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Le dérapage de l'inflation est tel que les banques centrales, américaine surtout, mais européenne aussi dans la foulée, ont réagi en augmentant leur taux de base de manière spectaculaire: +0,75% le 8 septembre pour la Banque centrale européenne (BCE), du jamais vu! D'ordinaire en effet, une modification de ce taux se limite à 0,25%, éventuellement 0,50%, quitte à ce qu'elle se répète. Il est vrai qu'outre-Atlantique, la banque centrale américaine, la Fed, avait frappé un pareil coup à deux reprises déjà... et qu'elle en frappa un troisième, toujours de 0,75%, deux semaines après la BCE. Dans un tel contexte, il n'est guère étonnant que les taux à long terme, ceux que l'on observe sur le marché obligataire, aient parallèlement pris le mors aux dents. Avec pour conséquence une dramatique chute des cours des obligations: au niveau mondial, elles ont perdu 20% de leur valeur depuis le début de l'année, autant que les bourses. Différence: en bourse, ce n'est que la énième fois au cours du demi-siècle écoulé. Pour le marché obligataire, c'est le pire scénario depuis quelque 70 ans! Au point que ces soldes commencent à susciter l'intérêt... Si les cours des obligations existantes ont subi un pareil krach, c'est donc parce que les taux ont grimpé et que leur rendement a dû s'aligner à la hausse, via la baisse des cours. Cela signifie par définition que ces obligations sont aujourd'hui beaucoup plus attrayantes, tout comme celles nouvellement émises. Où en est-on? Aux États-Unis, le rendement des obligations d'état à dix ans, période de temps communément assimilée au long terme, affiche près de 4% depuis la fin septembre, au plus haut depuis le début 2008. Il vient de quelque 1,5% à peine voici un an. Envol spectaculaire, donc. De son côté, l'obligation d'État allemande à dix ans, appelée Bund et prise pour mesure de la zone euro, affiche 2,2 à 2,3% ces dernières semaines. Elle était affublée d'un rendement... négatif voici un an, et ceci encore jusqu'à fin janvier dernier. L'envol est donc tout aussi important de ce côté-ci de l'Atlantique, mais plus spectaculaire encore puisqu'on est passé du rouge au vert. Et qu'en est-il des obligations de l'État belge? Toujours à dix ans, elles flirtent avec la barre des 3% depuis quelques semaines, au plus haut en dix années, venant de 0,2% à peine voilà un an. Elles avaient même légèrement viré au rouge, une dernière fois, au début décembre de cette même année 2021. C'est vraiment tous azimuts que la hausse des rendements obligataires a de quoi frapper l'imagination. Et nourrir l'appétit des investisseurs? À la mi-septembre, une étude du groupe AXA posait la question: quelle stratégie obligataire adopter face à la hausse de l'inflation? Considérant que son pic n'était pas encore atteint en Europe (ce qui s'est vérifié), et surtout que la décrue risque de n'être que lente, voire que l'inflation se maintienne au-dessus de ses moyennes historiques, l'étude juge intéressantes les obligations indexées sur l'inflation, du moins de maturité courte. Pour rappel, leur valeur est indexée sur l'inflation et, par conséquent aussi l'intérêt annuel. Cette opinion n'est pas partagée par tous les professionnels, loin s'en faut. Beaucoup considèrent ainsi qu'il est tout simplement trop tard: maintenant que l'inflation est là, le prix de ces obligations en tient compte. Il fallait acheter avant que cette inflation se concrétise. Qui a raison? En réalité, les deux opinions ne sont pas complètement opposées. Selon AXA, le cours de ces obligations anticipe toujours une inflation assez "temporaire". Or, comme signalé plus haut, l'assureur l'estime plus durable. Autre son de cloche: à la mi-octobre, une étude de la banque suisse Pictet, très réputée en gestion d'actifs et de patrimoines, était sous-titrée de manière non équivoque: "Avec un ciel toujours sombre sur l'économie, on peut tabler sur de nouvelles baisses des actions. Les obligations commencent cependant à sembler intéressantes." On comprend: "Les rendements obligataires mondiaux sont à leur plus haut niveau depuis la mi-2011." Ce ne sont pas les obligations d'État de la zone euro, mais les bons du Trésor américain qui ont les faveurs des auteurs de l'étude. Ils ont perdu 17% de leur valeur depuis le début de l'année, au point d'offrir aujourd'hui un rendement de l'ordre de 4%. "Nous pensons que cela offre une opportunité attrayante", expliquent-ils, "(car) c'est bien au-dessus de leur juste valeur, que nous estimons à 3,2%. Cela tient compte (...) de nos prévisions d'inflation à long terme et de l'affaiblissement de la dynamique de croissance de l'économie à court terme." D'où cette affirmation: "Les bons du Trésor sont source de valeur. Gageons qu'ils trouveront un poids croissant dans le portefeuille des fonds et sicav axés sur le rendement." Belle profession de foi en faveur, non des obligations en général, mais de la dette de l'État américain! Bien qu'en termes moins dithyrambiques, cette opinion soit partagée par Vincent Juvyns, stratégiste chez JP Morgan. Les taux n'étant quand même pas encore astronomiques, et c'est un euphémisme, pourquoi ne pas se tourner vers le high yield, ces obligations à haut rendement émises par des entreprises de qualité moyenne et non supérieure? Le moment s'y prête semble-t-il, car ces obligations ont vu leur rendement fuser récemment. Comme le fait remarquer une toute récente note de la banque Degroof, le supplément de rendement offert par ces actifs, par rapport à celui des emprunts d'État, est passé en 13 mois de 2,7 à 6%. Ces obligations présentent clairement un risque supérieur, d'où cette compensation. Mais de quelle ampleur est ce risque? L'agence financière américaine Standard & Poors a calculé que les émetteurs d'obligations spéculatives présentaient 90 fois plus de défaut que les entreprises de bonne qualité. Cela semble énorme mais, en réalité, au niveau européen, l'agence s'attend à ce que le taux de défaut grimpe de 1% environ en juin dernier à 3% en juin 2023. Ce n'est pas encore monstrueux et le risque est certainement acceptable dans un fonds au portefeuille bien diversifié.