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Le principe des organoïdes semble simple: ces clones pourront subir une série de manipulations et de tests qui puissent anticiper les résultats d'un choix thérapeutique sur le patient. Ce qui permet ensuite d'administrer le traitement le plus efficace face à la tumeur particulière du patient. C'est un pas supplémentaire vers une médecine personnalisée. Les tests ont débuté sur cinq patientes. La doctorante qui mène cette investigation a en effet choisi le cancer du sein triple négatif, le plus rétif au traitement, pour démontrer l'utilité de cette technique. " Il s'agit de partir d'une biopsie de la tumeur du (de la) patient(e), de 50 à 300 milligrammes. Il y a digestion de ce morceau de tumeur, et ensuite répartition du contenu de la digestion dans plusieurs bulles de gel. Dans les jours qui suivent, les cellules se rassemblent afin de former des organoïdes", explique le Dr Françoise Derouane. " On peut y ajouter des éléments du micro-environnement de la tumeur, comme des cellules immunitaires. Cela permet de mieux étudier les interactions entre le système immunitaire et la tumeur. Mais cela autorise aussi à tester différents médicaments directement sur une vraie copie de la tumeur". Pour le médecin, il est fréquent que différentes options de traitement soient disponibles, mais sans pouvoir anticiper quelle sera la meilleure pour des tumeurs que l'on sait maintenant uniques, au-delà de caractéristiques globales communes. "En utilisant les organoïdes, on peut aussi étudier les différentes mutations génétiques qui se produisent dans la tumeur. Il est aussi possible de créer des organoïdes à partir de cellules saines puis d'induire des mutations", s'enthousiasme Françoise Derouane. La fabrication d'organoïdes offre d'autres avantages. Ainsi, quand un traitement doit être simulé sur des souris humanisées avec greffe de la tumeur, il faut plus de deux mois pour obtenir un résultat probant. Deux mois qui représentent une éternité en l'attente d'un traitement. " Et puis le système immunitaire de la souris peut brouiller la réponse. Par contre, il faut moins de deux semaines pour obtenir des organoïdes aptes à simuler une intervention sur la tumeur réelle. On peut donc rêver sérieusement à un proche futur où une patiente arrive à l'hôpital et tandis que l'on établit un premier bilan basé sur les premiers examens, que l'on pratique un scanner, on installe un port-à-cath, ce qui prend aisément deux semaines, on saurait déjà à quel traitement la tumeur est réactive. Ou insensible." Dans le labo où poussent les organoïdes, à un jet de pierre des couloirs de l'hôpital où les patientes sont prises en charge, des incubateurs conservent soigneusement les organoïdes à 38 degrés. Dans une seule boîte de Pétri, on en distingue une vingtaine que Françoise Derouane fait pousser en les nourrissant généreusement tous les trois jours. Cytokines et facteurs de croissance font office d'engrais à organoïdes. Pour le Pr François Duhoux, chef de clinique associé et spécialiste du cancer du sein aux Cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain), qui supervise cette thèse, une démonstration de l'efficacité du procédé constituerait un grand pas en avant vers la personnalisation du traitement oncologique. " On peut ainsi anticiper la toxicité de certaines chimiothérapies, comprendre certains plateaux que des traitements rencontrent. Si on administre un traitement à une tumeur, on court le risque que le traitement cause des résistances à cette tumeur, qui ne va plus évoluer de la même façon. Après un traitement particulier, on peut aussi réaliser une analyse génétique de la tumeur pour voir comment elle a évolué. L'utilité de la technique peut donc être dynamique dans le temps." Si les chercheurs ont choisi le cancer triple négatif pour établir la preuve du concept de l'utilité des organoïdes, c'est parce que c'est celui où des améliorations thérapeutiques sont le plus attendues. La durée médiane de survie pour les patientes avec métastases n'est en effet que de 18 mois. " Le pronostic est épouvantable. Le seul traitement disponible est la chimiothérapie, même si des avancées avec la combinaison de l'immunothérapie semblent prometteuses, mais encore à un stade très précoce, avec des controverses sur l'ampleur réelle des résultats", explique le Pr François Duhoux. " Rappelons que le 'triple négatif' désigne un cancer du sein qui est dépourvu de récepteurs oestrogènes, ce qui le rend insensible à l'hormonothérapie, mais qu'il est également négatif pour le gène Her2, ce qui rend inopérant un traitement ciblé comme le trastuzumab. Personnellement, je crois que de réels progrès seront enregistrés avec les 'anticorps conjugués', une classe de médicaments biopharmaceutiques conçus comme une thérapie ciblée pour le traitement des cancers. Contrairement à la chimiothérapie, ils sont conçus pour cibler et tuer les cellules tumorales tout en épargnant les cellules saines. Au lieu d'agir comme un tapis de bombe, il agit directement sur la cellule cancéreuse. On dispose aujourd'hui de données encourageantes avec le sacituzumab govitecan. Elles ont été présentées en septembre lors de la dernière édition de l'ESMO."