En 2018, estimant être confronté à des abus, le ministre Ducarme (MR) avait resserré les conditions de l'aide médicale urgente (AMU) aux illégaux. Médecins du Monde et la Ligue des droits humains ont déposé un recours à la Cour constitutionnelle. Celle-ci ne leur donne pas raison mais fait une interprétation essentielle qui ravit les demandeurs: le médecin-contrôle ne peut pas juger de l'opportunité des soins apportés aux bénéficiaires de l'AMU, uniquement le médecin-traitant.
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La réforme de l'AMU avait été portée en mars 2018 par le ministre de l'Intégration sociale, Denis Ducarme (MR) au sein du gouvernement Michel. Celui-ci estimait qu'il y avait des abus dans les conditions d'octroi de l'AMU. Denis Ducarme entendait qu'un médecin-contrôle créé au sein de la Caami (Caisse auxiliaire d'assurance maladie invalidité) vérifie, après prestation médicale, si les soins apportés rentraient bien dans les critères de l'AMU. Si ce fonctionnaire estimait que les soins étaient "non-nécessaires", ceux-ci ne seraient pas remboursés. L'AMU pesait alors environ 45 millions d'euros par an. À l'époque, le 2 mars 2018 (lire jdM n°2531), nous avions interviewé le ministre Ducarme qui nous avait précisé qu'il fallait déplorer 6% d'abus, selon le rapport d'un médecin de la Caami. " Le gouvernement fait un effort particulier pour assurer les soins aux bénéficiaires de l'AMU, majoritairement des migrants en situation irrégulière. Les budgets sont en hausse mais sous contrôle. Il veut un dialogue étroit avec l'Ordre des médecins, les associations de médecins et Médecins du Monde. Des rencontres ont eu, ou auront lieu régulièrement. Le contrôle sur les médecins hospitaliers et les MG sera désormais réalisé dans le respect par un médecin (de la Caami). Ce n'est pas un "flicage". Le premier impératif est de ne pas toucher au principe fondamental de l'AMU. On a un devoir moral par rapport à un groupe déjà précaire, par rapport à ce type de population. Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas dire un moment qu'il y aurait des abus. En tant que responsable politique, s'il y a des abus tels que nous l'a communiqué un médecin de la Caami, eh bien, nous devons veiller à ce que les soins prodigués dans le cadre de l'AMU le soient dans ce cadre-là et pas un autre. On doit veiller de manière équilibrée à ce qu'il fonctionne. Je ne me serais pas permis d'indiquer qu'il y aurait des abus si un professionnel de la médecine ne m'en avait pas fait part. Ces abus restent marginaux, c'est un fait."Médecins du Monde (MdM) et la Ligue des Droits humains (LDH) ont alors introduit un recours devant la Cour constitutionnelle, craignant que les prestataires de soins et les hôpitaux refusent de soigner les illégaux de peur de ne pas être remboursés en cas de refus du fonctionnaire. Fin de semaine dernière, la Cour constitutionnelle a rejeté ce recours pour des raisons techniques mais elle interprète les conditions d'octroi dans un sens qui ravit les deux associations demanderesses. En effet, la Cour précise que "la Caami, et notamment le médecin-contrôle, est chargée de contrôler le respect des conditions d'octroi de l'AMU sans rien modifier ni quant à leur contenu ni quant à leur portée et sans revenir sur le principe d'appréciation souveraine du médecin traitant qui, sur la base de sa responsabilité déontologique, détermine quels soins il estime nécessaires et urgents". C'est donc le médecin traitant du patient en séjour illégal qui juge de la nécessité ou l'opportunité des soins. Les contrôles de la Caami " portent sur le caractère exclusivement médical de l'aide, sur l'existence d'un certificat médical attestant du caractère urgent de celle-ci et sur l'existence d'une enquête sociale préalable du CPAS."Les associations estiment cette précision vitale dans la mesure où, sinon, le risque était grand que la définition de l'AMU reste cantonnée aux soins strictement urgents. Selon elles, l'arrêté-royal de 1996 précise que l'AMU, au contraire, "peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins [et qu'elle] peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative". MdM et la LDH soulignent également que faute d'arrêté royaux d'exécution définissant plus précisément la nature des contrôles et des sanctions, la réforme risque de rester lettre morte. Les deux associations en profitent pour demander une simplification et une harmonisation qui permettent aux "sans-papiers", non pas d'être davantage contrôlés mais d'accéder à l'AMU sans obstacles étant donné qu'il s'agirait du seul avantage ultime dont il bénéficie en Belgique. Les associations rappelle que, selon le KCE, 80 à 90% des personnes en situation irrégulière n'y ont pas recours alors qu'elles y ont droit, faute d'information ou en raison de la peur de franchir les portes d'un CPAS. 50% des illégaux n'auraient pas même connaissance de cette procédure d'après des informations de l'Observatoire social de la santé de la Région bruxelloise. "Par ailleurs", concluent les deux associations, "cette procédure représente une bureaucratie lourde et coûteuse pour les CPAS qui organisent administrativement l'aide médicale urgente. La procédure actuelle crée également des difficultés de gestion pour les prestataires de soins et les services médicaux en raison des disparités des pratiques dans les différents CPAS. Pour les personnes qui n'arrivent pas à obtenir une prise en charge par le CPAS, les prestataires de soins sont régulièrement amenés à effectuer des prestations de soins non remboursées et font face à une surconsommation des services d'urgence et de dépannage. Ainsi, simplifier la procédure AMU représenterait des gains pour toutes les parties prenantes."