La pratique de la supervision en psychiatrie a fait l'objet de peu d'études théoriques. C'est à cette lacune que s'attaque l'ouvrage collectif piloté par Philippe Kinoo et al. Sa force est de s'appuyer sur le témoignage et la réflexion de nombreux acteurs de terrain, que ce soit dans le monde résidentiel (aide à l'enfance, handicap, hôpitaux, sénioreries ou homes pour personnes âgées, etc.) ou dans celui des pratiques au sein d'équipes ambulatoires (psychiatriques, sociales, éducatives, socio-culturelles, etc.).
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L'ouvrage piloté par Philippe Kinoo, Muriel Meynckens-Fourez et Christine Vander Borght(1) fait le point du processus de supervision en institution et dans les équipes ambulatoires, un acte de pratique courante mais rarement investigué comme tel et c'est tout le mérite de ce livre. Il revient à Jean Daveloose, Muriel Meynckens et Christine Vander Borght de définir ce que les auteurs entendent par " supervision". Selon son étymologie latine, le terme connote à la fois l'idée de contrôle, de surveillance, d'inspection et celle d'une supériorité ( super signifie en effet au-dessus). Le terme d'" intervision", s'il n'a pas de connotation hiérarchique, désigne une réunion entre pairs comme dans une réunion pluridisciplinaire de synthèse où chacun expose son point de vue. La préposition " ex" ne conviendrait pas non plus car elle impliquerait une extériorité sans implication. En réalité, dans ce livre, le terme de supervision doit être compris comme une " alter-vision": " Si l'on considère la réunion d'équipe comme une mise à l'épreuve de la différenciation, comme un lieu de confrontation des différences..., c'est bien à un alter-viseur que l'équipe fait appel pour susciter des alter-visions". L'" alter-viseur" est en réalité celui qui voit autrement et qui, ce faisant, suscite l'émergence de nouvelles visions ou de points de vue inédits au sein de l'équipe. L'" alter-vision" n'est pas un audit. Elle a une fonction phorique, sémaphorique (ou de partages des signes au sens de Peirce), métaphorique (ou de production d'idées nouvelles) et finalement euphorique (induisant un bien-être). Elle s'exerce à travers un cadre spécifique à chaque structure (défini notamment comme une boussole, aidant les uns et les autres à se situer les uns par rapport aux autres). Pour sa part, Philippe Kinoo définit trois champs où s'exerce une supervision ou une " alter-vision" selon que la demande d'analyse vise des situations cliniques, la structure voire l'organisation institutionnelle, ou encore les émotions voire les relations entre les membres de l'équipe (voir le schéma 1). Cette modélisation offre une grille d'analyse pour situer les différentes "alter-visions" les unes par rapport aux autres dans toute la complexité de la vie institutionnelle au sein de laquelle se côtoient usagers (dans certains cas, pour l'entièreté de leur existence) et professionnels. Toute institution, quelle qu'elle soit, est un monde structuré autour de trois pôles, les usagers, leurs familles et les travailleurs (syndiqués ou non), organisé juridiquement sous la forme d'une asbl, dont l'objet social est défini par des statuts conformément aux dispositifs législatifs en place dans le territoire qui est le sien. Les missions d'" alter-vision" portent sur tous les aspects de leur fonctionnement. En particulier, les rapports entre la fonction de direction et l'" alter-vision" sont étudiés en détail. Des situations particulières comme la victimisation, les départs et les licenciements, les changements de direction, l'élargissement du cadre sont analysées du point de vue d'une " alter-vision". Anne De Keyser montre en quoi l'" alter-vision" aide à maintenir ou restaurer un milieu humain dynamique au sein de l'institution. Muriel Meynckens analyse la différenciation de soi en équipe. Enfin, deux points de vue théoriques sont développés (psychanalytique et systémique). Ce livre collectif, engageant des acteurs de terrain maîtrisant parfaitement la matière, tous armés d'une réflexion théorique, renouvelle le champ de la supervision. Il est en outre agrémenté de nombreux exemples vécus sous forme d'encadrés. Un glossaire définit les principaux termes utilisés dans cet ouvrage. Enfin, une riche bibliographie couronne le tout. Sous ce rapport, nous regrettons que les ouvrages de Peirce sur la sémiotique n'y soient pas inclus. Ce livre collectif est donc à méditer par l'ensemble du monde psychiatrique et institutionnel. Il fournira au premier une analyse exhaustive de l'exercice de la supervision, réinterprétée comme une "alter-vision". Il offrira au second une ouverture sur une pratique susceptible d'éclairer de nombreuses pratiques institutionnelles, de traverser des crises de manière bénéfique, de stimuler les professionnels et les équipes, d'améliorer le travail clinique effectif.