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Vaste ampleur et implication citoyenne inédite. Ce sont les deux qualificatifs les plus appropriés pour parler de l'étude Isala[1], menée grâce à l'envoi volontaire d'échantillons de flore vaginale par plus de 3.000 femmes en Belgique. L'analyse de ceux-ci révèle que 78% des femmes présentent un microbiote dominé par des lactobacilles, notamment Lactobacillus crispatus (43,2%) et L. iners (27,7%). Ces bactéries produisent de l'acide lactique, essentiel pour maintenir un pH acide et protéger contre les pathogènes. Cependant, des communautés moins dominées par les lactobacilles, telles que celles contenant Gardnerella et Prevotella, ont été identifiées dans 22% des cas, souvent associées à des facteurs comme les changements hormonaux, la ménopause ou l'utilisation de contraceptifs intra-utérins. L'étude a également permis d'identifier des "modules microbiens". Il s'agit de groupes de bactéries co-abondantes ayant des associations spécifiques avec l'état de santé et les habitudes de vie. Par exemple, le module dominé par L. crispatus est associé à un niveau élevé d'oestrogènes et à l'utilisation de contraceptifs hormonaux combinés. À l'inverse, le module Gardnerella est lié à l'utilisation de dispositifs intra-utérins hormonaux et à des plaintes vaginales récentes. "Cette organisation en modules reflète des interactions biologiques complexes, parfois entre bactéries, mais aussi entre le microbiote et l'hôte", explique la Pr Sarah Lebeer, bioingénieure et professeure à l'Université d'Anvers. "Ces résultats suggèrent que les déséquilibres microbiens ("vaginoses", NdlR) pourraient être mieux compris grâce à ces nouvelles classifications." La force de l'étude réside dans son échantillonnage massif. En seulement dix jours, 6.007 femmes âgées de 18 à 98 ans se sont inscrites pour participer. Parmi elles, 3.345 ont renvoyé un échantillon vaginal, accompagné d'un questionnaire détaillé sur leur mode de vie, leur santé et leurs habitudes. Ce processus a permis de collecter une importante quantité de données et de couvrir des aspects rarement explorés à cette échelle. Les échantillons ont été recueillis grâce à des kits de prélèvement envoyés par la poste, permettant aux participantes d'y procéder en toute intimité. Les analyses ont utilisé le séquençage ADN pour identifier les bactéries présentes. Cette méthode de précision a permis de classer les échantillons en 13 "communautés d'état". Cette approche est encore peu répandue dans les études de grande ampleur. L'étude met en lumière de nombreux facteurs influençant la composition du microbiote vaginal. Par exemple, les grossesses ont un impact durable sur la dominance des lactobacilles et favorisent l'apparition de bactéries souvent retrouvées dans le microbiote intestinal, comme Bifidobacterium. De même, la ménopause est associée à une diminution des lactobacilles et à une augmentation de bactéries comme Prevotella. L'impact des contraceptifs hormonaux est également marquant. Les contraceptifs combinés (oestrogènes et progestatifs) favorisent la dominance de L. crispatus, tandis que les dispositifs intra-utérins hormonaux augmentent la présence de Gardnerella. Enfin, des habitudes comme l'utilisation de tampons ou de coupes menstruelles se sont révélées bénéfiques pour la communauté de L. crispatus, contrairement à l'usage de serviettes hygiéniques, associé à une augmentation de Prevotella. "Ces associations montrent que le microbiote vaginal est un marqueur sensible des choix de vie et des événements hormonaux", précise la Pr Lebeer. Cependant, elle insiste sur la prudence dans l'interprétation des résultats: "Ces observations nécessitent des validations cliniques supplémentaires."Les résultats de l'étude Isala offrent des perspectives intéressantes pour la médecine personnalisée. Les soignants pourront utiliser ces données pour mieux diagnostiquer et traiter les déséquilibres vaginaux, par exemple en adaptant les traitements aux modules microbiens identifiés. Les associations observées entre les contraceptifs et le microbiote permettront également de guider les patientes dans le choix de leur méthode contraceptive, en fonction de leur profil bactérien et de leurs antécédents de santé. Cette recherche veut également nourrir le développement de probiotiques ciblés. Des espèces comme L. crispatus ou L. jensenii, qui jouent un rôle protecteur, pourraient être utilisées pour prévenir ou corriger les déséquilibres microbiens.