Bien que nous sachions depuis 70 ans que fumer provoque le cancer du poumon, cette question demeure un immense problème de santé. Nous sommes toujours confrontés au défi consistant, d'une part, à éviter que les jeunes ne commencent à fumer et, d'autre part, à aider les fumeurs à arrêter. Le Pr Dr Kristiaan Nackaerts et Sven Van Lommel, respectivement pneumologue et tabacologue à l'UZ Leuven, font le point sur la situation.
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Le pourcentage de Belges fumeurs est aujourd'hui bien plus faible qu'il y a 50 ans. Les chiffres sont en effet passés de près de 50 % à un peu moins de 20 %. Toutefois, le nombre de fumeurs est encore très élevé et les conséquences pour la santé restent considérables. Il n'est ici pas seulement question du cancer du poumon et des maladies pulmonaires : d'autres cancers et maladies cardiovasculaires y sont en effet associés. Nous faisons donc face à un grand défi, revenant à réduire davantage le nombre de fumeurs et à éviter que les jeunes ne commencent à fumer. À cet égard, il convient de travailler, d'une part, de manière dissuasive par le biais de la réglementation, mais aussi, d'autre part, par la sensibilisation et le soutien. Une autre facette de ce défi consiste à gérer la relation avec l'industrie du tabac, qui souhaite maintenir le modèle de dépendance à la nicotine en place. Pour ce faire, elle lance sans cesse de nouveaux produits sur le marché, qui créent ou entretiennent cette dépendance à la nicotine. Citons notamment toutes sortes de produits de la cigarette électronique, mais aussi les nouveaux sticks de tabac chauffé qui, malheureusement, seront bientôt disponibles en Belgique. En instaurant des mesures strictes, la réglementation peut certainement empêcher une partie de la population de commencer à fumer, souligne le Pr Nackaerts. Qu'il s'agisse de l'augmentation de l'âge minimum pour acheter des produits de tabac, de la création de zones non-fumeurs et, récemment, de l'introduction des paquets de cigarettes entièrement neutres. Certains affirment que puisque la cigarette électronique contient beaucoup moins de composants nocifs que le tabac, il s'agit d'une option " plus saine ", si elle n'est pas combinée avec la cigarette de tabac. Toutefois, la plupart des vapoteurs utilisent des e-liquides qui contiennent de la nicotine et deviennent donc dépendants à celle-ci. Chez les jeunes, en particulier, la consommation régulière de nicotine est considérée comme nocive pour le développement du cerveau. Le fait que l'offre de produits contenant de la nicotine (comme les sticks de tabac chauffé) ne cesse d'augmenter constitue dès lors un problème. Vous créez ainsi de nouvelles dépendances à la nicotine et perpétuez les dépendances existantes. La société et les autorités doivent toutefois se poser des questions. Le Pr Nackaerts attire également l'attention sur le fait qu'aujourd'hui, nous n'avons encore aucune idée des dommages que les substances chimiques contenues dans les cigarettes électroniques peuvent infliger à la santé à long terme. L'histoire récente de l'EVALI (lésions pulmonaires aiguës associées à l'utilisation de la cigarette électronique) aux États-Unis prouve que les cigarettes électroniques (les liquides ou l'appareil) pourraient être nocives. L'un des problèmes concerne la grande variété et l'évolution permanente des e-liquides et des appareils, ce qui complique tout contrôle concluant. Il est donc extrêmement important que les autorités demeurent vigilantes et interviennent rapidement lorsque cela s'impose. En ce qui concerne la prévention à l'intention des jeunes, différents intervenants peuvent s'avérer importants, poursuit le tabacologue Sven Van Lommel. Les autorités, mais aussi l'école, les parents, les jeunes du même âge et les modèles inspirants peuvent jouer un rôle majeur. Malheureusement, nous constatons que la cigarette électronique exerce un très grand pouvoir d'attraction sur la jeunesse et que de nombreux jeunes se mettent à vapoter. Une sensibilisation permanente à l'aide de campagnes et de projets est donc nécessaire. Le projet " Bullshit Free Generation " du Vlaams Instituut voor Gezond Leven, qui a pour objet de rendre les jeunes plus critiques et capables de résister, en est un bel exemple 1. Toutefois, la réglementation pourrait être encore plus stricte. En 2019, la Belgique était le dernier pays de l'Union européenne à relever l'âge minimum pour acheter des produits de tabac à 18 ans. Dans certains pays, ce seuil est encore plus haut. Quelques pays vont même encore plus loin et interdisent totalement la cigarette électronique. Pourtant, la logique fait parfois défaut, car les cigarettes classiques restent souvent disponibles. En ce qui concerne le sevrage tabagique, les mesures dissuasives sont également partiellement efficaces, déclare le Pr Nackaerts. L'interdiction de fumer dans les bâtiments publics ou au travail a certainement contribué à faire augmenter le nombre de fumeurs qui ont réussi à arrêter de fumer. Néanmoins, en Belgique, nous pouvons encore aller plus loin, en abordant le tabagisme passif. Le Pr Nackaerts renvoie à cet égard aux Pays-Bas, où il est interdit de fumer sur la totalité des sites hospitaliers depuis 2019. Pourtant, la dissuasion seule ne fonctionne pas, poursuit le tabacologue Sven Van Lommel. Une prise en charge optimiste du fumeur est également importante. Pratiquer l'encouragement et montrer de l'intérêt pour un plan d'arrêt du tabac et sa mise en oeuvre peut être très motivant. Dans ce cadre, le médecin généraliste et le pharmacien peuvent certainement continuer de jouer un rôle important. Pour une partie des fumeurs, l'orientation vers un tabacologue peut s'avérer très utile 2. Mais la plupart des fumeurs qui souhaitent arrêter peuvent y parvenir seuls, éventuellement avec l'aide de certains médicaments de sevrage tabagique. En ce qui concerne la place de la cigarette électronique dans la procédure d'arrêt du tabac, les avis sont partagés. Le programme de sevrage tabagique de l'UZ Leuven déconseille son utilisation. L'arrêt du tabac est un parcours personnel pour chaque patient et il est important que ce dernier puisse lui donner corps, de la manière qui répond au mieux à ses besoins individuels. Les chiffres sur la réussite du sevrage tabagique sont variables. Se reposant sur sa propre expérience, le tabacologue Sven Van Lommel estime qu'environ 30 à 50 % des anciens fumeurs n'ont pas recommencé à fumer après six mois. Après l'arrêt du tabac, le grand défi consiste à ne pas recommencer. Dans le cadre de ce suivi, un rôle est réservé au médecin généraliste ou spécialiste, souligne le Pr Nackaerts. En effet, les efforts en vue de ne plus fumer font partie du traitement d'un grand nombre de maladies (BPCO, asthme, cancer du poumon, infarctus du myocarde, maladie de Crohn...) influencées négativement par le tabagisme. Discuter avec votre patient de son comportement tabagique et aborder régulièrement le sujet est essentiel, car chez un patient qui a été dépendant à la nicotine, le risque de rechute est toujours présent.