Aujourd'hui, en Belgique, près de 150.000 personnes sont atteintes de troubles cognitifs majeurs et autant de troubles cognitifs légers. Un diagnostic précoce et un suivi adéquat permettent de mieux préparer l'avenir de ces patients... et de leurs proches.
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Depuis 2013, le DSM-V n'utilise plus le terme "démence". "Et pour cause: les patients présentant ce que nous appelons désormais des troubles cognitifs légers (TCL) ne sont pas déments!" rappelle le Pr Adrian Ivanoiu, neurologue aux Cliniques universitaires Saint-Luc. "Au stade prodromal ou léger, ils sont encore capables de vivre seuls - moyennement parfois une aide pour certaines tâches complexes. Ce stade perdure jusqu'à cinq ans après le diagnostic, voire plus." De plus, souffrir de troubles cognitifs majeurs (TCM) n'est pas forcément synonyme de maladie d'Alzheimer. Certes, l'oubli des faits récents peut d'emblée y faire penser, surtout si le phénomène est apparu progressivement. Cela dit, "le syndrome clinique ne présage en rien de l'étiologie", poursuit le Pr Ivanoiu. "D'autres causes sont possibles: maladie de Parkinson, troubles vasculaires, Covid long, anxio-dépression, etc. À contrario, il existe un stade préclinique de la maladie d'Alzheimer: l'imagerie cérébrale peut ainsi mettre en évidence des lésions caractéristiques alors que le patient est asymptomatique. Bref, toute plainte de troubles de la mémoire requiert une certaine prudence diagnostique." Il existe deux types de marqueurs de la maladie d'Alzheimer, y compris au stade prodromal: Les marqueurs cognitifs sont évalués par des tests type Mini-Mental State Examination (MMSE). Les tests neuropsychologiques approfondis, réalisés par des neuropsychologues à la demande d'un spécialiste, sont plus sensibles, mais ils ne sont remboursés que dans certaines conditions. Dans tous les cas, ces tests peuvent révéler un dysfonctionnement cérébral, mais à cause d'une proportion non négligeable de faux négatifs, notamment en cas de TCL ou d'Alzheimer prodromal, ils ne permettent pas, seuls, d'exclure un diagnostic. Les biomarqueurs sont classés en deux catégories: Ceux mettant en évidence des dépôts anormaux d'amyloïde et/ou de protéine tau dans le cerveau peuvent s'observer grâce à une ponction lombaire ou une tomographie par émission de positons couplée à la tomodensitométrie (TEP-TDM) ; Ceux témoignant d'un dommage neuronal et synaptique de type neurodégénératif, comme une atrophie hippocampique et corticale ou un hypométabolisme cortical, sont révélés par une IRM ou une TEP-TDM au 18 FDG. "Aucun de ces marqueurs n'est spécifique et tous les résultats d'examen sont à interpréter", commente le Pr Ivanoiu. "Raison pour laquelle, en cas de suspicion de maladie neurodégénérative, l'idéal est de référer le patient chez un spécialiste (neurologue, gériatre, voire psychiatre) ou dans une Clinique de la mémoire. Il y bénéficiera d'un bilan complet, de tests poussés et d'une approche d'emblée multidisciplinaire."Cependant, après avoir exclu les causes non dégénératives à l'origine d'un déficit cognitif et avant d'envisager des tests par biomarqueurs pour identifier un TCL ou une maladie d'Alzheimer prodromale, il convient de s'interroger sur la pertinence de cette démarche. "Nous ne disposons d'aucun traitement pour freiner l'évolution de la maladie d'Alzheimer", rappelle le Pr Ivanoiu. "Un tel diagnostic est un coup de massue pour le patient et son entourage. Dans ce contexte, est-il préférable de l'épargner psychologiquement et d'attendre un peu ou faut-il à tout prix aller au bout de l'investigation clinique? C'est une vraie question éthique, qui mérite qu'on s'y attarde. Certains patients préfèrent ne pas savoir, et c'est leur droit. Je suis donc d'avis de leur poser clairement la question avant d'aller plus loin, en étant transparent sur les pour et les contre. En effet, le diagnostic précoce permet d'amorcer une importante discussion sur les souhaits du patient concernant son avenir et d'aborder les questions des soins qu'il souhaite ou pas recevoir, du choix de la personne de confiance, de l'institutionnalisation, de l'euthanasie, de la mise sous tutelle, des solutions d'aides et de soutien dont pourra bénéficier l'aidant proche, etc." Cette planification anticipée des soins ou Advanced Care Planning (ACP) épargne bien des difficultés ultérieures, quand le patient ne sera plus en mesure de faire valoir sa volonté ni de consentir à certains soins. Pendant le suivi, il est recommandé de demander une biologie à intervalles réguliers afin de détecter d'éventuelles carences, notamment en vitamines D ou B12 et, le cas échéant, de les supplémenter. "Inutile, en effet, de rajouter un stress supplémentaire au cerveau déjà fragilisé par les TCL/M!", souligne le Pr Ivanoiu . "De plus, un tiers des patients souffrent de troubles anxieux ou dépressifs. Leur prescrire des antidépresseurs, des anxiolytiques et/ou des somnifères peut nettement améliorer leur qualité de vie. Pour prévenir ou pallier certaines difficultés spécifiques, il ne faut pas non plus hésiter à recourir aux spécialistes paramédicaux." Exemples: L'ergothérapeute aide à rationaliser et sécuriser le domicile (par exemple en faisant retirer les tapis et autres obstacles propices aux chutes) et à améliorer la manipulation des objets du quotidien. L'intervention précoce d'un logopède permet de mettre en place des stratégies alternatives en cas de troubles de la communication ou de la déglutition. La kinésithérapie est cruciale. Avant même l'apparition de troubles moteurs ou de paralysies, la mobilisation physique et le renforcement de l'équilibre prolongent la capacité de marche et, par conséquent, favorisent l'autonomie et le maintien à domicile. "La prise en charge idéale des patients atteints de troubles cognitifs consiste en une collaboration active et au long cours entre le médecin traitant et le spécialiste", préconise le Pr Ivanoiu. "Le premier peut tout à fait gérer le suivi du quotidien et faire appel au second en cas de problèmes spécifiques ou quand la situation se complique. De par sa position de "médecin de famille", ce dernier peut se sentir mal à l'aise quand il s'agit demander la mise sous administration au juge de paix, à fortiori quand il s'agit de protéger le patient d'une partie de la famille... Or, le certificat médical peut tout à fait être rédigé par le spécialiste."