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L'administration fiscale ne se contente pas de consulter vos pages personnelles sur les réseaux sociaux pour vérifier si votre niveau de vie correspond bien avec les revenus que vous déclarez chaque année, mais pousse aussi depuis de nombreuses années le législateur à adopter des réformes majeures qui réduisent notre vie privée et accroissent ses pouvoirs d'investigation.Une des premières brèches ouvertes dans le mur de protection de la confidentialité du patrimoine des contribuables belges date probablement de 2005 lorsque le législateur a décidé de supprimer les titres au porteur à partir de 2008 et de prévoir leur conversion automatique en titres dématérialisés à partir de 2014.Une autre est à chercher dans la réduction progressive du " secret bancaire ". S'il est vrai que ce principe prenait plutôt la forme d'un principe général de discrétion, puisque les banquiers n'étaient pas soumis aux mêmes obligations déontologiques que les avocats ou les médecins, il n'en reste pas moins que l'accès aux données bancaires était beaucoup plus difficile pour l'administration fiscale auparavant que maintenant.Le secret bancaire connaît de multiples exceptions (dont il n'est sans doute pas nécessaire de dresser une liste détaillée et complète) qui offre à l'administration de nombreuses possibilités pour obtenir des informations à propos des comptes des contribuables. Elle peut par exemple, si elle suspecte l'existence ou la préparation d'un mécanisme de fraude, se fonder sur la base de l'article 318 du code des impôts sur le revenu pour interroger les banques qui seront alors tenues de lui répondre.Les banques ont aussi une obligation de communication d'informations proactive, puisqu'elles doivent dénoncer à la FSMA (anciennement CBFA) les mouvements suspects sur les comptes de leurs clients. LA FSMA transmet ensuite les données au parquet qui, dans la plupart des cas, autorisera l'administration fiscale à consulter le dossier pénal.Les fonctionnaires chargés du recouvrement de l'impôt peuvent interroger les banques sans obtenir d'autorisation particulière sur la base de l'article 319 bis du Code. Le fisc peut donc saisir très facilement en cas de défaut de paiement.Dans un contexte international, les États membres de l'Union européenne se sont engagés par la directive épargne de 2011 à communiquer automatiquement les données bancaires des non-résidents à leur État de résidence de sorte qu'il est aujourd'hui impossible pour un Belge de détenir un compte à l'étranger sans que le fisc belge en soit au courant comme 80 États ont plus récemment en 2014 décidé à l'instigation de l'OCDE d'appliquer les mêmes règles, la discrétion du patrimoine n'est aujourd'hui plus garantie dans un très grand nombre d'États à travers le monde.Notons aussi que l'administration fiscale ne se contente désormais pas de s'octroyer des pouvoirs d'investigation, mais qu'elle dispose aussi de bases de données souvent très complètes qui n'existaient pas par le passé.Le législateur a par exemple voté l'an dernier un nouvel impôt sur les comptestitres qui crée une sorte de cadastre des fortunes, ce qui est inédit puisque la Belgique ne connaît pas d'obligation de déclarer le patrimoine à la différence d'autres pays tels que la France, qui prélève un impôt sur la fortune pour lequel un relevé détaillé est indispensable.Les revenus mobiliers tels que ceux des comptes d'épargne ou des comptes-titres sont bien entendu taxables, mais ils sont immédiatement imputés à la source (précomptés) de l'impôt par les banques sans que celles-ci ne doivent reporter à l'administration fiscale le montant qui a été imputé pour chaque contribuable en l'identifiant.La taxe sur les comptes titre met fin à ce défaut d'obligation de déclaration, puisqu'il est aujourd'hui indispensable de déclarer l'ensemble des comptes possédés si leur montant cumulé dépasse 500.000 euros au cours d'une année. L'administration a donc une nouvelle carte dans son jeu depuis le 1er janvier 2018 qui lui permet de connaître l'étendue du patrimoine des contribuables belge les plus fortunés.Notons également que les Belges qui sont titulaires de comptes ou d'assurances à l'étranger doivent les mentionner dans leur déclaration annuelle et remplir un document auprès du point de contact central (PCC) de la Banque nationale depuis déjà de nombreuses années.Ce service de la Banque nationale créé en 2011 collecte de nombreuses informations financières sur les contribuables belges. Il est question d'accroître les données qui lui seront communiquées et de permettre à l'administration de bénéficier d'une base de données très large qu'elle pourra consulter moyennant le respect de certaines règles.À partir du 30 septembre 2019, les sociétés, ASBL, trusts et autres fiducies sont également tenu(e)s de déclarer leurs bénéficiaires effectifs (ou en anglais, " ultimate beneficial owners " (UBO)) à l'administration fiscale en application d'une loi de 2017 qui transpose une directive européenne.Cette nouvelle législation qui concerne l'ensemble des sociétés, même sans personnalité juridique et quelle que soit leur taille, oblige les sociétés à déclarer à l'administration fiscale l'identité de toute personne qui dispose de plus de 25 % des parts d'une société ou qui exerce le contrôle de fait (par exemple, via un pacte d'actionnaires).Les informations qui doivent être communiquées sont très nombreuses et concernent toutes les personnes qui contrôlent des sociétés en Belgique (nom, prénom, adresse, rôle, qualité, titulaire de parts ou cotitulaires, nombre d'intermédiaires pour les bénéficiaires effectifs indirects, etc.). Elles seront largement consultables par les agents de l'administration et même, mais de manière plus limitée, par l'ensemble des citoyens moyennement paiement.Nous attirons donc l'attention des chefs d'entreprise et des indépendants en société lecteurs de ces lignes sur la nécessité d'accomplir cette formalité avant la fin du mois de septembre sous peine de s'exposer à des sanctions qui peuvent aller de 250 à 50.000 euros.Le législateur ne s'est pas arrêté à la constitution de bases de données puisqu'il oblige également certains professionnels à dénoncer leurs clients lorsqu'ils suspectent ceux-ci de se livrer à des activités frauduleuses.Les avocats par exemple doivent dénoncer à leur bâtonnier tous les faits dont ils ont connaissance et qu'ils soupçonnent d'être liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme depuis l'entrée en vigueur de la loi du 11 janvier 1993. Le bâtonnier décide alors s'il doit avertir les autorités ou non.Plus récemment, la 6e directive européenne de coopération administrative impose aux intermédiaires, et donc potentiellement aux avocats (les États ayant le choix de soumettre ou non les professions soumises au secret professionnel à cette obligation), de dénoncer les montages transfrontaliers " agressifs " que leurs clients mettent en place en toute légalité. Cette directive doit encore être transposée, nous verrons ce qu'en fera le législateur.L'administration fiscale a de nombreuses cordes à son arc pour vérifier si les contribuables se soumettent bien à leurs obligations fiscales et déclarent correctement leurs revenus, de sorte que ceux qui tenaient à la discrétion de leur patrimoine pour les meilleures ou moins bonnes raisons doivent bien se résoudre à se mettre à nu face au fisc. Nous insistons aussi sur les nouvelles obligations qui touchent les dirigeants et actionnaires importants d'entreprises en Belgique pour les inviter à remettre les déclarations requises au registre UBO avant le 30 septembre. Pour le reste, nous ne pouvons que déplorer ces inexorables érosions de notre vie privée que nous cautionnons malheureusement bien trop souvent, parfois à notre insu.