuite identifié les molécules qui restreignent la multipotence dans des conditions normales ainsi que les molécules qui promeuvent celle-ci lors de l'ablation des cellules luminales. " Etant donné que la multipotence est associée à la formation du cancer du sein et de la prostate, l'identification des molécules qui contrôlent la multipotence des cellules souches va on l'espère servir à inhiber la formation des cancers ", commente Blanpain, le dernier auteur de cette étude. Parmi ces molécules, le TNF alpha, soit le facteur de nécrose tumorale ou cachectine. Le TNF alpha secrété par les cellules luminales instruit les cellules basales de ne pas activer leur multipotence. Les chercheurs ont aussi découvert les molécules activées lors de la réactivation de la multipotence des cellules souches comme la voie de signalisation Wnt, Notch et EGFR. Et, ce qui tombe bien, c'est que des inhibiteurs de ces voies de signalisation sont déjà développés et même en cours de tests cliniques pour le traitement des cancers. " Cette étude identifie le rôle clé de l'interaction cellulaire pour contrôler la multipotence des cellules souches adultes. Elle met également au jour les mécanismes moléculaires qui contrôlent la multipotence des cellules souches dans différents tissus, ce qui a d'importantes implications pour la compréhension des mécanismes de la formation du cancer ", souligne le Pr Blanpain, qui ne manque pas de projets en cours pour progresser dans cette voie et entend bien déboucher à brève échéance sur des candidats médicaments.