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Le journal du Médecin : L'OMS était-elle préparée à une pandémie ?Hans Kluge : L'OMS était aussi prête qu'elle pouvait l'être. C'était la première fois que nous étions confrontés à un SARS-CoV-2 doté d'un tel potentiel pandémique. Cela a soulevé de nombreuses questions. Étant d'un naturel optimiste, je commence par les aspects positifs. L'OMS dispose d'un instrument important, le 'Global Influenza Surveillance and Response System', qui partage des millions de séquences génomiques permettant la fabrication de vaccins. Nous oublions parfois que nous sommes parvenus à contrôler la pandémie. Bien sûr, beaucoup trop de gens sont décédés. Mais comparez cette pandémie à la grippe espagnole... Rien qu'en Europe, les vaccins ont sauvé 1,4 million de vies. En l'absence d'un traité sur les pandémies, les tensions entre responsabilité nationale et sécurité internationale demeurent. Je comprends. Imaginez que plusieurs maisons soient en feu, laquelle allez-vous éteindre en premier ? La vôtre, évidemment. En Europe, avec l'achat conjoint de vaccins, cela s'est très bien passé. Mais si on examine la situation plus globalement - je discute souvent avec des collègues africains -, elle laisse un goût amer... Même en Europe, tout ne s'est pas déroulé sans accroc. Il suffit de penser aux masques que la France n'a pas transmis à la Belgique. Le monde n'était manifestement pas prêt à gérer cette pandémie. Le fait que la pandémie a commencé en Chine et que la transmission d'informations n'a pas été optimale au début a-t-il joué un rôle ?Il y a beaucoup à dire à ce propos, mais commençons sur une note positive : les autorités chinoises ont rapidement diffusé les séquences génomiques. Sans cela, il ne nous aurait pas été possible de mettre au point des vaccins aussi vite. On se concentre sur la transparence quant à l'origine du virus - je le comprends. En fait, elle a été rapide. Je reconnais qu'on aurait sans doute pu mieux l'expliquer, l'OMS comme les autres. Pour le moment, on dit souvent que l'OMS tente de porter atteinte à la souveraineté nationale avec son traité sur les pandémies. C'est faux. L'OMS n'a aucun pouvoir réel, seulement un " soft power " par le biais de ses recommandations. Nous devons compter sur la bonne volonté des pays. Revenons à la transparence. À un moment donné, l'Afrique du Sud et le Botswana ont annoncé qu'ils étaient confrontés à une nouvelle mutation. Que s'est-il passé ? L'Europe a immédiatement fermé ses frontières avec ces pays. Dorénavant, ils y réfléchiront à deux fois avant de faire preuve de transparence. On comprend encore trop peu qu'il est nécessaire d'adopter le principe du 'Security for all, by all'. La thématique est encore plus actuelle vu ce qui se passe aux États-Unis.En quoi consiste le traité sur les pandémies ?L'idée est de mettre en place une structure globale de gestion pandémique. Les négociations entrent dans leur phase ultime et seront normalement conclues en mai lors de l'assemblée de l'OMS. L'objectif est de partager les agents pathogènes en toute transparence. Ceux qui le font devront ensuite avoir accès aux vaccins. Les droits de propriété intellectuelle constituent une question épineuse, avec laquelle l'Occident a souvent du mal à composer. Un second volet est " One Health ", qui lie la santé humaine, animale et environnementale. C'est logique, puisque nous savons que la prochaine pandémie risque d'être à nouveau une zoonose. Reste à voir qui va payer. Certainement pas l'Amérique, puisqu'elle ne participe plus aux discussions finales.A posteriori, l'OMS a-t-elle bien géré la pandémie ? Quels sont les points à améliorer ?Cela n'a peut-être pas été très visible, mais l'OMS a rapidement diffusé des directives. En avril 2020, elle a lancé le mécanisme Covax pour la distribution de deux milliards de vaccins. Nous nous sommes appuyés sur l'évidence scientifique, telle qu'elle se présentait jour après jour, pour formuler nos directives. Mon expérience chez MSF m'a été utile. Avons-nous commis des fautes ? Quel pays peut affirmer n'en avoir commis aucune ? Nous n'avons peut-être pas suffisamment expliqué qu'il s'agissait d'un virus totalement nouveau et que des personnes asymptomatiques pouvaient le transmettre, par exemple. Parfois, nous avons dû faire fi de l'approche scientifique et formuler des directives avant cette évidence. Nous ne pouvions pas faire autrement. Nous avons donc parfois dû revenir sur certaines décisions et directives, donnant à la population l'impression que nous ne savions que faire. Le Danemark a réglé ce problème en reconnaissant parfois ne pas savoir lors de ses conférences de presse quotidiennes. Cette clarté a été appréciée et a suscité la confiance.La population ne s'est pas toujours préoccupée du risque de tomber malade ou de mourir. Les gens se sont plutôt inquiétés de savoir si leurs enfants pourraient aller à l'école, s'ils pourraient conserver leur emploi. Nous avons sous-estimé les questions non médicales qui tracassaient les gens. La communication des pouvoirs publics aurait dû être plus large. Autre leçon à retenir : il faut faire appel à des messagers qui jouissent de la confiance de la population ou à certaines franges. La Grèce a constaté que la disposition à se faire vacciner des personnes âgées habitant en zone rurale ou insulaire posait problème. Le gouvernement a incité les prêtres orthodoxes à diffuser le message. Dans des nations comme la Belgique et le Danemark, les médecins généralistes endossent le rôle de personnes de confiance. Actuellement, on entend souvent dire que certaines mesures étaient exagérées. À juste titre ?J'ai travaillé cinq ans au Myanmar. Il était tout à fait normal là-bas de porter un masque pendant une crise sanitaire. C'est le cas dans toute l'Asie. L'Europe n'y était pas habituée. Je suppose qu'il y aura moins de discussions lors d'une prochaine crise. Les confinements étaient-ils trop sévères ? Les hôpitaux n'étaient pas prêts quand la pandémie a éclaté en Europe. Rappelez-vous les images des hôpitaux de Bergame. Les gouvernements se sont appuyés sur le principe " Better safe than sorry ". Imaginez que le covid-19 ait été aussi contagieux que la rougeole et aussi meurtrier qu'Ebola. Le début de la pandémie s'accompagnait de beaucoup d'incertitudes. La science n'a pas pu suivre la vitesse de mutation du virus.Qu'aurait pu mieux faire l'OMS ?L'OMS a décrété le 'Public Health Emergency of International Concern' en mai 2020. Elle aurait pu le faire plus tôt. Dans le passé, des pays ont parfois mal réagi quand l'OMS annonçait une situation d'urgence sans qu'aucune épidémie ne s'ensuive. C'est ce qui explique notre réserve. Dorénavant, quand un virus à potentiel pandémique émerge, l'OMS déclarera plus rapidement l'état d'urgence. Nous aurions aussi dû mieux gérer la lutte contre les fake news. Les prestataires de soins jouissent d'une large confiance dans la plupart des pays, donnons-leur la parole pour invalider les fake news. Nous devons les employer comme des influenceurs sur les réseaux sociaux. Nous devons toucher les jeunes via des canaux comme Instagram. L'OMS agit à ce niveau via l'initiative 'Youth for Health'.L'OMS a-t-elle pris d'autres mesures afin de gérer différemment une future pandémie ?L'OMS aide les pays à mettre au point des plans de préparation à de nouvelles épidémies. Même en Europe, certains pays ne disposaient pas de plan. Chaque nation devrait en avoir un, solide. 30 des 53 nations européennes, dont la Belgique, ont bien avancé. Par ailleurs, selon une étude de l'OCDE, la Belgique ne s'est pas si mal tirée d'affaire, notre pays a trouvé un équilibre délicat. Pedro Falcon mérite nos félicitations.L'an dernier, l'OMS Europe a approuvé l''European Preparedness 2.0 Strategy', un plan qui englobe les pandémies et d'autres menaces, comme les vagues de canicule ou les inondations de plus en plus fréquentes et graves. La résilience régionale et la solidarité interrégionale constituent les pierres angulaires de cette approche. J'ai mis sur pied le 'Pan-European Network for Disease Control', qui doit garantir une unité. Pendant la pandémie, un pays imposait le port du masque en avion et l'autre pas. Ce n'est évidemment pas le meilleur moyen de gagner la confiance des gens.Nous avons sous-estimé l'effet de la pandémie sur la santé mentale. Pour lui offrir l'attention requise, j'ai fondé la 'Pan-European Mental Health Coalition'. À la demande de la Commission, une étude est en cours sur la santé mentale des soignants. C'est aussi une grande leçon de la pandémie : il faut soutenir le personnel médical. On oublie parfois qu'il est sous pression.Quels aspects pouvons-nous encore améliorer ?L'égalité en matière de vaccination. Il ne faut pas être naïf. Un politicien est élu par son électorat et agit en conséquence. Dans un pays comme la Norvège, où l'égalité et l'universalité constituent des valeurs essentielles, le ministre de la Santé publique m'a confié que le ministre des Finances n'accepterait pas l'envoi massif de vaccins en Afrique. Nous vivons dans un monde qui n'est en fait qu'un grand village. Les maladies infectieuses ne connaissent pas de frontières.De nouvelles pandémies de telle envergure peuvent-elles survenir dans un avenir proche ?Je n'ai pas de boule de cristal, mais le délai entre les épidémies se raccourcit. Il ne s'écoulera pas cent ans avant une nouvelle pandémie. Le changement climatique joue aussi un rôle. Le plus dramatique est que nous connaissons parfaitement les premières victimes d'une nouvelle pandémie : les plus jeunes et les plus âgés, et les malades chroniques. Soit les personnes les plus vulnérables.