Dans cette interview, les pédiatres oncologues Toon Van Genechten et Jaques Van Heerden (UZA) s'associent pour faire la lumière d'une part, sur l'épidémiologie du cancer chez l'enfant dans notre pays, et d'autre part, sur les signaux d'alarme qui peuvent conduire à un diagnostic précoce.
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L'incidence du cancer chez l'enfant n'a pas changé au cours des dernières décennies, ressort-il du Registre national du cancer. En Belgique, il y a environ 340 diagnostics par an jusqu'à l'âge de 15 ans, et environ 180 nouveaux diagnostics dans le groupe d'âge entre 15 et 19 ans. "Ces deux groupes d'âge sont étudiés séparément car les types de tumeurs y sont différents", explique le Dr Toon Van Genechten. Les blastomes, qui se développent à partir de lignées cellulaires embryonnaires, sont typiques du groupe d'âge très jeune (< 4 ans). Ces tumeurs ne sont pas le résultat direct d'agents cancérigènes externes (tels que la pollution de l'air, le mode de vie, les habitudes alimentaires, ...), ce qui explique pourquoi leur incidence reste stable au fil du temps. La liste comprend le rétinoblastome, le neuroblastome, le néphroblastome et l'hépatoblastome. Avec la leucémie lymphatique aiguë, dont l'incidence est maximale entre deux et cinq ans, et différents types de tumeurs cérébrales, les tumeurs blastiques constituent une part importante des soins oncologiques pédiatriques. Plus tard, les enfants développent des lymphomes, plus fréquents avec l'âge, et des tumeurs osseuses. À l'adolescence, les mélanomes et les carcinomes font également leur apparition. "Les carcinomes sont extrêmement rares avant l'âge de 16 ans", précise le Dr Van Genechten. Un certain nombre de tumeurs se présentent de manière bimodale, comme les tumeurs germinales chez l'enfant et, en contrepoint, les tumeurs testiculaires chez le jeune adulte. Le taux de survie au cancer chez l'enfant s'améliore. Dans les années '60, le taux de survie à cinq ans était de 20 à 30%. En Belgique, il est actuellement de l'ordre de 85%. La progression est de 2,5% par an depuis la création du Registre national du cancer, même si la tendance diminue progressivement car les gains doivent être récoltés dans une population résiduelle de patients difficiles à traiter. Initialement, les progrès ont été liés à l'introduction de la chimiothérapie et de la radiothérapie (combinées ou non), à l'amélioration des connaissances sur les effets de ces traitements, aux nouveaux traitements tels que les thérapies ciblées et à la prévention des effets secondaires. Récemment, des avancées ont également été réalisées en traitant de manière moins intensive les enfants chez qui cela suffit pour obtenir une issue favorable, réduisant ainsi la mortalité toxique. Ensuite, il existe également des progrès dans les thérapies cellulaires et immunitaires qui permettront d'améliorer encore la survie (par exemple, la thérapie cellulaire CAR-T). "La Société belge d'oncologie pédiatrique milite pour que les patients atteints de cancer jusqu'à l'âge de 18 ans soient traités au sein d'un service d'oncologie pédiatrique ou en collaboration avec celui-ci", ajoute Toon Van Genechten. "D'une part, les protocoles de traitement appliqués par les oncologues pédiatriques donnent de meilleurs résultats, au moins jusqu'à la fin de l'adolescence. D'autre part, les services d'oncologie pédiatrique sont très compétents en matière de soutien psychosocial, parce que leurs équipes ont été renforcées très tôt par des travailleurs sociaux, des psychologues, du personnel pédagogique et des dispositifs tels l'école au lit du patient et les contacts avec les pairs. Aujourd'hui, nous pouvons dire de manière générale que le flux d'enfants atteints de cancer vers les services spécialisés d'oncologie pédiatrique évolue favorablement. Des progrès restent à faire dans la tranche d'âge des 16-18 ans. Dans celle-ci, les patients atteints de cancer sont encore parfois traités sans concertation avec un service d'oncologie pédiatrique. C'est un point sur lequel nous devons travailler en tant qu'oncologues pédiatriques." Pour les adolescents et jeunes adultes également, l'accent est désormais mis sur le soutien psychosocial et les traitements sur-mesure. Le diagnostic précoce est un élément important du pronostic du cancer, mais les cancers de l'enfant sont rares et ne sont donc pas immédiatement pris en compte par les médecins généralistes. Quels sont les signaux d'alarme qui permettent de penser à temps à une tumeur chez un enfant? "Les signaux d'alarme du cancer de l'enfant ne sont pas très spécifiques: beaucoup d'enfants qui n'ont pas de cancer présentent également ce type de symptômes ou de signes", explique le Dr Jaques Van Heerden. "Toutefois, il faut les considérer sur la durée: si un enfant vient consulter une seule fois pour un symptôme, il est légitime d'avancer un diagnostic banal dans un premier temps. Mais si le problème persiste ou se répète malgré le traitement, il faut penser plus loin. La constipation en est un exemple. Si l'on traite l'enfant en adaptant son régime alimentaire et éventuellement en lui administrant des laxatifs, mais qu'après une période d'amélioration, la constipation réapparaît, la vigilance est de mise. De même, si l'on prescrit un antibiotique de deuxième, puis de troisième intention contre la fièvre et que la température corporelle ne redescend pas à la normale, il convient de se demander pourquoi. Le choix de l'antibiotique est-il inapproprié ou y a-t-il autre chose? Il est possible que l'infection ne soit pas le diagnostic principal, mais un symptôme d'une affection sous-jacente."Pour retenir les symptômes pertinents, le Dr Van Heerden présente un moyen mnémotechnique qui repose sur l'acronyme 'Siluan' (qui renvoie au moine serbe Siluan de l'Athos, 1866-1936): · S (seek medical help early for persistent symptoms): cherchez précocement de l'aide médicale pour des symptômes persistants ; · I (en anglais, c'est un homonyme de eye): une anomalie au niveau des yeux qui n'existait pas jusque-là, comme une tache blanche dans la pupille, un strabisme, un nystagmus, une diminution (partielle) de la vision, un gonflement du globe oculaire ; · L pour 'lump' ou masse: l'apparition de gonflements (lymphatiques) au niveau de l'abdomen et du bassin, de la tête et du cou, des membres, des testicules ou d'autres glandes ; · U pour 'unexplained': une fièvre inexpliquée qui perdure plus de deux semaines, une perte de poids, une pâleur, de la fatigue et des ecchymoses ou saignements fréquents ; · A pour 'aching': des douleurs au niveau des os, des articulations et du dos, et une tendance accrue aux factures. "En bref, des douleurs à des endroits où les enfants n'ont généralement pas mal", commente Jaques Van Heerden. "De jeunes enfants n'ont pas mal au dos, normalement."· N pour symptômes neurologiques: modifications au niveau de la marche, de l'équilibre ou de la parole, convulsions, régression motrice, changements de personnalité, régression scolaire, régression au stade de développement antérieur chez les enfants en bas âge, céphalées depuis plus d'une semaine avec ou sans vomissements, augmentation du périmètre crânien. En ce qui concerne les douleurs osseuses, on parle parfois de douleurs de croissance. Les douleurs de croissance existent chez les enfants et se manifestent généralement dans la partie inférieure des jambes ou, plus rarement, dans les cuisses. La douleur survient généralement la nuit et gêne l'endormissement ou réveille l'enfant. Pendant la journée, l'enfant n'a généralement pas de douleur et présente une mobilité normale lorsqu'il joue comme les autres enfants. "Cependant, les douleurs de croissance sont un diagnostic d'exclusion", note le Dr Van Heerden. "Il faut d'abord envisager d'autres explications. Les os grandissent en effet chez les enfants et les adolescents. C'est précisément la raison pour laquelle une mutation est plus susceptible de se produire. Se contenter de considérer les douleurs osseuses comme des douleurs de croissance n'est pas une approche prudente."Le Dr Van Heerden souhaiterait encore citer l'âge comme signal d'alarme: l'incidence du cancer atteint un pic chez les enfants entre deux et cinq ans, et augmente à nouveau pendant l'adolescence. "Les signaux d'alarme devraient d'autant plus évoquer le cancer s'ils se produisent dans ces groupes d'âge", conclut-il. Le gonflement des ganglions lymphatiques est parfois difficile à interpréter car il survient dans toute une série de maladies et de situations, telles que l'infection, l'inflammation et le traumatisme. De quels critères disposons-nous pour suspecter qu'ils sont dus à un cancer? · La localisation des ganglions lymphatiques: les ganglions lymphatiques évocateurs d'un processus malin sont situés dans le thorax, l'abdomen, le pli du coude, la cavité du genou, l'aine et l'espace supraclaviculaire. "Ces localisations n'indiquent pas nécessairement un cancer, mais nécessitent un examen plus approfondi", souligne le Dr Van Heerden. · La taille: un seul ganglion d'un diamètre ?3 cm ou plusieurs ganglions dispersés >1 cm. Des ganglions dispersés peuvent indiquer une leucémie. · Les caractéristiques du ganglion: un ganglion mobile, douloureux et doux au toucher est probablement bénin (et dû à une infection), tandis qu'une lymphadénopathie maligne est plutôt indolore, non mobile et de consistance dure. Une lymphadénopathie maligne se caractérise également par le fait que la tuméfaction augmente régulièrement au fil du temps, au lieu de rétrécir passé un certain stade, comme c'est le cas en présence d'une infection. Les tuméfactions glandulaires qui augmentent en nombre sont également alarmantes.