Les formulations effervescentes ne sont pas anodines, il convient d'être particulièrement prudent chez les patients qui suivent un régime hyposodé strict. C'est ce qu'a rappelé Camille Bertrand lors du symposium du CBIP sur les actualités pharmacothérapeutiques.
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En Belgique, la majorité (51%) des spécialités effervescentes disponibles sont des antidouleurs et des anti-inflammatoires. Le reste est composé de vitamines et minéraux (40%), de mucolytiques et expectorants (5%) et d'un laxatif. "J'attire votre attention sur le Dafalgan®: il faut savoir que dans un seul comprimé effervescent de 1 g, il y a plus de 500 mg de sodium, ce qui correspond environ à 1,4 g de sel. On peut facilement imaginer la quantité de sodium ou de sel ingéré si un patient prend par exemple 3 g de Dafalgan® effervescent par jour, de manière chronique. En sachant que les recommandations nutritionnelles belges proposent de réduire la quantité de sel à environ 5 g par jour, ce patient atteint presque cette quantité-là rien qu'avec son Dafalgan® effervescent", insiste Camille Bertrand, pharmacienne et rédactrice au CBIP. "Pour parler des avantages des formes effervescentes, il faut aborder la pharmacocinétique", ajoute-t-elle. "La biodisponibilité, c'est la fraction de la dose administrée qui va atteindre la circulation générale, et la vitesse à laquelle elle le fait. Elle est caractérisée par trois paramètres: la concentration plasmatique maximum en substance (Cmax), le temps pour l'atteindre (Tmax) et l'aire sous la courbe (concentration/temps), qui donne une idée de la quantité globale dans la circulation générale. Très peu d'études ont examiné les avantages des formes effervescentes et, malheureusement, elles sont souvent de mauvaise qualité."Une étude randomisée chez 20 volontaires sains [1] a comparé le taux d'absorption entre les formes effervescente et classique de paracétamol 1 g. Résultat? Dans le groupe effervescent, le temps pour atteindre la concentration maximale était plus court (environ 18 minutes en moins) que dans le groupe classique. La Cmax était aussi plus élevée, de même que l'aire sous la courbe. "Il faut interpréter ces résultats avec prudence", met en garde Camille Bertrand, en insistant sur les limites de cette étude. "L'aire sous la courbe ne va que de 0 à 3 heures, or la forme effervescente agit un peu plus vite et atteint plus vite sa Cmax, mais elle va aussi diminuer plus rapidement. En revanche, les comprimés classiques atteindront la Cmax plus lentement, mais leur action diminuera aussi plus lentement. Si l'aire sous la courbe allait de 0 à 4 heures, elle serait peut-être plus importante dans le groupe des comprimés classiques... Autres limitations: cette étude ne compte que 20 sujets dont on ne connaît pas les caractéristiques de base, et elle a été sponsorisée."Une autre étude [2] randomisée en double aveugle, placebo contrôlée, a comparé le temps pour obtenir l'analgésie après prise de paracétamol (1 g) sous forme effervescente ou classique, en cas de douleur dentaire postchirurgicale. "À nouveau, il y a environ 15 minutes de différence entre les deux formes. Si on s'intéresse au temps avant que le patient ne redemande un médicament, il est de 2h07 dans le groupe effervescent et de 2h41 dans le groupe classique. Ceci confirme notre hypothèse selon laquelle la forme effervescente agit un petit peu plus vite mais pas aussi longtemps que le comprimé classique."À côté de l'efficacité plus précoce, le format effervescent a d'autres avantages bien connus, comme le goût, un moindre risque d'overdose aiguë (grande quantité d'eau nécessaire pour dissoudre 6-8 comprimés) et il est plus facile à utiliser en cas de troubles de la déglutition. Pour évoquer les risques associés aux formes effervescentes, la pharmacienne s'est intéressée à deux études. La première [3] a déterminé si la prise de médicaments effervescents contenant du sodium était associée à une augmentation significative des risques d'événements cardiovasculaires indésirables par rapport aux formulations standards de ces mêmes médicaments. "Cette étude a montré que le risque était plus élevé chez les patients à qui l'on avait prescrit des formulations effervescentes, et que ces événements étaient principalement dus à un risque accru d'hypertension et d'AVC. Néanmoins, il y a certaines limitations: c'est une étude observationnelle, on ne peut pas exclure des variables confondantes (apport en sodium...)", souligne encore Camille Bertrand. Dans leurs conclusions, les auteurs indiquent que "les formulations contenant du sodium doivent être prescrites avec prudence, et seulement si les avantages perçus l'emportent sur les risques. Et il faut surveiller ces patients étroitement pour détecter l'apparition d'une hypertension."La seconde étude citée [4] a comparé des sujets (60 à 90 ans) souffrant d'hypertension avec des sujets qui n'en souffraient pas. Dans chaque groupe, les patients ont soit initié du paracétamol effervescent, soit du paracétamol classique. Ils ont été suivis pendant un an entre janvier 2000 et décembre 2017. Le critère primaire comprenait l'incidence des maladies cardiovasculaires et la mortalité toutes causes. Résultats? Dans les deux groupes, on a observé une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire, et de la mortalité toutes causes chez les patients qui avaient pris des préparations riches en sodium. "En conclusion, chez tous les patients, et particulièrement chez ceux qui souffrent d'hypertension, il est préférable d'éviter les médicaments riches en sodium, surtout lorsqu'ils sont pris plusieurs fois par jour, tous les jours ou sur une longue période. Enfin, chez les patients qui suivent un régime hyposodé strict, les formes effervescentes doivent être évitées. Celles-ci agissent peut-être plus rapidement, mais est-ce réellement intéressant par rapport au risque? Surtout quand on sait que si la douleur est soulagée un peu plus vite, elle revient aussi plus vite", s'interroge Camille Bertrand.