...

Le Dr Busquine est certainement un très proche contemporain du Dr Busine. C'est lui le narrateur. L'histoire commence lors de la chute de sa maman dans l'appartement qu'elle occupe dans le sud de Bruxelles. Approchant des 70 ans, le Dr Busquine a une vision quelque peu critique et amère du métier hospitalier, mais non pas de son métier de gynécologue obstétricien, pour lequel il conserve un regard nostalgique. Il en déplore les coups-bas, les jalousies, la soif des jeunes loups et l'évolution mercantile des relations entre médecins et patients. Une critique du système également où sa mère, placée dans un service de gériatrie, ne peut y rester que dix jours "qu'importe son état de santé". Il doit la placer en maison de repos. Cet évènement l'oblige à faire vider l'appartement de sa maman et lui fait expérimenter "le fameux grand rapt des affaires familiales qu'on appelle un vide- grenier". S'il se réserve un bronze nommé David, il ramène chez lui des albums photos et des archives familiales, toutes relatives au Congo. Le début d'une saga où les branches progressistes, catholiques ou nationalistes de sa famille donneront l'occasion d'aborder la plus grande épopée industrielle qu'ait connue le Royaume. Le tout, sous la plume d'un narrateur dont les relations entre ses personnages pourraient se résumer à la rencontre entre le capitaliste américain Stanley et le progressiste Dr Livingstone, aux sources du Nil: les prémices de l'histoire coloniale belge. A bien des égards, le récit d'Alain Busine fait penser à l'oeuvre magistrale de Céline: Voyage au bout de la nuit. Dans ce best-seller, Céline permet à son personnage, le Dr Louis Destouches, de faire un portrait au vitriol de l'entre-guerres. Dans Lily, raconte-moi..., Alain Busine donne la parole à Paul-Emile Busquine, son contemporain, mais aussi à ses grands-parents maternels. Son grand-père ne fut pas médecin de guerre, dans les colonies françaises ou dans une banlieue parisienne. Il fut l'instituteur devenu soldat après trois ans dans les tranchées, comme brancardier. Une guerre d'usure où les lettres de sa compagne féministe furent le soutien moral inégalable du poilu et de ses camarades d'infortune. Un miraculé qui cultivera un hédonisme certain dont fut bercé l'enfance de sa fille Lily. Tout comme Céline, Busine jalonne son récit de mots en patois. Tout comme Céline, il critique ces affairistes à l'intellectualité molle préférant la voix du puissant à la rencontre du constat. Tout comme Céline, il raconte les odeurs. Celles-là mêmes qui sont les premières à nous revenir lorsqu'on évoque un lieu. Qu'elles proviennent des effluves de la natalité, d'un service gériatrique, de vieux papiers ou tout simplement d'une maison. Ces odeurs chez Busine seront tantôt mangue tombée au sol, tantôt bestiales. Les rares subtilités provenant des femmes enveloppées des parfums de Grasse. Le récit de Busine nous plonge, dans ses débuts, dans une famille bourgeoise embrigadée dans les pensées de son temps: on aime le modernisme, on s'en félicite mais on s'oppose aux idées progressistes qui en découlent. Si ses grands-parents se rencontrèrent au musée de Tervuren, ses lointains aïeuls rencontrèrent tout d'abord la colonie dans les livres comptables. Chez ces Borains devenus Bruxellois pour se rapprocher des gens "qui avaient des yards", on sent le catholicisme royaliste de la toute fin du 19e siècle. Le Dr Busine y raconte souvent avec subtilité et parfois avec engagement comment via des livres comptables ils arrivèrent au Congo par phases successives. On y découvre un aïeul sanguinaire tombé amoureux dingue d'une adolescente offerte par les Pères blancs. Il fut suivi par un parent critiquant ces méthodes, mises en lumière par le rapport de 1905 au Roi-Souverain, mais dont les intérêts financiers relativisèrent fortement les déchets (noms donnés aux pertes indigènes importantes du temps de l'Union minière, NDLR). Le tout, à grandes effluves de whisky, sous les barzas, ces pergolas sises aux maisons et qui donnaient idéalement sur une rivière. Des fumoirs d'où on pouvait admirer des lueurs clupéiformes sous le silence tout relatif des nuits congolaises. Ce ne serait pas rendre hommage à ce magnifique récit, qui mériterait cent fois de rencontrer un éditeur de renom, si on ne saluait pas le travail de recherche qui anime ce roman. Car si Busquine a une Grandsire comme aïeule, une vie congolaise et de petits souverains en toile de fond, il n'empêche que ce travail d'autocritique familiale est relativement unique. Alain Busine nous décrit avec force détails les maisons familiales ou encore les lieux et les personnalités rencontrés. Au fur et à mesure du récit, on s'amuse à vérifier chaque passage, tant ils remettent en lumière la réalité coloniale, les pavés du Grand-Hornu ou les tags bruxellois, adresses faisant foi. Une région dans laquelle se trouve le parc Duden ou le parc de Forest. Une zone verte connue de tous et léguée à Léopold II par le négociant de dentelles allemand Duden pour en faire un parc public qui devait porter son nom. Un lieu où la statue du prédécesseur souterrain d'Annie Cordy se fit voler sa statue commémorative, il y a deux ans, et qui s'observe désormais dans les bâtiments de l'administration forestoise. Vivement la suite! Lily, raconte-moi.... Terres brûlées et colonies amères, ce 1er tome, publié en autoédition, est actuellement disponible sur Amazon.fr en format livre et e.book ou sur commande auprès de l' auteur.