En se basant sur les dernières recherches neuroscientifiques, la Dre Caroline Depuydt démystifie la consommation digitale et propose, dans son dernier ouvrage, des pistes concrètes pour une utilisation plus saine et équilibrée des écrans, adaptée au rythme et besoins de chacun. Elle évoque avec nous les tensions, les méfaits que la surconsommation d'écrans peut provoquer sur les personnes jeunes (ou moins) et leur environnement, mais également les aspects positifs que ces outils peuvent avoir sur la santé.

Le journal du Médecin: Les jeunes souffrent plus facilement d'addiction aux écrans du fait d'un cerveau en phase de maturation, écrivez-vous...

Caroline Depuydt: Le développement cérébral d'un jeune va se poursuivre jusqu'à l'âge de 22, voire 25 ans, notamment celui du cortex préfrontal. Le circuit du plaisir est par contre très actif très tôt dans l'existence. Ce qui est logique, ce circuit de la dopamine étant extrêmement utile à notre survie, il nous permet de manger, se reproduire, prendre du plaisir à réaliser des choses... Chez les ados et les plus jeunes, le circuit du plaisir et de la récompense est très actif, et s'accompagne d'une certaine impulsivité. Le cortex préfrontal vient normalement nous apaiser, lequel limite cette impulsivité. Chez les jeunes, on note une contradiction, une asynchronie entre un circuit du plaisir déjà très présent et qu'on a envie de récompenser, et un cortex préfrontal calmant pas encore tout à fait développé.

La Dre Caroline Depuydt, Th. Strickaert
La Dre Caroline Depuydt © Th. Strickaert

Pourquoi pas des limites de connexion? Stopper TikTok la nuit pour les mineurs ou bannir les réseaux sociaux entre minuit et 6 h du matin...

Il s'agit donc, dites-vous, de réveiller ce cortex préfrontal?

Oui, puisque chez les ados, il n'est pas encore totalement présent, et que du côté des adultes, nous avons tendance à vite l'oublier car nous évoluons dans une société de l'immédiateté, de l'impulsivité. Ce qui se traduit notamment par l'infobésité et la surinformation: c'est pratique, en fait, d'avoir tout, tout de suite. D'ailleurs, les réseaux sociaux et les écrans nous engagent encore plus dans cette immédiateté. Ils nous donnent rapidement des résultats là où normalement nous devrions patienter. On poste un message et, dans les dix secondes, on obtient un like, un commentaire. Cette patience a disparu. Nous sommes de plus en plus amenés à nous montrer impulsifs, à avoir du mal à nous contrôler, d'une part par la société, de l'autre parce que pour notre cerveau, c'est une paresse, une pente facile qu'il aime prendre. Et enfin, parce que les écrans vont vraiment stimuler l'impulsivité. Le cortex préfrontal est un outil afin de parvenir à contrer cette impulsivité, qui joue le rôle de sage.

Piratage

Ces plateformes et réseaux font-ils appel à notre cerveau archaïque, reptilien, à des choses presque primales, finalement?

Ces plateformes vont quasiment pirater, hacker notre cerveau pour solliciter nos biais et tout ce qui peut nous rendre captifs. Ils cherchent à capter notre attention afin que nous passions un maximum de temps sur leurs réseaux, promouvoir et vendre leurs produits. Ils vont chercher à comprendre comment fonctionne le cerveau afin de nous procurer le désir de passer de plus en plus de temps et de revenir constamment aux réseaux. De cette manière, les plateformes vont pirater le circuit de la récompense, vont utiliser la question de l'inclusion sociale. Les réseaux sociaux vont également appuyer ce besoin primaire d'être inclus.

Vous évoquez la mise sur pied d'un code éthique pour les plateformes. N'est- ce pas utopique ou n'est-il pas déjà trop tard?

C'est totalement utopique mais en même temps, si on ne le propose pas, ça ne se fera jamais. Il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités. Et au même titre qu'il y a des codes de déontologie pour les médecins et pour les avocats, effectivement une telle démarche pourrait permettre de mettre des limites, sanctionnées par de fortes amendes lorsqu'elles ne sont pas respectées. Pourquoi pas des limites de connexion? Stopper TikTok la nuit pour les mineurs ou bannir les réseaux sociaux entre minuit et 6 h du matin. L'Australie développe un projet d'interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 14 ans ou moins de 16 ans. Chez nous, ce serait pour les moins de 13 ans: ce n'est pas mis en oeuvre parce qu'il est très facile de tricher. Par ailleurs, l'interdiction donnera l'envie d'aller au-delà de l'interdit et donc de toute façon de se connecter ou bien de se connecter à des réseaux sociaux qui sont encore moins éthiques, qui permettent d'outrepasser cette interdiction, et qui sont des réseaux sociaux qui pourraient être des dangers parce qu'y sévissent des personnes qui veulent profiter de l'illégalité. Enfin, cette solution n'éduque pas la personne. Je penche davantage pour une limitation, un encadrement. Par exemple, couper les GSM à l'école, les enlever en début de journée et les rendre en fin de journée me semble une très bonne idée. Mais pas une interdiction pure et simple, qui donnera envie aux gens de l'outrepasser. L'écran est d'abord un outil, il est dommageable de le diaboliser et de vouloir l'interdire parce que dangereux. Je plaide pour une éducation préventive: s'armer cognitivement et comprendre les mécanismes permet de se réguler.

Vous êtes d'ailleurs opposée aux détox digitales...

Se dire que les week-ends, on se déconnecte par moments est une très bonne idée parce que on le fait en toute conscience. Mais compter sur l'extérieur, faire une cure de détox comme pour l'alcool, sans comprendre le mécanisme, induit de très fortes chances de rechutes à la sortie.

"Black box"

Internet et les réseaux sont un peu à l'image de la télévision jadis: tout dépend de l'usage que l'on en fait. On avait interdit les images subliminales au niveau de la publicité télévisuelle à l'époque. Par contre, au niveau publicitaire, sur le net et les réseaux, c'est la jungle...

Ce n'est donc pas si utopiste d'envisager un code d'éthique et de fixer des limites. Parce qu'en effet, si tout est permis, c'est une black box. Leur système basé sur les algorithmes par exemple, la façon dont ils fonctionnent, leurs sélections, leurs effets, restent secret défense. Dès lors, leurs propriétaires peuvent effectivement agir comme bon leur semble. On a découvert que des études avaient été effectuées à l'insu des gens, qui modifiaient leur comportement. Facebook avait par exemple modifié le fil d'actualités des utilisateurs Facebook en y plaçant plus de contenu à émotions négatives ou plus de contenu à émotions positives. Les personnes soumises à davantage de contenu à émotions négatives se révélaient d'une humeur plus maussade le reste de la journée. Il avait été procédé à une manipulation mentale sans l'autorisation de la personne. Ils avaient par ailleurs mené des études sur l'impact des réseaux sociaux sur l'estime de soi des jeunes, sur le taux d'anxiété, de dépression: le résultat de ces études montrait qu'effectivement, les réseaux sociaux augmentaient l'anxiété des jeunes, diminuaient leur estime d'eux-mêmes, pouvaient les mettre à mal quand ils étaient déjà en difficulté. Ces résultats ont été gardés secrets et les réseaux ont continué à augmenter leur capacité à nous rendre captifs.

D'autant plus qu'il y a le phénomène de la chambre d'écho : contrairement à ce que l'on pensait au début - qu'Internet représentait une ouverture sur le monde et les idées -, il ne fait que rétrécir la pensée et l'ouverture d'esprit par effet d'entonnoir...

On se situe dans une pensée circulaire, où ce que l'on pense est validé par l'Autre, dont nous validons à notre tour la pensée dans un processus de circularité. Mais un avis différent, voire opposé, je n'en ai pas conscience et je ne sais même plus qu'il existe. Ce qui a été utilisé au niveau politique afin de polariser les camps et pousser au vote. Effectivement, on se rétracte dans un effet de bulle, une chambre d'écho, un effet d'entonnoir dans lequel on n'entend plus que son propre avis. Ce qui est dramatique car cela conduit aux extrêmes.

Les enfants des patrons des GAFAM n'ont pas de smartphone, qu'est-ce que ça vous inspire?

Un phénomène évoqué dans le docufiction "Derrière nos écrans de fumée". Ce discours diabolisant leur invention par leur créateur est d'un manichéisme dont je préfère sortir car cela requiert beaucoup de possibilités, donc de moyens et donc d'argent pour réaliser une telle abstinence. Mais imposer une telle injonction à une population de citoyens normaux ou de médecins qui doivent conseiller leurs patients, est impossible. On peut au contraire limiter l'utilisation, choisir dans une famille par exemple de refuser l'accès au digital avant dix ans et proposer plein d'activités alternatives. Mais cela exige du temps, de l'énergie - énergie que les parents qui travaillent, qui sont débordés, n'ont pas toujours. Ce serait donc l'injonction d'être un bon parent impossible à tenir, résultant en burn out parentaux. Cela pourrait déboucher sur un effet contreproductif : choisir en son âme et conscience de le faire et disposer d'alternatives pour le faire, c'est une chose, mais qu'on donne ça comme injonction en diabolisant les écrans se révèle contre-productif.

Ces plateformes vont quasiment pirater, hacker notre cerveau pour solliciter nos biais et tout ce qui peut nous rendre captifs." - Dre Caroline Depuydt

Jeux vidéo

Vous voyez un aspect positif dans les jeux vidéo...

Il est important de le mettre aussi en valeur. En fait, de nouveau, si l'on ne fait que diaboliser les jeux vidéo, entre parents et enfants, il n'y aura pas de compréhension. Les enfants vont jouer en cachette, et puis il n'y a pas de point de rencontre. De récentes études montrent qu'il y a des risques d' addiction, 3% d'addiction, on y joue trop, 97% des enfants de 10 à 12 ans jouent aux jeux vidéo au moins une heure par jour. C'est beaucoup, mais en même temps, on constate une augmentation des capacités d'attention, des réflexes 'oeil main'. On observe également une grande flexibilité mentale: on doit trouver des solutions, inventer, travailler en équipe, accepter l'échec, ce qui permet vraiment d'être beaucoup plus flexible. Or, la flexibilité mentale, c'est l'atout qu'on peut développer pour avancer dans la vie, qui nous permet de nous sortir d'une impasse, de trouver des alternatives, de retrouver de l'espoir. Les jeux multijoueurs permettent de développer des stratégies de groupe, ce qui se révèle utile lorsqu'ensuite on doit travailler en équipe. C'est accepter l'erreur et ne pas se décourager: aux jeux vidéo, on affronte 120 'game over' avant de passer au niveau suivant. Cela confère beaucoup de flexibilité et de capacité à accepter l'erreur. Et donc, c'est à un point tel que des recruteurs valorisent les gamers.

Un phénomène dont il faut tenir compte est celui de l'épuisement de la volonté...

Notre cerveau possède une capacité limitée, il a besoin de se reposer. Raison pour laquelle on dort: notre organisme et notre cerveau ont besoin de se reposer parce qu'on se fatigue. Et notre cerveau a tendance à être paresseux, pour tenter de se préserver. Lorsqu'on essaie de mettre en place un changement à force de volonté, on s'épuise. C'est ce que l'on observe dans le cas d'un régime. Si l'on tente de se détoxifier ou d'utiliser moins les écrans sans comprendre, par sa simple volonté, du fait que celle-ci est semblable à un muscle qui s'épuise, en fin de journée, on n'en a plus et on craque. Le but de ce livre est de fournir des clés de compréhension pour s'armer, pour comprendre et pour pouvoir beaucoup plus facilement activer son cortex préfrontal, de faire appel à la compréhension plutôt qu'à la seule volonté. Intégrer des stratégies permet de trouver un juste équilibre.

Les écrans ont un effet à la fois physique et mental ?

Les seules conséquences qui soient démontrées, ce sont celles sur la qualité et la quantité de sommeil. Le sommeil, c'est la vie. Moins de sommeil et de moindre qualité résultent en des troubles de la concentration, de la dépression, de l'anxiété, du diabète, une augmentation du poids et des maladies cardiovasculaires. Trop de sédentarité, parce que l'on ne parvient pas à se déconnecter, associé à la malbouffe, résulte en de l'obésité.

Par contre, vous dites qu'au niveau mental, il n'y a rien de certifié...

Non, c'est beaucoup plus subtil. Mais associé à d'autres facteurs de fragilité et de vulnérabilité, trop d'écrans peut effectivement augmenter l'anxiété et la dépression.

Quels conseils donneriez-vous aux médecins confrontés à des patients qu'ils soupçonnent d'aller mal à cause des écrans?

Il faut s'autoriser à poser cette question. Les écrans font désormais partie de notre vie. Lorsqu'un patient consulte pour des troubles du sommeil, lui poser la question de l'utilisation des écrans: cette personne n'en est pas toujours consciente et ne pense pas à en parler. Cela doit presque faire partie de l'anamnèse, désormais.

Caroline Depuydt. Je me libère des écrans! Racine.

En se basant sur les dernières recherches neuroscientifiques, la Dre Caroline Depuydt démystifie la consommation digitale et propose, dans son dernier ouvrage, des pistes concrètes pour une utilisation plus saine et équilibrée des écrans, adaptée au rythme et besoins de chacun. Elle évoque avec nous les tensions, les méfaits que la surconsommation d'écrans peut provoquer sur les personnes jeunes (ou moins) et leur environnement, mais également les aspects positifs que ces outils peuvent avoir sur la santé. Le journal du Médecin: Les jeunes souffrent plus facilement d'addiction aux écrans du fait d'un cerveau en phase de maturation, écrivez-vous... Caroline Depuydt: Le développement cérébral d'un jeune va se poursuivre jusqu'à l'âge de 22, voire 25 ans, notamment celui du cortex préfrontal. Le circuit du plaisir est par contre très actif très tôt dans l'existence. Ce qui est logique, ce circuit de la dopamine étant extrêmement utile à notre survie, il nous permet de manger, se reproduire, prendre du plaisir à réaliser des choses... Chez les ados et les plus jeunes, le circuit du plaisir et de la récompense est très actif, et s'accompagne d'une certaine impulsivité. Le cortex préfrontal vient normalement nous apaiser, lequel limite cette impulsivité. Chez les jeunes, on note une contradiction, une asynchronie entre un circuit du plaisir déjà très présent et qu'on a envie de récompenser, et un cortex préfrontal calmant pas encore tout à fait développé. Il s'agit donc, dites-vous, de réveiller ce cortex préfrontal? Oui, puisque chez les ados, il n'est pas encore totalement présent, et que du côté des adultes, nous avons tendance à vite l'oublier car nous évoluons dans une société de l'immédiateté, de l'impulsivité. Ce qui se traduit notamment par l'infobésité et la surinformation: c'est pratique, en fait, d'avoir tout, tout de suite. D'ailleurs, les réseaux sociaux et les écrans nous engagent encore plus dans cette immédiateté. Ils nous donnent rapidement des résultats là où normalement nous devrions patienter. On poste un message et, dans les dix secondes, on obtient un like, un commentaire. Cette patience a disparu. Nous sommes de plus en plus amenés à nous montrer impulsifs, à avoir du mal à nous contrôler, d'une part par la société, de l'autre parce que pour notre cerveau, c'est une paresse, une pente facile qu'il aime prendre. Et enfin, parce que les écrans vont vraiment stimuler l'impulsivité. Le cortex préfrontal est un outil afin de parvenir à contrer cette impulsivité, qui joue le rôle de sage. Ces plateformes et réseaux font-ils appel à notre cerveau archaïque, reptilien, à des choses presque primales, finalement? Ces plateformes vont quasiment pirater, hacker notre cerveau pour solliciter nos biais et tout ce qui peut nous rendre captifs. Ils cherchent à capter notre attention afin que nous passions un maximum de temps sur leurs réseaux, promouvoir et vendre leurs produits. Ils vont chercher à comprendre comment fonctionne le cerveau afin de nous procurer le désir de passer de plus en plus de temps et de revenir constamment aux réseaux. De cette manière, les plateformes vont pirater le circuit de la récompense, vont utiliser la question de l'inclusion sociale. Les réseaux sociaux vont également appuyer ce besoin primaire d'être inclus. Vous évoquez la mise sur pied d'un code éthique pour les plateformes. N'est- ce pas utopique ou n'est-il pas déjà trop tard? C'est totalement utopique mais en même temps, si on ne le propose pas, ça ne se fera jamais. Il faut aussi que chacun prenne ses responsabilités. Et au même titre qu'il y a des codes de déontologie pour les médecins et pour les avocats, effectivement une telle démarche pourrait permettre de mettre des limites, sanctionnées par de fortes amendes lorsqu'elles ne sont pas respectées. Pourquoi pas des limites de connexion? Stopper TikTok la nuit pour les mineurs ou bannir les réseaux sociaux entre minuit et 6 h du matin. L'Australie développe un projet d'interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 14 ans ou moins de 16 ans. Chez nous, ce serait pour les moins de 13 ans: ce n'est pas mis en oeuvre parce qu'il est très facile de tricher. Par ailleurs, l'interdiction donnera l'envie d'aller au-delà de l'interdit et donc de toute façon de se connecter ou bien de se connecter à des réseaux sociaux qui sont encore moins éthiques, qui permettent d'outrepasser cette interdiction, et qui sont des réseaux sociaux qui pourraient être des dangers parce qu'y sévissent des personnes qui veulent profiter de l'illégalité. Enfin, cette solution n'éduque pas la personne. Je penche davantage pour une limitation, un encadrement. Par exemple, couper les GSM à l'école, les enlever en début de journée et les rendre en fin de journée me semble une très bonne idée. Mais pas une interdiction pure et simple, qui donnera envie aux gens de l'outrepasser. L'écran est d'abord un outil, il est dommageable de le diaboliser et de vouloir l'interdire parce que dangereux. Je plaide pour une éducation préventive: s'armer cognitivement et comprendre les mécanismes permet de se réguler. Vous êtes d'ailleurs opposée aux détox digitales... Se dire que les week-ends, on se déconnecte par moments est une très bonne idée parce que on le fait en toute conscience. Mais compter sur l'extérieur, faire une cure de détox comme pour l'alcool, sans comprendre le mécanisme, induit de très fortes chances de rechutes à la sortie. Internet et les réseaux sont un peu à l'image de la télévision jadis: tout dépend de l'usage que l'on en fait. On avait interdit les images subliminales au niveau de la publicité télévisuelle à l'époque. Par contre, au niveau publicitaire, sur le net et les réseaux, c'est la jungle... Ce n'est donc pas si utopiste d'envisager un code d'éthique et de fixer des limites. Parce qu'en effet, si tout est permis, c'est une black box. Leur système basé sur les algorithmes par exemple, la façon dont ils fonctionnent, leurs sélections, leurs effets, restent secret défense. Dès lors, leurs propriétaires peuvent effectivement agir comme bon leur semble. On a découvert que des études avaient été effectuées à l'insu des gens, qui modifiaient leur comportement. Facebook avait par exemple modifié le fil d'actualités des utilisateurs Facebook en y plaçant plus de contenu à émotions négatives ou plus de contenu à émotions positives. Les personnes soumises à davantage de contenu à émotions négatives se révélaient d'une humeur plus maussade le reste de la journée. Il avait été procédé à une manipulation mentale sans l'autorisation de la personne. Ils avaient par ailleurs mené des études sur l'impact des réseaux sociaux sur l'estime de soi des jeunes, sur le taux d'anxiété, de dépression: le résultat de ces études montrait qu'effectivement, les réseaux sociaux augmentaient l'anxiété des jeunes, diminuaient leur estime d'eux-mêmes, pouvaient les mettre à mal quand ils étaient déjà en difficulté. Ces résultats ont été gardés secrets et les réseaux ont continué à augmenter leur capacité à nous rendre captifs.D'autant plus qu'il y a le phénomène de la chambre d'écho : contrairement à ce que l'on pensait au début - qu'Internet représentait une ouverture sur le monde et les idées -, il ne fait que rétrécir la pensée et l'ouverture d'esprit par effet d'entonnoir... On se situe dans une pensée circulaire, où ce que l'on pense est validé par l'Autre, dont nous validons à notre tour la pensée dans un processus de circularité. Mais un avis différent, voire opposé, je n'en ai pas conscience et je ne sais même plus qu'il existe. Ce qui a été utilisé au niveau politique afin de polariser les camps et pousser au vote. Effectivement, on se rétracte dans un effet de bulle, une chambre d'écho, un effet d'entonnoir dans lequel on n'entend plus que son propre avis. Ce qui est dramatique car cela conduit aux extrêmes.Les enfants des patrons des GAFAM n'ont pas de smartphone, qu'est-ce que ça vous inspire? Un phénomène évoqué dans le docufiction "Derrière nos écrans de fumée". Ce discours diabolisant leur invention par leur créateur est d'un manichéisme dont je préfère sortir car cela requiert beaucoup de possibilités, donc de moyens et donc d'argent pour réaliser une telle abstinence. Mais imposer une telle injonction à une population de citoyens normaux ou de médecins qui doivent conseiller leurs patients, est impossible. On peut au contraire limiter l'utilisation, choisir dans une famille par exemple de refuser l'accès au digital avant dix ans et proposer plein d'activités alternatives. Mais cela exige du temps, de l'énergie - énergie que les parents qui travaillent, qui sont débordés, n'ont pas toujours. Ce serait donc l'injonction d'être un bon parent impossible à tenir, résultant en burn out parentaux. Cela pourrait déboucher sur un effet contreproductif : choisir en son âme et conscience de le faire et disposer d'alternatives pour le faire, c'est une chose, mais qu'on donne ça comme injonction en diabolisant les écrans se révèle contre-productif. Vous voyez un aspect positif dans les jeux vidéo... Il est important de le mettre aussi en valeur. En fait, de nouveau, si l'on ne fait que diaboliser les jeux vidéo, entre parents et enfants, il n'y aura pas de compréhension. Les enfants vont jouer en cachette, et puis il n'y a pas de point de rencontre. De récentes études montrent qu'il y a des risques d' addiction, 3% d'addiction, on y joue trop, 97% des enfants de 10 à 12 ans jouent aux jeux vidéo au moins une heure par jour. C'est beaucoup, mais en même temps, on constate une augmentation des capacités d'attention, des réflexes 'oeil main'. On observe également une grande flexibilité mentale: on doit trouver des solutions, inventer, travailler en équipe, accepter l'échec, ce qui permet vraiment d'être beaucoup plus flexible. Or, la flexibilité mentale, c'est l'atout qu'on peut développer pour avancer dans la vie, qui nous permet de nous sortir d'une impasse, de trouver des alternatives, de retrouver de l'espoir. Les jeux multijoueurs permettent de développer des stratégies de groupe, ce qui se révèle utile lorsqu'ensuite on doit travailler en équipe. C'est accepter l'erreur et ne pas se décourager: aux jeux vidéo, on affronte 120 'game over' avant de passer au niveau suivant. Cela confère beaucoup de flexibilité et de capacité à accepter l'erreur. Et donc, c'est à un point tel que des recruteurs valorisent les gamers. Un phénomène dont il faut tenir compte est celui de l'épuisement de la volonté... Notre cerveau possède une capacité limitée, il a besoin de se reposer. Raison pour laquelle on dort: notre organisme et notre cerveau ont besoin de se reposer parce qu'on se fatigue. Et notre cerveau a tendance à être paresseux, pour tenter de se préserver. Lorsqu'on essaie de mettre en place un changement à force de volonté, on s'épuise. C'est ce que l'on observe dans le cas d'un régime. Si l'on tente de se détoxifier ou d'utiliser moins les écrans sans comprendre, par sa simple volonté, du fait que celle-ci est semblable à un muscle qui s'épuise, en fin de journée, on n'en a plus et on craque. Le but de ce livre est de fournir des clés de compréhension pour s'armer, pour comprendre et pour pouvoir beaucoup plus facilement activer son cortex préfrontal, de faire appel à la compréhension plutôt qu'à la seule volonté. Intégrer des stratégies permet de trouver un juste équilibre. Les écrans ont un effet à la fois physique et mental ?Les seules conséquences qui soient démontrées, ce sont celles sur la qualité et la quantité de sommeil. Le sommeil, c'est la vie. Moins de sommeil et de moindre qualité résultent en des troubles de la concentration, de la dépression, de l'anxiété, du diabète, une augmentation du poids et des maladies cardiovasculaires. Trop de sédentarité, parce que l'on ne parvient pas à se déconnecter, associé à la malbouffe, résulte en de l'obésité. Par contre, vous dites qu'au niveau mental, il n'y a rien de certifié... Non, c'est beaucoup plus subtil. Mais associé à d'autres facteurs de fragilité et de vulnérabilité, trop d'écrans peut effectivement augmenter l'anxiété et la dépression. Quels conseils donneriez-vous aux médecins confrontés à des patients qu'ils soupçonnent d'aller mal à cause des écrans? Il faut s'autoriser à poser cette question. Les écrans font désormais partie de notre vie. Lorsqu'un patient consulte pour des troubles du sommeil, lui poser la question de l'utilisation des écrans: cette personne n'en est pas toujours consciente et ne pense pas à en parler. Cela doit presque faire partie de l'anamnèse, désormais.