Les soins de santé sont un point de friction majeur entre le MR et Les Engagés dans les discussions de coalition fédérale. Le MR propose de limiter l'augmentation des dépenses de santé à la croissance économique (1,4% par an), tandis que Les Engagés plaident pour une croissance de 3,5%. Elisabeth Degryse (Les Engagés) et le Dr Yannis Bakhouche (MR) aplanissent leurs différences.
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En pratique, Les Engagés prévoient une augmentation des dépenses de santé de 37,8 milliards en 2024 à 44,9 milliards en 2029, contre 40,5 milliards selon le MR, créant un écart de 4,5 milliards sur la législature, selon le calcul de l'économiste Philippe Defeyt (Institut pour un développement durable), interrogé par Le Soir. Il indique encore que les fonds pour l'innovation seraient de 13,3% pour Les Engagés contre 2,1% pour le MR, après prise en compte des facteurs démographiques. Le MR voit la réduction des dépenses de santé comme une voie royale pour réduire le déficit public qui devra être ramené à 3%, tandis que Les Engagés préfèrent épargner ce secteur au profit d'autres postes budgétaires. Les divergences régionales et le coût du statut BIM compliquent encore la situation. Les Engagés ont fait un appel du pied à Vooruit pour qu'il entre "sans peur" dans une coalition fédérale N-VA/MR/Les Engagés/CD&V/Vooruit... Le journal du Médecin: Quelles sont, selon vous, les applications de l'IA qui auront le plus grand impact sur l'efficacité des soins, et comment comptez-vous surmonter les défis éthiques et de confidentialité liés à l'usage de l'IA? Dr Yannis Bakhouche: L'IA peut transformer les soins en réduisant les charges administratives des médecins, optimisant le tri des urgences et accélérant les diagnostics. Une IA bien intégrée pourrait également éduquer les patients atteints de maladies chroniques via des jeux interactifs. Pour surmonter les défis éthiques et de confidentialité, il est impératif de sécuriser les données médicales, de rationaliser les systèmes de stockage et de mettre en place une charte éthique. Former les professionnels à l'utilisation de l'IA est crucial pour son acceptation et son efficacité. Vous proposez de rationaliser les structures hospitalières. Comment envisagez-vous de réorganiser ces structures pour atteindre une meilleure efficacité sans compromettre l'accès aux soins pour les populations éloignées ou vulnérables? La rationalisation des structures hospitalières vise à optimiser les ressources sans compromettre l'accès aux soins. Cela inclut la réduction des services d'urgence redondants et l'élimination des concurrences entre hôpitaux. Une gestion plus efficace des services d'urgence et une meilleure coordination inter-hospitalière sont nécessaires pour assurer une prise en charge optimale des patients. La réforme des missions des réseaux hospitaliers est cruciale pour répondre aux besoins de la population tout en garantissant une utilisation durable des ressources. Soutenir les startups dans le domaine de la santé fait partie de vos priorités. Quelles sont les initiatives spécifiques que vous proposez pour encourager l'innovation et l'intégration des solutions développées par ces startups dans le système de santé belge? Le soutien aux startups e-santé passe par un renforcement des incubateurs et un plan d'innovation pour faciliter l'intégration de solutions innovantes. Augmenter les financements pour les entreprises qui apportent une plus-value au système de santé est essentiel. Actuellement, les trois millions d'euros alloués pour le remboursement des solutions mobiles e-santé sont insuffisants. Il est également crucial de développer un écosystème où les startups peuvent évoluer et d'établir des collaborations plus étroites avec l'Inami pour intégrer leurs solutions dans le système de santé belge. Vous anticipez une augmentation des soins ambulatoires et à domicile. Quelles infrastructures et formations prévoyez-vous pour soutenir cette transition et assurer que ces soins soient équitables et de haute qualité? L'augmentation des soins ambulatoires et à domicile nécessite de valoriser les équipes mobiles et de promouvoir les centres de spécialité hors des hôpitaux. Les soins à domicile, notamment pour la dialyse, le suivi des patients cancéreux et les soins palliatifs, doivent être renforcés. Il est essentiel de former continuellement les professionnels de santé et de favoriser une collaboration étroite entre les équipes de soins à domicile et les hôpitaux pour assurer une transition fluide et une qualité de soins élevée. L'économiste Philippe Defeyt parle d'un abîme entre le MR et les engagés. En particulier, la proposition des Engagés ferait grimper les dépenses de santé de 37,8 milliards en 2024 à 44,9 milliards en 2029, soit une augmentation de 18,8% sur la législature. Le MR parle d'environ 1,4% par an: de 37,8 à 40,5 milliards (soit une hausse de 7% sur la législature). L'écart entre les deux scénarios serait de 4,5 milliards au terme de la législature en 2029. Comment comptez-vous vous entendre en Région wallonne et aussi au Fédéral, où en plus la N-VA aura vraisemblablement des exigences importantes d'économies? Dans un contexte budgétaire contraint, augmenter les dépenses de santé de manière significative n'est pas viable. Il faut plutôt se concentrer sur la gestion efficace des ressources. Cela implique de maîtriser les coûts en limitant la consommation excessive de médicaments et en adoptant des protocoles cliniques rigoureux. Négocier des prix préférentiels pour les médicaments et promouvoir la concurrence dans leur distribution sont aussi des mesures nécessaires. Une réforme des administrations de santé et des modes de financement des hôpitaux est essentielle pour maintenir la viabilité financière du système de santé tout en répondant aux besoins croissants de la population. Dans quelle mesure votre essai "66 propositions concrètes pour un meilleur système de santé en Belgique" constitue la vision officielle du MR? Mon livre reflète ma vision personnelle et libérale du système de santé, distincte du programme officiel du MR. Bien que j'ai contribué au programme en tant que conseiller santé du MR, certaines propositions, comme la planification de l'offre médicale, diffèrent des positions officielles. Mon approche est influencée par ma double expérience de médecin et de conseiller politique, visant à offrir des solutions pragmatiques pour améliorer notre système de santé, reconnu parmi les meilleurs en Europe. Vous proposez une réfédéralisation des compétences en matière de soins de santé. Comment envisagez-vous de convaincre les entités fédérées, qui ont actuellement ces compétences, de céder ces pouvoirs au niveau fédéral, surtout dans un contexte de régionalisme croissant en Belgique? Elisabeth Degryse: Les soins de santé restent majoritairement au niveau fédéral, mais la prévention et la promotion de la santé sont morcelées entre les entités régionales. Cette fragmentation entraîne des incohérences, comme l'attitude "on n'investira pas trop ici car c'est le fédéral qui en profite". Pour assurer une politique de santé publique cohérente, nous proposons de refédéraliser ces compétences. Si cela n'est pas possible politiquement, le niveau fédéral doit au moins avoir le dernier mot sur les décisions de santé transversales critiques. Vous avez annoncé vouloir doubler les montants consacrés à la prévention. Pouvez-vous détailler les types de programmes ou initiatives spécifiques que vous souhaitez financer avec cette augmentation, et comment mesurez-vous l'impact de ces investissements à long terme? Investir dans la prévention rapporte quatre fois plus en économie de soins. Nous prévoyons d'abord une évaluation systématique de l'impact de chaque décision sur la santé physique et mentale. Ensuite, nous instaurerons une consultation annuelle "Promotion Santé" chez le médecin généraliste pour un coaching en mode de vie sain (alimentation, exercice, sevrage tabagique, vaccination). Nous proposons aussi des mesures pour offrir une alimentation saine et abordable dans les écoles, les établissements de soins, et les hôpitaux. De plus, nous voulons encadrer les métiers de l'alcoologie et renforcer l'aide au sevrage tabagique. La suppression du numerus clausus et des quotas Inami est une mesure radicale pour lutter contre les pénuries de personnel médical. Comment assurez-vous que cette suppression n'entraîne pas une surproduction de médecins et une potentielle baisse de la qualité de la formation médicale? Les pénuries actuelles en médecins généralistes et spécialistes, notamment dans certaines régions et spécialités, justifient la suppression des quotas. Nous ne croyons pas à une surproduction car il y a d'importants besoins à combler, surtout avec le vieillissement de la population. Les Communautés pourraient ajuster les quotas par spécialité pour répondre à ces besoins. La charge de travail doit aussi être équilibrée avec la vie privée, ce qui réduit le temps de travail disponible pour les médecins. Enfin, les études de médecine restent exigeantes, assurant une sélection naturelle basée sur la compétence. Nous voulons également arrêter la discrimination contre les étudiants belges qui doivent faire face à des quotas alors que les médecins étrangers peuvent pratiquer librement en Belgique. Pour la qualité de la formation, nous exigeons que chaque étudiant ait accès à une éducation de qualité, avec les ressources nécessaires pendant leurs stages et spécialisations. Les Communautés devront investir pour garantir un environnement d'apprentissage optimal. En réponse aux coûts élevés des soins pour les patients belges, vous proposez la généralisation du tiers-payant et des remboursements à 100% pour certains dispositifs médicaux. Comment prévoyez-vous de compenser l'impact budgétaire de ces mesures sur le système de santé? La généralisation du tiers-payant n'aura pas d'impact budgétaire puisqu'il implique simplement un remboursement direct entre les mutuelles et les prestataires de soins. Pour les remboursements complets de certains dispositifs médicaux (lunettes, prothèses dentaires, appareils auditifs), nous proposons d'augmenter le budget de la santé. Nous prévoyons de financer ces mesures par une réforme fiscale qui permettrait des économies substantielles, et en redirigeant des fonds actuellement destinés à des subventions inefficaces, comme les aides aux énergies fossiles. La santé publique a été un des axes prioritaires des Engagés pendant la campagne électorale. Vous avez déclaré que vous ne vouliez pas faire d'économies en soins de santé "en accord avec Vooruit". Des différences importantes existent avec le MR. Quelles sont les principales "nuances" avec le MR et comment comptez-vous les aplanir? Pour Les Engagés, il est crucial de débloquer des budgets supplémentaires pour les soins de santé. La concertation avec les acteurs de la santé est essentielle pour garantir des politiques cohérentes et applicables sur le terrain. Nous souhaitons réfédéraliser la prévention pour une meilleure cohérence des politiques. Contrairement au MR, nous défendons également un plan d'attractivité pour la profession infirmière, valorisant mieux ces professionnels. Enfin, nous visons à mettre en oeuvre des mesures rejetées par le précédent gouvernement, comme l'accès à la logopédie pour les enfants avec un QI inférieur à 86 et l'égalité de remboursement pour tous les patients, indépendamment du statut de conventionnement de leur soignant.