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La consommation d'alcool est souvent banalisée, et les excès considérés comme normaux. "Or, la 'rentabilité' du dépistage et de l'aide au sevrage est énorme en prévention de nombreuses pathologies liées à l'alcool", estime le Dr Thomas Orban qui est intervenu dans le cadre du projet Satraq pour donner des formations au "Repérage précoce et intervention brève en alcoologie" à destination des professionnels de santé (médecins généralistes, pharmaciens, infirmières, sages-femmes et assistants sociaux). Il s'agissait de leur donner des clés pour aborder simplement la question de la consommation de boissons alcoolisées avec les patients: comment dépister, sensibiliser et inciter au changement avant que la dépendance ou la toxicité ne s'installe? Est-ce utile et efficace? "Oui", nous répondait le Dr Orban en avril 2021, en rappelant que "les professionnels n'évoquent souvent le sujet du mésusage d'alcool que tardivement, lorsque les répercussions médico-psycho-sociales sont déjà évidentes. Or il n'est pas nécessaire d'être dans la dépendance pour dépasser les seuils de consommation hebdomadaire d'alcool au-delà desquels il y a un risque pour la santé." Le projet transfrontalier franco-belge Satraq - pour sensibilisation et action transfrontalière pour une réduction de la consommation de l'alcool au quotidien - est à présent terminé. Il s'est déroulé de 2020 à 2022 dans le cadre d'Interreg V France-Wallonie-Vlaanderen (1) et visait donc à sensibiliser la population sur sa consommation d'alcool au quotidien, sur les habitudes qui s'installent insidieusement et représentent autant de facteurs de risque pour la santé. Il proposait d'accompagner le changement dans les comportements pour favoriser la mise en place d'habitudes positives pour la santé avant qu'une dépendance ne s'installe. En trois ans, 1.600 personnes (professionnels de la santé et du social, travailleurs, grand public) ont assisté aux différentes activités organisées par les partenaires du projet: formations à la technique du "repérage précoce et de l'intervention brève" (RPIB), animations de sensibilisation aux repères de consommation et à l'impact de la consommation d'alcool sur la santé dans des événements et en entreprises, salons... La campagne de communication "Après deux verres, c'est... Non merci!" a permis de faire connaître les repères de consommation "10/2/0", soit maximum dix unités d'alcool par semaine, deux unités par jour et des jours sans consommation. Des outils de communication et de sensibilisation ont été distribués, ils sont disponibles sur le site www.preventionsante.eu. Afin d'évaluer la pertinence et la qualité des formations données aux professionnels de santé, les partenaires du projet ont interrogé les participants à la fin de chaque activité et six mois après. Juste après les formations, les professionnels se sont déclarés globalement très satisfaits (taux de réponse de 58%). Après six mois, 60% ont déclaré avoir acquis suffisamment de connaissances. 60% abordent plus régulièrement les consommations d'alcool avec leurs interlocuteurs, 83% ont utilisé la technique du RPIB depuis la formation et 60% se déclarent plus à l'aise avec le sujet de la consommation d'alcool (taux de réponse: 25%). "Par ces résultats positifs, le projet Satraq démontre que les formations mises en oeuvre ont un réel impact dans la durée sur la pratique de la plupart des professionnels qui y ont participé", indiquent les responsables. Le réseau transfrontalier se trouve renforcé par les activités de formation du projet: 89% des professionnels belges qui ont répondu et 95% des Français ont pu créer des liens avec d'autres professionnels durant les formations. "Ces résultats confirment l'un de nos objectifs, les échanges fructueux de ressources et de bonnes pratiques", ajoutent-ils. "Nous constatons également un renforcement du réseau local des professionnels de la santé et du social. Au total, à six mois, 23% des professionnels répondants déclarent avoir créé des liens avec des pairs de l'autre côté de la frontière." "Dans leur pratique, les professionnels de première ligne et les associations observent une montée du mésusage de l'alcool suite la crise sanitaire. Tous insistent sur la force du travail en réseau, de façon à proposer une prise en charge et un suivi les plus globaux possible, particulièrement dans le cadre des assuétudes. Les difficultés d'actions soulevées par les professionnels sont le manque de temps, malgré parfois un fort intérêt et une forte motivation des professionnels des addictions, pour élargir les actions notamment à la prévention ; et la difficulté à diffuser cette problématique vers le public et les professionnels pour susciter un intérêt plus grand." Les partenaires du projet Satraq se déclarent "fiers" de leur bilan, et mettent en avant l'innovation dans les partenariats de travail transfrontaliers qui ont permis de bâtir des passerelles concrètes en termes de réseau de part et d'autre de la frontière franco-belge, et la déclinaison de divers outils adaptés aux publics et aux messages santé à diffuser. Sur base de la littérature scientifique, d'entretiens avec les acteurs de terrain français et belges et des évaluations des actions, ils formulent trois recommandations pour une politique transfrontalière de prévention plus efficace: sensibiliser le public en améliorant la connaissance des risques pour la santé liés la consommation d'alcool, former les professionnels de la santé et du social et adopter une stratégie européenne pour mettre en oeuvre un véritable plan "alcool" et soutenir des politiques de prévention efficaces à tous les niveaux. Les responsables de Satraq ont observé "des avancées concrètes par une meilleure connaissance des repères de consommation à moindre risque 10/2/0 car mesurer sa consommation, c'est déjà la contrôler. Il paraît nécessaire de 'normaliser' l'étiquetage des boissons alcoolisées, à l'égal de celui du tabac, afin de faciliter la prise de conscience des quantités d'unités d'alcool ingérées". "La question des habitudes de vie et de santé saines est plus que jamais d'actualité. Les crises successives (pandémie, confinement, inflation, contexte géopolitique tendu...) continuent à peser sur l'ensemble de la population, avec un impact majoré dans les franges les plus précarisées. C'est pourquoi les enjeux déclinés dans Satraq se poursuivront en 2023. Les constats et les partenariats bâtis encouragent d'ores et déjà la réflexion dans le cadre du prochain appel à projets Interreg VI, sur le thème de la santé mentale, à soutenir, à renforcer et à améliorer dans les années à venir", concluent-ils.