...

Le journal du Médecin : Que faisiez-vous avant d'être au Botanique ? Paul-Henri Wauters : J'étais professeur. Lorsque j'étais en première master en musicologie, j'ai commencé à donner des cours de flûte à bec à des élèves de 12 ans. L'année suivante, l'on m'a confié deux classes qui comprenaient également les arts plastiques. Par ailleurs, je poursuivais une licence spéciale en philosophie à l'université. Afin d'étendre mes compétences, j'ai ensuite suivi à Louvain-la-Neuve un post-graduat de deux années en anthropologie culturelle. Plus tard, je suis entré dans un cabinet ministériel, à la Fédération Wallonie-Bruxelles, lequel avait en charge la jeunesse et l'éducation permanente notamment. Ce fut une école de la vie, où j'ai appris à faire des budgets, des discours, et pas seulement parce que les personnes du ministère avaient requis que je suive des cours de management. Ce fut une sorte d'école d'administration de haut niveau, car opérant dans la réalité et le concret. Vous avez une formation de musique classique par ailleurs ? Oui, je souhaitais devenir pianiste classique professionnel, mais un accident à la main m'a retardé et poussé à entreprendre des études de musicologie. J'ai pu reprendre ensuite le conservatoire, pour finalement y obtenir la médaille du gouvernement. Le Botanique, que je fréquentais à l'époque en tant que spectateur, cherchait un assistant dans le secteur musique-cinéma : je me suis présenté et j'ai été engagé. Le fait de ne pas avoir un passé de rocker et de venir de la filière classique fut-il un atout pour vous, n'ayant pas d'a priori ? Peut-être. Par contre, je cultive en permanence mon univers classique : chaque matin, je me mets au piano. C'est ce que j'aime et dont j'ai vraiment besoin : ma prise de terre en quelque sorte... J'ai écouté plus que quiconque de la musique pop rock, je n'ai pas de chapelle et, par la force des choses, je reconnais vite ce qui me paraît intéressant ou pas. Question de pratique... Au-delà du fait d'être musicien vous-même, outre votre capacité d'écoute, cela a-t-il constitué un plus au cours de votre carrière ? L'intérêt de la pratique de la musique classique fait que l'on développe son oreille. Il s'agit d'une question d'éducation musicale, laquelle procure une distance et un énorme respect : je ne dirais jamais d'un projet qu'il est nul. Par contre, je dois simplement trancher, dire je prends ou pas en fonction de la ligne du Botanique. Et je peux également me tromper... Au niveau la musique classique passée, êtes-vous en mesure de juger des interprétations ? Oui. Mais dans la sphère rock, la question de l'interprétation va devenir importante dans le cas du botanique, puisque nous ne présentons que du répertoire original. Or, désormais beaucoup de groupes ou artistes proposent du cover, partant du principe que l'on peut très bien interpréter de manière géniale ou pas une oeuvre de musiciens disparus, Bowie ou Prince par exemple. À partir du moment où un musicien est mort, la question est de savoir si l'originalité du travail d'un interprète d'aujourd'hui peut renvoyer à son interprétation, comme c'est le cas dans l'univers classique. Cette question va devenir cruciale dans les années qui viennent. Comment expliquez-vous le succès du Botanique, et quel conseil donneriez-vous à celui ou celle qui voudrait débuter ce genre d'expérience ? La patience.... D'abord, il s'agit d'un métier où l'on ne peut pas calculer son investissement, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'on est très seul lorsqu'on décide. Auparavant, nous disposions du disque comme marqueur, comme jauge, au niveau des exemplaires vendus. La motivation du public est désormais assez compliquée à comprendre. Je reste persuadé que c'est un métier dans lequel il convient de tout cultiver... sauf son ego personnel. Car l'on travaille avec des artistes qui prennent des risques. En tant qu'organisateur de concerts, l'on doit faire en sorte que cela se passe bien : un peu comme un majordome. Comment voyez-vous l'avenir du business, vu que les cds ne se vendent plus et que les labels prennent désormais une commission sur les concerts ? Il existe toujours une sorte de prosélytisme : nous sommes obligés de créer de l'adhésion au cours de cette période de digitalisation ; nous devons camper sur le terrain charnel du concert live. Il convient de faciliter les accès, faire en sorte que l'expérience du concert soit la meilleure possible. Mais ce lieu, le Botanique, possède cette beauté monumentale et ce charme qui fait que l'on peut vraiment le transformer en un palais de la musique où le spectateur s'y sent bien. Toute la réflexion se porte actuellement sur comment améliorer cette expérience à tous les niveaux, et ce, malgré les conditions actuelles. L'environnement fait donc partie du succès du Botanique ? Je ne crois pas. Cela participe de l'expérience globale. Nous sommes le premier producteur en termes de dynamisme au niveau du pays. Nous dépassons même l'Ancienne Belgique en production propre en atteignant les 270 concerts par an, dans une année normale, pour un total de 500 artistes. Le succès du Botanique et des Nuits Bota tiendrait-il aussi au fait de son aspect convivial ? Oui. Nous affichons la volonté de maintenir une jauge qui est limitée forcément par les murs, et encore plus lors de cette édition par le covid (ndla : voir ci-dessous). Il faut prendre en compte la fameuse dialectique entre l'objet même et son développement par l'image, par le disque, tous les prolongements imaginables que la technologie développe et autorise désormais. Mais tout ce qui permet de revenir à l'expérience fondamentale et physique de la musique perdurera. La fin du marché du support discographique signifie que le disque n'est que la carte postale du paysage. Et au Botanique, le paysage consiste à voir un concert à maximum huit mètres cinquante de l'artiste tout en accueillant 600 personnes en temps normal dans la salle de l'Orangerie. L'avenir passera par le côté artistes maison. Nous proposons une centaine de jours de résidence par an à une trentaine de groupes et comptons ouvrir le studio Bota où l'on pourra capter de l'image et du son. Quel est dès lors le critère de choix d'un artiste dans le cadre d'une résidence ? L'écoute, l'environnement de l'artiste, l'authenticité de son travail. Le capital développement que l'on peut ressentir avec des personnes, ce qui se révèle à chaque fois une expérience humaine très riche et intéressante.