Dans aucun domaine, les stratégies de traitement n'évoluent aussi rapidement qu'en oncologie. Nous disposons de plus de médicaments anticancéreux ciblés et personnalisés que jamais, et la radiothérapie est également utilisée de manière de plus en plus pointue. Cela vaut aussi bien pour la radiothérapie externe traditionnelle que pour les approches internes utilisant des produits radiopharmaceutiques. Un mot d'explication.
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Les thérapies ciblées attaquent les cellules cancéreuses plus efficacement tout en épargnant les tissus sains. La thérapie par radioligands constitue un nouveau traitement ciblé. Un radionucléide (un noyau atomique radioactif et instable) est couplé à une molécule (le ligand) qui se lie à une cible spécifique des cellules cancéreuses. Ainsi, le médicament radioactif s'accumule dans la tumeur, puis émet des radiations très locales. Les cellules tumorales sont en quelque sorte irradiées de l'intérieur. L'administration de la radiothérapie classique (à l'aide d'une source externe de rayons) est également devenue plus précise, avec tous les avantages que cela comporte. Depuis peu, quelques centres belges proposent une radiothérapie adaptative en ligne, une méthode basée sur l'IA qui permet - pour l'instant dans des populations de patients sélectionnées - d'ajuster en direct le faisceau d'irradiation en fonction de ce que l'on voit sur l'imagerie. Penchons-nous d'abord sur la radiothérapie interne. La thérapie par radioligands (RLT) est un traitement systémique, administré dans le circuit sanguin, qui le diffuse dans tout le corps. "Il n'y a pas d'accélérateur de particules ni de table de radiothérapie. Les patients reçoivent une perfusion, comme pour la chimiothérapie", explique le Pr Christophe Deroose, spécialiste en médecine nucléaire à l'UZ Leuven. Un bon produit radiopharmaceutique s'accumule dans la tumeur et ses métastases, où la cible est présente en forte concentration, et n'est pas ou très peu absorbé dans d'autres parties du corps. Ensuite, par désintégration radioactive, l'atome radioactif émet l'énergie excédentaire sous forme de rayonnement. La portée de ce rayonnement varie d'un centimètre à un dixième de millimètre, selon le type de rayonnement ionisant (alpha, bêta). Puisqu'il ne faut pas délimiter de champ d'application, les indications sont complètement différentes de celles de la radiothérapie conventionnelle. La RLT est principalement utilisée dans un contexte métastatique et pour les cancers relativement avancés ou résistants aux traitements. Les effets secondaires dépendent du produit radiopharmaceutique, mais sont généralement très modérés. "On peut relever une toxicité sanguine provisoire car la moelle osseuse est extrêmement sensible aux rayons, mais la RLT est globalement très bien tolérée. La thérapie prolonge donc la vie tout en en assurant la qualité. C'est une arme puissante contre la maladie, qui est particulièrement douce pour le patient."Le concept de la RLT n'est pas tombé du ciel. L'idée en est venue grâce au traitement du cancer de la thyroïde métastatique par l'iode radioactif. Ces cellules tumorales, y compris sous forme de métastases pulmonaires, absorbent de grandes quantités d'iode. La radioactivité transportée par l'iode détruit les cellules cancéreuses sélectivement, avec efficacité. "L'administration d'iode radioactif peut être curative. En pédiatrie, on peut guérir près de 90% des patients atteints de métastases pulmonaires. Nous nous sommes donc demandé si nous pouvions introduire cette radioactivité dans d'autres tumeurs, à l'aide d'autres récepteurs."Le récepteur de la somostatine, surexprimé entre autres dans les tumeurs neuroendocrines (TNE), a été la première cible identifiée. On a couplé le lutécium radioactif à un ligand qui se fixe sur ces récepteurs, dont il existe des millions par cellule cancéreuse. Les résultats ont été spectaculaires. "Le pronostic des TNE est très bon, en partie grâce à la RLT", affirme le Pr Deroose. Les choses ont vraiment commencé à bouger lorsqu'une cible a été identifiée pour un cancer beaucoup plus fréquent: la protéine PMSA (antigène membranaire spécifique de la prostate), surexprimée dans le cancer de la prostate. Là encore, la RLT a permis d'irradier de l'intérieur les cellules tumorales de la prostate et de cibler leur élimination, partout dans l'organisme. "Actuellement, le traitement est remboursé en cas de maladie métastatique dans des contextes de résistance à la castration et après chimiothérapie, ou chez des patients trop faibles pour subir une chimiothérapie. D'ores et déjà, des études suggèrent que la RLT pourrait également être utile dans des lignes de traitement plus précoces", ajoute le spécialiste. Ces dernières années, l'industrie pharmaceutique a fortement investi dans le développement de nouveaux produits radiopharmaceutiques pour différents types de cancer. Plus de 200 études prometteuses vont être achevées sous peu. Vu le grand nombre de molécules étudiées, on peut s'attendre à ce que la demande de RLT n'augmente pas, mais explose. Christophe Deroose va encore plus loin: "L'objectif officieux est de disposer d'un médicament radiopharmaceutique cliniquement validé pour tous les types de cancer possibles d'ici 2035."Le plan d'action RLT doit préparer notre système de santé à cet avenir (proche) afin de permettre à un maximum de patients d'avoir accès à ces thérapies innovantes. La RLT s'accompagne d'énormes défis. Sa logistique est extrêmement complexe. "La demi-vie des radionucléides utilisés en médecine nucléaire est comprise entre quelques minutes et une dizaine de jours. Plus la désintégration du produit radioactif est rapide, moins nous avons de temps pour produire, transporter et administrer les agents au patient", explique Christophe Deroose. "Comme on ne peut pas constituer de stock, la chaîne de production (qui fait notamment appel aux réacteurs nucléaires de recherche) doit être parfaitement alignée sur la demande."L'évacuation des produits radioactifs est aussi complexe que leur livraison. "Le patient devient radioactif dès qu'on lui a injecté la RLT. Un bon produit radiopharmaceutique ne "colle" qu'à la tumeur et quitte rapidement le reste du corps par l'urine ou les selles. Mais ces excréments sont donc hautement radioactifs. Les hôpitaux doivent trouver des stratégies de stockage sûr de ces déchets jusqu'à leur décomposition totale", poursuit le Pr Deroose. Le patient ne peut pas quitter immédiatement l'hôpital. Comme il émet une forme de rayonnement ionisant après son traitement, les directives belges actuelles stipulent qu'il doit passer au moins une nuit dans une chambre d'hospitalisation spécialement équipée. Différents centres, comme celui de l'UZ Leuven (et le CHU de Liège, lire jdM du 18 mars dernier), s'affairent pour élargir leur capacité en chambres comme en stockage. Depuis des décennies, la radiothérapie externe est l'une des pierres angulaires des soins multidisciplinaires du cancer. Elle améliore le contrôle local, la survie et la qualité de vie. La radiothérapie adaptative en ligne (oART) figure parmi les récentes innovations. Le plan de traitement est optimisé quotidiennement à l'aide de l'IA afin que la dose de rayons soit dirigée avec une grande précision sur la tumeur, en évitant d'endommager les tissus avoisinants. Comment fonctionne l'oART? La Pre Valérie Fonteyne, radiothérapeute et oncologue à l'UZ Gand, explique: "Normalement, nous établissons le plan de traitement à partir d'un CT-scan effectué une dizaine de jours avant le début des séances. Nous effectuons le calcul des doses sur base de cette imagerie, en partant du principe qu'il n'y aura plus de modifications anatomiques. Or, ce n'est pas le cas de toutes les structures. Je pense à la vessie et aux intestins, dont le volume peut varier ou qui peuvent appuyer sur des organes voisins comme la prostate." La position et le volume de la tumeur peuvent également fluctuer au fil du temps. C'est là que l'oART apporte une plus-value: on effectue un scanner avant chaque séance de radiothérapie afin de mettre à jour l'emplacement et la dose du faisceau de rayons. La technique permet de réduire la dose délivrée aux tissus voisins sains, limitant la radiotoxicité potentielle (radiocystite, radio-entérite, etc.), tout en ciblant encore plus efficacement la tumeur. La procédure est exigeante, pour le département de radiothérapie comme pour le patient. Durant une séance oART, le patient doit rester allongé sur la table dans une position stable pendant une vingtaine de minutes, contre une dizaine durant une séance de radiothérapie classique [1]. "Maintenir cette position est inconfortable ou difficile pour certains patients. Puisqu'il faut surveiller les nouveaux calculs de dosage, la présence de médecins et de physiciens est requise à chaque séance. Nous ne devrions donc utiliser l'oART que dans les populations qui en bénéficieront", insiste la spécialiste. Depuis le mois de février dernier, certains patients atteints d'un cancer de la prostate bénéficient d'un traitement oART à l'UZ Gand. Pour l'instant, il s'agit surtout de patients âgés, qui reçoivent une série brève de rayons fortement dosés (hypofractionnement). "Six séances de 20 minutes peuvent être plus abordables que 20 séances de dix minutes. Plus la dose administrée lors d'une séance est forte, plus son administration doit être précise", relate la Pre Fonteyne. L'oART sera bientôt appliquée pour les tumeurs de la vessie et du bassin, comme le cancer de l'intestin et du col de l'utérus. Ensuite, ce sera au tour des cancers de l'abdomen, comme les tumeurs de l'estomac, et éventuellement de la tête et du cou. La technologie est mise en place progressivement. À Charleroi et à Bruxelles, on travaille déjà avec cet appareil novateur. "Maintenant, nous voulons étudier les critères de sélection des patients afin de déterminer ceux qui retireront le plus de profit d'une oART. Outre les facteurs de risque connus d'effets secondaires, il existe peut-être des paramètres sanguins ou d'autres signaux d'alerte qui indiquent un risque accru de radiotoxicité", conclut la Pre Fonteyne.