Les recherches scientifiques l'attestent, les expériences de mort imminente sont bien réelles. Les chercheurs du Coma Science Group de l'ULiège s'efforcent d'en étudier les différents aspects.
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Les expériences de mort imminente (EMI) sont relativement fréquentes, puisque environ 10% des personnes ayant survécu à un arrêt cardiaque en rapportent une. Le nombre de cas pourrait néanmoins être sous-évalué, certains patients ayant peut-être oublié un épisode de ce type, un peu comme on oublierait un rêve. De surcroît, il arrive que des personnes relatent une expérience de mort imminente alors que leur vie n'a pas été en danger et qu'à aucun moment, elles n'ont sombré dans le coma. Une syncope, une séance de méditation, la prise de drogues psychédéliques ou encore un stress très aigu, comme par exemple lorsque l'on échappe à la noyade, peuvent parfois suffire à générer un tel phénomène. On parle alors de EMI-like, mais plus souvent de NDE-like par référence à la terminologie anglo-saxonne des EMI (Near-Death Experiences - NDE). Les composantes des EMI sont très spectaculaires. Sur la base de travaux du Coma Science Group du GIGA-Consciousness de l'ULiège, publiés en 2018 dans PLoS One, on peut en énoncer 11: vision d'une lumière, rencontre avec des défunts ou avec un être mystique, hyperlucidité, narration de scènes, sensation d'être dans l'obscurité, expérience de décorporation (Out-of-Body Experience - OBE), impression d'être mort, souvenir d'événements vécus, sensation d'entrer dans l'expérience de mort imminente, sensation de rentrer dans le monde réel au terme de l'expérience, perception altérée du temps. Pour être qualifié d'"expérienceur" (personne ayant été confrontée à une expérience de mort imminente), il n'est pas nécessaire d'avoir vécu l'ensemble des phénomènes caractéristiques d'une EMI, mais un certain nombre d'entre eux. Dans ces conditions - EMI à géométrie variable -, comment déterminer si un individu est ou non un expérienceur? Des échelles standardisées ont été élaborées à cette fin. En particulier, l'échelle de Greyson qui repose sur 16 questions relatives à différentes dimensions (cognitive, affective, paranormale...) des EMI. Chaque question peut donner lieu à un score de 0, si le phénomène spécifique évoqué dans la question était absent de l'expérience du sujet, et, s'il en faisait partie, à un score de 1 ou 2 selon l'intensité avec laquelle il a été ressenti. Un total de 7 ou plus est requis pour qu'on considère qu'il y a eu expérience de mort imminente. L'échelle de Greyson a cependant plusieurs limites que le Coma Science Group a essayé de dépasser en proposant en 2020 une "échelle de Greyson revisitée", la Near-Death Experience Content (NDE-C) scale, comportant 20 items et aujourd'hui traduite en plusieurs langues. L'échelle proposée en 1983 par le psychiatre américain Bruce Greyson pèche essentiellement à deux niveaux: elle manque de nuance et elle ne tient pas compte de l'existence d'EMI vécues négativement sur le plan émotionnel. Aussi, au sein du Coma Science Group, l'équipe de Charlotte Martial, neuropsychologue responsable des recherches sur les expériences de mort imminente, a-t-elle conçu une échelle standardisée avec la possibilité de scores échelonnés de 0 à 4 pour chaque réponse et introduit quatre nouveaux items en plus de ceux de l'échelle de Greyson. Ces questions supplémentaires, telles que "Avez-vous éprouvé un sentiment de non-existence, de vide absolu et/ou de peur?", permettent de prendre en considération la présence d'EMI négatives, minoritaires certes, mais statistiquement non négligeables. En effet, si la plupart des expérienceurs déclarent avoir vécu leur EMI comme un "moment de félicité" et être devenus ensuite moins matérialistes, plus altruistes ou plus empreints de spiritualité, des travaux du Coma Science Group portant sur 123 sujets ayant été en proie à une EMI (publication en 2019 dans Memory) montrent que 14% d'entre eux l'ont mal vécue. Trois types d'EMI négatives ont été répertoriées, en accord avec les données de la littérature: les EMI inversées, les EMI Void et les EMI Hellish. "Les premières présentent les mêmes composantes que les EMI vécues positivement (lumière, OBE...), mais le ressenti des sujets revêt une forte connotation négative", explique Héléna Cassol, première auteur de l'article. "Les deuxièmes sont caractérisées par un sentiment de vide intersidéral, de néant et de solitude absolue. Elles présentent peu de dimensions communes avec les EMI positives ou inversées. Les troisièmes sont de loin les plus effrayantes. En effet, l'expérienceur relate des rencontres avec des monstres, le diable, etc. Pour lui, c'est l'enfer (d'où le nom Hellish). À l'instar des "Void", ces expériences terrifiantes comportent peu de dimensions des EMI positives ou inversées." Par ailleurs, les EMI négatives étaient associées à une plus grande proportion d'arrêts cardiaques consécutifs à des tentatives de suicide. "On peut émettre différentes hypothèses à cet égard", commente Charlotte Martial. "L'une d'elles est que le contexte de tentative de suicide dans lequel certains expérienceurs ont vécu leur EMI a pu influencer leurs émotions au cours de cette expérience."Les souvenirs d'EMI sont le plus souvent colorés par les croyances culturelles, philosophiques et religieuses. De cela, l'échelle de Greyson fait également fi. "Selon les cultures, des variantes peuvent quelquefois être observées au niveau de la représentation de différentes composantes des EMI", disait la neuropsychologue Vanessa Charland-Verville, alors chercheuse au Coma Science Group. "Par exemple, les bouddhistes peuvent rapporter la présence d'une rivière au lieu d'un tunnel tandis que pour les musulmans, ce sera plutôt une grande porte ; les hindous évoqueront parfois la vision d'un sage tournant les pages d'un livre et les catholiques se représenteront les êtres de lumière comme étant des anges." La référence à de telles variantes n'apparaissait pas dans l'échelle de Greyson. La Near-Death Experience Content scale s'en distingue également sur ce point. Selon la nouvelle échelle conçue à Liège, un score minimum de 27 sur 80 serait requis pour qu'il y ait eu EMI classique ou like. "L'idée", explique la chercheuse, "est de caractériser une expérience subjective, mais il appartient à la personne qui l'a vécue de la contextualiser." Ainsi que l'estime le Pr Steven Laureys, responsable du GIGA-Consciousness, une valeur seuil n'est toutefois pas la panacée, parce que réduire à un score une expérience vécue a des limites et, par ailleurs, parce qu'un individu qui aurait un faible score sur l'échelle pourrait néanmoins avoir vécu une expérience particulière. La définition d'une valeur seuil se justifie surtout dans une perspective expérimentale. On pourrait se demander si les souvenirs d'EMI ne sont pas faux, imaginés. On sait que sur le plan phénoménologique, les souvenirs réels, c'est-à-dire ayant trait à des événements matériellement établis, sont plus riches en détails que les souvenirs imaginés, ceux qui consistent à se rappeler un événement que l'imagination a bâti de toutes pièces - par exemple, la représentation mentale que l'on s'était forgée de vacances futures. Or, dans un article publié en 2013 dans PLoS One, les chercheurs du Coma Science Group ont montré que les souvenirs d'EMI étaient d'une rare richesse en détails sensoriels, autoréférentiels et émotionnels. Et même d'une richesse supérieure aux souvenirs réels, ce qui amène Vanessa Charland-Verville à parler d'"hyperréalité". Attention! Ce constat n'accrédite pas la thèse que les phénomènes rapportés - l'entrée dans un tunnel, une décorporation, une rencontre avec des défunts... - correspondent à des stimuli externes authentiques, mais il souligne l'intensité hors norme des sensations éprouvées. En 2019, les chercheurs de l'ULiège publièrent dans Neuroscience of Consciousness les résultats d'une étude dont la première auteure était Héléna Cassol. Ces travaux portaient sur une catégorie particulière de souvenirs autobiographiques: les "souvenirs définissant le soi" (self defining memories), lesquels sont le reflet des buts, préoccupations et conflits non résolus occupant une place centrale dans la vie d'un individu. "Ces souvenirs représentent en quelque sorte la cristallisation des liens entre la mémoire épisodique, celle des événements personnellement vécus, et l'identité", expliquait le Pr Martial Van der Linden, alors responsable de l'unité de psychopathologie et de neuropsychologie clinique à l'Université de Genève. En d'autres termes, il s'agit de souvenirs marquants, comme pourrait l'être celui de la naissance d'un enfant dont on est le père ou la mère. Des souvenirs qui caractérisent l'individu. "En recourant à une échelle baptisée Centrality Horizon Scale, qui permet d'appréhender si un événement qu'on a vécu est central pour la construction de notre propre identité, nous avons pu mettre en évidence, chez beaucoup d'expérienceurs, que leur EMI était devenue, comme on pouvait le supposer, un élément cardinal qui les caractérisait", dit Charlotte Martial. Les EMI furent longtemps taboues, y compris au sein de la communauté scientifique, de sorte que les patients étaient peu enclins à en parler. Les choses ont changé, bien que l'intégration de ce type de vécus dans la vie quotidienne reste parfois problématique, notamment en raison de l'opinion et du comportement de l'entourage. Steven Laureys tient à insister sur le fait que les EMI constituent une réalité physiologique et que nier leur existence n'est plus de mise. "Les sensations que les patients rapportent, ils les ont vraiment éprouvées", dit-il. Les théories explicatives des NDE peuvent être regroupées en trois catégories: spirituelles, psychologiques et neurophysiologiques. Les premières ne reposent sur aucune démonstration rigoureuse. "Jusqu'à preuve du contraire, personne n'a jamais pu mettre en évidence un phénomène conscient sans activité neuronale", souligne le Pr Laureys. Les tenants de l'explication spirituelle affirment que les EMI sont la preuve de l'existence d'une vie après la mort. "Tout vient d'une confusion entre les concepts de mort cérébrale, où le cerveau est devenu totalement inactif, et de mort clinique, qui se limite à la cessation de la respiration et de la circulation sanguine, laissant ainsi encore une chance de récupération", souligne Charlotte Martial. Par définition, les expérienceurs n'ont jamais connu la mort! D'autre part, la théorie spirituelle fait l'impasse sur la réalité de EMI-like. Il existe par ailleurs plusieurs interprétations psychologiques des EMI. Selon l'une d'elles, ces expériences consisteraient en une forme de dépersonnalisation, en un sentiment de perte du sens de la réalité qui servirait de moyen de défense devant une menace de mort. En quelque sorte, notre inconscient bâtirait de toutes pièces une "fable" pour nier l'imminence de notre disparition. Mais cette hypothèse, elle aussi, ne peut expliquer toutes les EMI, puisque certaines d'entre elles se produisent en l'absence d'un quelconque danger de mort. Enfin, on recense de nombreuses théories neurophysiologiques des EMI. Ce sont les plus crédibles. Actuellement, les mieux assises associent les diverses composantes des EMI (tunnel de lumière, OBE, etc.) à un dysfonctionnement de régions cérébrales spécifiques, notamment à la suite d'un traumatisme crânien ou d'une hypoxie. Les faits plaident en faveur de cette hypothèse. Ainsi, en 2002, le neurochirurgien Olaf Blanke et ses collaborateurs de l'hôpital universitaire de Genève ont provoqué une expérience de décorporation (OBE) chez une patiente épileptique en lui stimulant involontairement la jonction temporo-pariétale droite du cerveau. Quelques années plus tard, le même résultat fut obtenu expérimentalement à Anvers (équipe du Pr Dirk De Ridder) et à Genève par stimulation de la même région cérébrale. C'est dans ce contexte que le Coma Science Group, en collaboration avec l'Unité de psychologie cognitive de l'ULiège, consacre une part de ses recherches sur les EMI à l'étude des versants neuroanatomique et psychologique de ces expériences si particulières que nous continuerons à explorer la semaine prochaine.