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Un long chemin reste encore à parcourir dans les domaines du diagnostic des états de conscience altérée et de la définition de stratégies optimales pour la prise en charge des patients concernés. Les travaux du Coma Science Group de l'Université et du CHU de Liège sont de ceux qui ont permis des avancées significatives dans la poursuite de ces deux objectifs. Raison pour laquelle son responsable, le Pr Steven Laureys, directeur de recherches FNRS, s'est vu attribuer en janvier le prix Generet pour les maladies rares, d'une valeur d'un million d'euros. Cette récompense, qui couronne une expertise scientifique, est également tournée vers le futur puisque la somme octroyée est appelée à financer une étude randomisée en double aveugle sur les effets de l'apomorphine. Par son action stimulante sur le cerveau, ce médicament dopaminergique est susceptible de favoriser un gain de conscience chez les patients en état d'éveil non répondant (précédemment qualifié d'état végétatif) ou en état de conscience minimale. Dans ce dernier, rappelons-le, le patient dispose d'une conscience fluctuante de son environnement, mais est incapable de communiquer ses pensées de manière fonctionnelle aux personnes qui l'entourent.Selon deux études réalisées au début des années 1990 par le Pr Keith Andrews (Londres) et le Dr Nancy Childs (Austin), ce type de diagnostic est erroné une fois sur trois. Et en 2009, une étude entreprise par le Coma Science Group et l'équipe du Pr Joseph Giacino, alors au New Jersey Neuroscience Institute, révélait que sur une échantillon de 103 patients, 44 personnes diagnostiquées en état d'éveil non répondant sur la base du consensus clinique de l'équipe soignante, 18 (41%) étaient en réalité en état de conscience minimale si l'on se référait à des comportements observés à l'aide de " l'échelle révisée de récupération de coma " ( Coma Recovery Scale-Revised - CRS-R), développée aux Etats-Unis par l'équipe de Joseph Giacino et validée en français et en néerlandais par Caroline Schnakers et Steven Laureys. L'utilisation systématique d'une échelle comportementale standardisée et sensible comme l'est la CRS-R peut aider à diminuer ce type d'erreur ou, du moins, à limiter l'incertitude relative au diagnostic.D'autres pistes sont également explorées comme des interfaces " cerveau-ordinateur " ou encore l'étude des caractéristiques du sommeil en recourant à l'EEG à haute densité (256 électrodes). En fait, de nombreux travaux sont menés depuis plusieurs années dans le but de définir des outils standardisés pour un diagnostic plus fiable. Un des objectifs majeurs des chercheurs est de combiner tous les tests disponibles dans le but d'obtenir des " classificateurs automatisés" ne dépendant pas de l'oeil humain. Cela leur permettrait de déterminer des probabilités "objectives" quant à l'éventuel degré de conscience résiduelle d'un patient, au niveau de la douleur qu'il peut éprouver et à ses chances de récupération.En 2013, une étude internationale, dont Olivia Gosseries, actuellement chercheuse postdoctorante au GIGA Consciousness-Coma Science Group, fut l'une des chevilles ouvrières, permit de définir un algorithme basé sur la mesure de la complexité des réponses corticales d'un sujet, enregistrées par EEG, à une stimulation magnétique transcrânienne (TMS).Le groupe international a mis en évidence que cette complexité déterminait de manière fiable le niveau de conscience des sujets soumis au test. Cette mesure, qu'ils ont baptisée Pertubational Complexity Index (PCI), oscille entre deux pôles : 0 et 1. Il est clairement apparu qu'il existait une frontière (0,3) délimitant la présence ou l'absence de conscience. Tant chez les personnes endormies ou anesthésiées que chez les patients en coma ou en état d'éveil non répondant, le PCI se situait sous le seuil fatidique (0,3). En revanche, ce dernier était franchi chez les patients en état de conscience minimale, chez les patients en locked-in syndrome (LIS) ainsi que chez les sujets contrôles éveillés, et le chiffre obtenu semblait proportionnel au niveau de conscience. Chez les patients LIS, par exemple, il était normal (entre 0,5 et 0,7), tandis qu'il variait entre 0,3 et 0,5 dans l'état de conscience minimale.Dans une seconde étude, il s'avéra que certains patients en état d'éveil non répondant avaient un PCI élevé. Il apparut que parmi les patients dans cet état, c'était eux qui possédaient les meilleures chances de récupération. " Actuellement, le PCI relève encore essentiellement du domaine de la recherche, notamment parce que l'appareillage de TMS est très imposant, intransportable, et que l'analyse des données requiert une journée complète", précise Olivia Gosseries. Elle ajoute néanmoins que l'équipe de Marcello Massimini, à l'Université de Milan, travaille à la mise au point d'un système d'analyse des données beaucoup plus rapide et que des sociétés industrielles essaient de miniaturiser les équipements de TMS pour les rendre transportables au lit des patients.Depuis sa création, le Coma Science Group s'est beaucoup investi dans la définition de méthodes diagnostiques et de moyens de communication avec les patients en état de conscience minimale. En 2006, il fut d'ailleurs le premier, en collaboration avec l'unité Medical Research Council's Cognition and Brain Sciences de l'Université de Cambridge, à réussir à communiquer, via l'IRMf en temps réel, avec une patiente anglaise de 23 ans initialement déclarée en état d'éveil non répondant, mais qui était en fait en état de conscience minimale.La clé de voûte de cette découverte fut la méthodologie utilisée. En effet, les chercheurs eurent l'idée de demander à la jeune femme de réaliser activement une tâche d'imagerie mentale. Deux séquences lui furent proposées oralement : s'imaginer en train de jouer au tennis et, d'autre part, en train de déambuler dans sa maison. La cartographie des activations cérébrales de la patiente lors de ces deux séquences coïncidait parfaitement avec celle relevée préalablement chez une trentaine de volontaires sains - recrutement des aires prémotrices au cours de la tâche d'imagerie mentale ayant trait à une partie de tennis, d'un réseau comportant entre autres les régions parahippocampiques durant la seconde tâche (se promener dans sa maison). Tout laissait donc supposer que la patiente était consciente.L'IRMf en temps réel n'atteignant pas un degré de précision suffisant pour qu'il soit possible d'opérer une distinction entre les zones qui "s'allument" dans le cerveau selon que quelqu'un souhaite répondre par oui ou par non à une question, il fut demandé à la patiente de s'imaginer en train de jouer au tennis en cas de réponse positive et en train de déambuler dans sa maison en cas de réponse négative. Depuis, l'expérience a été rééditée avec succès. Et il est envisageable que la technique des potentiels évoqués cognitifs, moyen portable, fiable et bon marché, puisse se substituer à l'IRMf pour servir de support à ces " dialogues " d'un genre particulier.Comme nous le verrons dans notre prochain numéro, le Coma Science Group est également très présent sur le terrain de la prise en charge thérapeutique des patients gravement cérébrolésés. Le prix Generet attribué à Steven Laureys en apporte la confirmation.