L'éjaculation précoce touche une fraction non négligeable des hommes. Elle se situe au confluent de plusieurs catégories de facteurs de risque.
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Chez les mammifères, la norme biologique pour le mâle est d'éjaculer vite. Ainsi, le chimpanzé "tient" moins de dix secondes après l'intromission du pénis dans le vagin de la femelle et le bonobo, moins de 15. Le gorille est cependant un peu plus endurant, puisque son éjaculation se produit entre 30 secondes et quatre minutes après le début de la pénétration. Mais les chiffres s'écroulent à nouveau quand on parle du lion (20 secondes), des rongeurs (15 secondes) ou du chat (cinq secondes). Selon les éthologistes, sans doute la sélection naturelle est-elle à l'origine de cette brièveté du coït. En effet, un accouplement prolongé, durant lequel la focalisation attentionnelle dérive inévitablement vers l'excitation sexuelle, constituerait un risque important face au danger de subir la loi d'un prédateur ou d'un rival. Pour nombre d'auteurs, l'homme aurait hérité de la norme biologique en vigueur chez les primates. L'éjaculation précoce (EP) est le trouble sexuel masculin le plus répandu. Selon les enquêtes épidémiologiques, il concernerait 15 à 30% des hommes. Comme l'expliquent Philippe Kempeneers, psychologue clinicien et sexologue, et Martin Desseilles, professeur à l'Université de Namur, deux grands courants s'affrontent à son propos. L'un, "subjectiviste", postule que l'aspiration de la personne est le seul critère à prendre en considération pour établir l'existence d'un trouble de cette nature. "Une éjaculation est [alors] réputée précoce lorsqu'elle survient régulièrement avant que l'homme ne le souhaite, c'est tout. La rapidité est en quelque sorte ramenée à un déficit de contrôle", peut-on lire sous la plume des deux auteurs dans un article paru en 2014 dans Sexologies. L'autre courant, qualifié d'"objectiviste", "cherche à déterminer objectivement la rapidité d'une éjaculation par sa survenue régulière en deçà d'une durée maximale de pénétration". C'est dans cette perspective que l'International Society for Sexual Medicine se réfère à un critère temporel d'une minute comme seuil sous lequel il y a EP. Le DSM-5 lui emboîte le pas dans le cadre des éjaculations précoces primaires, celles qui concernent des hommes ayant toujours souffert d'un délai éjaculatoire bref et insatisfaisant. Il considère cependant que pour être jugée prématurée, une éjaculation doit répondre en outre à trois autres critères: survenir de manière persistante et répétée, engendrer une réelle souffrance ou des difficultés interpersonnelles, ne pas résulter des effets directs d'une substance. Les éjaculations précoces secondaires touchent des hommes qui avaient précédemment un délai éjaculatoire jugé normal. Dans cette occurrence d'un potentiel trouble acquis, un comité d'experts a suggéré qu'il y avait dysfonctionnement lorsque la durée du coït était inférieure à trois minutes. De façon générale, la durée médiane du rapport coïtal est de l'ordre de quatre à huit minutes dans la population générale, avec certaines variations entre les pays. Aussi nombre de sexologues s'étonnent-ils du chiffre d'une minute pris en compte comme valeur pivot par l'International Society for Sexual Medicine et, pour la forme primaire de l'EP, par le DSM-5. Ils estiment que la limite entre le "normal" et le "dysfonctionnel" est plutôt de quatre minutes, parce que le franchissement de ce cap témoignerait de la capacité du sujet à maîtriser la montée de son excitation et, s'il le désire, à prolonger la pénétration au-delà de ce délai. L'approche subjectiviste a pour faille principale de laisser supposer comme normal qu'un homme soit à même d'exercer un contrôle total sur son éjaculation. Son homologue objectiviste, elle, opère une scission entre la normalité et le trouble sexuel à partir d'une base purement statistique, mettant ainsi sous le boisseau le ressenti de l'individu. "Et avec pour possible effet pernicieux de délégitimer la notion de trouble et, par conséquent, l'intention thérapeutique au-delà de la valeur pivot", soulignent par ailleurs Philippe Kempeneers et Martin Desseilles. Les deux approches ont leurs faiblesses, mais le point de vue objectiviste est assurément le plus contestable. "Il y a de nombreux hommes qui éjaculent très vite, parfois dans la minute, sans que ça ne les afflige. Où est le problème s'ils sont satisfaits et si leur partenaire l'est également, soit qu'elle accède rapidement à l'orgasme, soit que la sexualité pénétrative ne soit pas sa priorité?", indique encore Philippe Kempeneers. Car, en effet, comme le fait remarquer le professeur Pascal de Sutter, de l'UCLouvain, la question de l'éjaculation précoce n'a éclos qu'à partir du moment où le plaisir de la femme a trouvé sa place, à juste titre, parmi les finalités de la sexualité. La détermination des causes de l'EP demeure coiffée de nombreux points d'interrogation. Les études scientifiques mettent en lumière différents facteurs de risque - génétiques, hormonaux, cognitifs, émotionnels, neurophysiologiques ou de personnalité -, mais on est en peine de définir le poids respectif de chacun d'eux et de leurs éventuelles interactions. "L'EP semble avant tout résulter d'un enchevêtrement complexe de processus biologiques et psychosociaux dont il serait bien hardi d'établir la formule exacte", précisait Philippe Kempeneers en 2021 dans la revue Sexologies. Ces incertitudes retentissent sur la prise en charge thérapeutique. Il y eut d'abord, dans les années 1970 et 1980, le "tout psychologique", puis dans les années 1990, le "tout physiologique". La raison de ce revirement était que l'influence de certains neurotransmetteurs sur le réflexe éjaculatoire avait été établie. Le circuit sérotoninergique est impliqué dans l'éjaculation précoce. Et sans que la preuve en ait été formellement apportée, il en serait de même du circuit dopaminergique et de certains récepteurs à l'ocytocine. D'où, en particulier, le recours à des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine. Aujourd'hui, néanmoins, l'heure est fréquemment à la combinaison des approches psychologiques et médicamenteuses, formule qui se révèle généralement supérieure en termes d'effets aux monothérapies. "Aucun indice ne permet d'établir une correspondance entre, d'une part, le type d'EP, primaire ou secondaire, et sa sévérité, et, d'autre part, le type de traitement à privilégier", fait remarquer de surcroît Philippe Kempeneers. L'état d'esprit des thérapeutes ne s'énonce plus en termes de "réparation d'une malfaçon", mais d'intervention à finalité hédonique, l'objectif étant d'aider ceux qui souhaitent accroître leurs capacités corporelles et leurs habiletés sexo-comportementales dans le but de mieux gérer leur excitation afin de retarder de la sorte leur éjaculation. Philippe Kempeneers souligne qu'actuellement, aucun élément ne permet d'affirmer que les formes sévères d'éjaculation précoces primaires relèvent d'un trouble neurobiologique traitable par la seule voie médicamenteuse. De même, rien n'indique que les EP secondaires, où des facteurs médicaux et pharmacologiques - prostatite, lésion de la moelle, affection neurologique, sevrage de certaines substances... - peuvent jouer un rôle important, doivent être prises en charge différemment des EP primaires. En pratique, le traitement de l'EP peut difficilement faire l'économie d'une thérapie visant à permettre au patient de domestiquer la montée de son excitation sexuelle. D'autant que sous l'influence des scripts dominants culturellement déterminés, où le focus est placé sur une sexualité pénétrative, beaucoup d'hommes (même "biologiquement normaux") aspirent à prolonger le coït au-delà de ses normes naturelles de durée. Dans l'EP comme dans l'ensemble des troubles sexuels, la sexothérapie comprend une part d'éducation destinée à favoriser une sexualité aussi épanouissante que possible. Sur le plan technique, l'approche comportementale baptisée "stop-start" est la plus prisée pour lutter contre l'EP. Le patient est invité à se masturber ou à se faire masturber lentement jusqu'à ressentir une excitation proche de l'éjaculation. La stimulation est alors arrêtée, puis reprise lorsque l'excitation est suffisamment retombée. "L'exercice est renouvelé régulièrement jusqu'à ce que le patient parvienne à différer son éjaculation à volonté. Le stop-start est ensuite appliqué en situation coïtale jusqu'à ce que l'homme accède là aussi à un contrôle satisfaisant", précise Philippe Kempeneers dans la revue Sexologies. Et d'ajouter que l'idée qui prévaut de nos jours est que "les pauses permettent une exposition prolongée de l'homme aux sensations d'excitation et la mise en place consécutive de mécanismes d'habituation et de désensibilisation". En général, des techniques posturales, respiratoires et de relaxation musculaire sont prescrites en parallèle. Sur le plan pharmacologique, la dapoxétine (Priligy®), dérivée des inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine (ISRS), est disponible depuis 2013 avec une AMM pour le traitement spécifique de l'EP. Ce médicament augmente de trois à quatre fois la latence éjaculatoire, avec des effets secondaires moindres (dans la sphère sexuelle: perte de libido, difficultés érectiles) que les ISRS. Toutefois, si la dapoxétine retarde l'éjaculation, elle est sans impact sur le contrôle de l'excitation. D'où l'intérêt de coupler son administration avec une approche comportementale.