Dieter Goemaere (directeur hôpitaux & chief economist, Gibbis), le Dr Philippe Devos (directeur général d'Unessa) et Yves Smeets (directeur général de santhea) expriment leurs inquiétudes par rapport à l'étude Maha.
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Les fédérations hospitalières tirent le même constat: on s'installe durablement dans la difficulté. "On pouvait encore se dire, l'an dernier, avec la crise énergétique et la guerre en Ukraine, que la situation était exceptionnelle. Mais là, la situation est durable. Et catastrophique pour les hôpitaux", développe Yves Smeets. "Il n'y a pas de perspective d'avenir. Il n'y a pas de financement structurel, et cela n'aide pas à rétablir l'équilibre financier des hôpitaux. Cela pèse gravement sur notre système de soins de santé. Nous faisons face à des défis gigantesques en termes de vieillissement, de maladies chroniques. Et pourtant, il y a un ralentissement des investissements, que ce soit dans l'offre en termes de bâtiments adaptés et modernes par rapport aux besoins, mais aussi une baisse de l'investissement au niveau du matériel médical. Cela va peser à long terme sur notre système des soins de santé.""Les hôpitaux arrivent à se maintenir car ils n'investissent plus dans le matériel médical, dans l'isolation de leurs bâtiments. À terme, cela nous conduit droit dans le mur", corrobore le Dr Philippe Devos. "C'est comme les routes: si on n'investit plus pendant dix ans, on économise. Mais après dix années, il y a des travaux partout et tout est l'arrêt. J'ai peur que les hôpitaux payent la note dans quelques années, quand nous aurons justement le plus grand besoin de soins de santé efficaces. Il y a urgence de réformer, de se préparer à faire face à ce choc qui va nous tomber dessus.""L'impact de l'inflation et de la pénurie perdurent", confirme encore Dieter Goemaere. "Cette situation négative ne peut pas se prolonger indéfiniment."La solution est avant tout politique, avance Dieter Goemaere. "Il faut créer des certitudes déjà à court terme, en approuvant le budget soins de santé 2025. Il faut former le gouvernement avec des accords qui prévoient des investissements et des réformes. De nombreuses études et chantiers sont sur les rails. Il faut les voir aboutir.""Frank Vandenbroucke a eu le mérite de nous réunir régulièrement. Nous avons eu des discussions. Mais le pays est complexe, avec des compétences étrangers entre les Régions et le Fédéral. Les réalités sont différentes dépendant d'où l'on se trouve, et il sera compliqué d'avancer une proposition qui unit tous les points de vue. Cependant, je pense que nous sommes d'accord sur les grands principes. Il faut trouver d'autres modes d'organisation des soins pour offrir à chaque citoyen belge le même accès aux soins."Le financement des hôpitaux fait depuis de longues années l'objet de réflexions. Maggie De Block a tenté les réseaux hospitaliers. Frank Vandenbroucke se fait encore attendre pour la réforme de la nomenclature. En attendant, les fusions d'hôpitaux continuent, souvent pour colmater les brèches. "Il faut aller au-delà des fusions, des réseaux. Il faut arrêter de faire tout partout. Et on voit bien que les réseaux ne le permettent pas dans l'immédiat. Parfois, ils complexifient même la situation. Certaines fusions et rapprochements entre hôpitaux qui ont eu lieu ces dernières années ne sont pas étrangères aux difficultés financières que connaissent les hôpitaux", pense Philippe Devos. "C'est une fuite en avant", estime Yves Smeets. "Quand vous mettez deux canards boiteux ensemble, on ne fait que des économies marginales. La situation globale ne s'améliore pas. Cependant, l'intérêt des fusions est davantage l'amélioration de la qualité médicale. Cela permet de plus gros volumes, des équipes complètes. Quand aux réseaux, le ministre [Frank Vandenbroucke] esquisse un paysage des soins. Mais il ne s'oriente pas vers les réseaux que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit d'un autre type d'organisation, de structuration des soins."Justement, Frank Vandenbroucke a réagit à l'étude Maha. Selon lui, "ce n'est pas une solution de continuer sur la même voie, sans revoir en profondeur le modèle de financement des hôpitaux. Nous devons aller vers un nouveau modèle, moins complexe et plus transparent, qui encourage moins la concurrence et plus de coopération, et qui incite à plus de qualité et d'efficacité sans récompenser une éventuelle surconsommation. La pierre angulaire de ce nouveau modèle de financement est l'introduction d'un "forfait all-in" par pathologie qui englobe tous les coûts justifiés liés aux soins."L'approche d'un tel trajet de réforme doit être définie dans un nouvel accord de gouvernement, avance le ministre. "D'une part, il faudra se concerter avec les entités fédérées. D'autre part, les experts du secteur doivent pouvoir donner une impulsion créative et indépendante. C'est pourquoi je demanderai au Conseil fédéral des établissements hospitaliers quelle est la meilleure façon d'obtenir un avis d'expert approfondi et indépendant sur un plan global de réforme du paysage hospitalier. Selon moi, un tel avis devrait pouvoir être disponible au 1er juillet 2025, de manière à pouvoir s'en inspirer dès la première année de la nouvelle législature. L'ensemble du processus sera sans aucun doute scindé en plusieurs chantiers afin que le processus de changement soit et reste réalisable pour toutes les parties prenantes. C'est la seule façon de pouvoir maintenir des soins de santé à la fois de qualité et finançables: en réformant et en investissant en concertation."