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Indispensable pour lutter contre certaines infections bactériennes, la prise d'antibiotiques cible également les bactéries commensales, notre première ligne de défense contre les pathogènes, perturbant ainsi la composition de notre flore intestinale. Elle génère des effets secondaires dont les plus courants à court terme sont des problèmes gastro-intestinaux et des infections récurrentes à Clostridioides difficile, tandis qu'à long terme, on peut également assister au développement de maladies allergiques, métaboliques, immunologiques et inflammatoires. " Malgré ces dommages collatéraux bien connus, le spectre d'activité des différentes classes d'antibiotiques sur les bactéries intestinales reste mal caractérisé", constate Camille Goemans, microbiologiste belge, actuellement post-doctorante au sein du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) du Dr Typas, à Heidelberg, en Allemagne, avant un probable retour l'été prochain en Belgique où elle espère ouvrir son propre laboratoire. " Voilà pourquoi, avec Lisa Maier, nous avons démarré une recherche il y a environ trois ans d'ici, Lisa étant devenue assez vite chef d'un laboratoire à l'Université de Tübingen qui a donc été associé à ce travail." Afin de mieux comprendre les mécanismes à l'origine des effets néfastes des différents antibiotiques sur les bactéries intestinales, les scientifiques ont retenu 144 antibiotiques issus d'un précédent criblage de plus de 1.000 médicaments et ils ont analysé de manière systématique leur impact sur 38 bactéries considérées comme les plus représentatives du microbiome intestinal humain. " Dans des chambres anaérobies, avec un matériel hautement spécialisé, en travaillant sur des cultures de bactéries, des souris de laboratoire ou encore des échantillons de microbiotes humains, nous avons tout simplement regardé toutes les combinaisons possibles", précise Camille Goemans. " Autrement dit, nous voulions savoir quel type d'antibiotiques affecte quel type de bactéries et comment." " Les résultats obtenus nous ont permis d'augmenter significativement notre compréhension à ce propos. Et parmi ces résultats, l'un d'eux s'est avéré particulièrement intéressant et surprenant. Nous avons découvert que deux classes d'antibiotiques, les tétracyclines et les macrolides, ont, comme prévu, inhibé presque toutes les bactéries commensales testées, mais aussi qu'elles ont été jusqu'à tuer la moitié d'entre elles." " C'est une observation inattendue dans la mesure où jusqu'ici ces antibiotiques étaient catalogués comme étant bactériostatiques, c'est-à-dire qu'ils ne tuent pas les bactéries mais les empêchent de se reproduire", poursuit le Dr Goemans. " Mais par rapport aux bactéries de la flore intestinale, on a vu que ces antibiotiques ont l'air de fonctionner différemment et qu'ils ont une action beaucoup plus forte que celle qu'on a pu leur attribuer par le passé notamment à l'égard de bactéries comme Escherichia coli ou d'autres modèles classiques de laboratoire." " Il s'agit d'une découverte très intéressante car elle porte sur deux classes d'antibiotiques fréquemment prescrits en clinique, et elle permet d'expliquer les changements importants de composition du microbiote intestinal observés chez les patients qui reçoivent ces traitements. Elle remet aussi en question la distinction établie de longue date entre les classes d'antibiotiques bactéricides et bactériostatiques." La bonne nouvelle, c'est qu'il est possible d'atténuer ces dommages collatéraux des macrolides et des tétracyclines en les combinant avec une autre molécule. Du moins, Camille Goemans et ses collègues apportent la preuve de concept. " Nous avons aussi voulu savoir si un deuxième médicament pouvait supprimer les effets néfastes des antibiotiques sur les espèces bactériennes abondantes de notre microbiote intestinal, sans compromettre leur action sur les bactéries pathogènes. Dans la pharmacopée actuelle, nous avons recherché des candidats parmi quelque 1.200 médicaments et nous en avons trouvé une dizaine qui antagonisent spécifiquement l'activité antibiotique contre les espèces bactériennes abondantes mais pas contre les pathogènes pertinents." " Aucun antidote ne pourra protéger toutes les bactéries de notre intestin mais notre approche, qui combine un antibiotique avec un antidote ouvre la porte au développement de stratégies personnalisées pour garder notre microbiote en bonne santé, ce qui, à terme pourrait réduire l'apparition de maladies liées à un déséquilibre de la flore intestinale", conclut le Dr Goemans tout en évoquant la nécessité de recherches supplémentaires pour tester davantage de molécules, identifier les combinaisons, dosages et formulations optimales pour ces antidotes, et ainsi se rapprocher d'une application clinique. " Je souhaite aussi aller plus loin dans la compréhension du mécanisme moléculaire expliquant pourquoi les antibiotiques peuvent avoir différents modes d'actions en fonction du type de bactéries qu'ils ciblent."