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Le journal du Médecin: Les délégations de tâches infirmières proposées par le ministre et son groupe de travail, c'est tout de même positif, non? Dr Catherine Fonck: Je comprends la volonté d'organiser une "cascade" et donc des délégations. Mais il faut bien voir quel est l'impact de cette cascade. On manque de médecins, donc on renvoie des actes vers les infirmières. Mais les infirmières sont encore plus en pénurie que les médecins. Donc on les subdivise, mais sans que leur nombre n'augmente nécessairement. Parallèlement, on délègue certaines de leurs missions vers les aides-soignants... Pourtant, on nous a dit préalablement qu'il n'y avait pas de pénurie. Qu'il suffisait de compenser avec des étudiants, des chômeurs et des pensionnés... Il y a urgence vitale au niveau des soignants et on ne met toujours pas le paquet sur la formation des médecins et des infirmiers pour en avoir suffisamment et les maintenir sur le marché du travail vis-à-vis de leur engagement professionnel. Il y a urgence vitale. Je pense aux technologues en radiothérapie et en radiologie. La situation s'aggrave sur le terrain. Avec un impact direct sur les patients. Cette cascade va-t-elle engranger des résultats à court terme? La réponse est non. Est-ce un plan d'attractivité vital pour un système à bout de souffle? La réponse est non. Je ne vois pas de solutions dans un terme court par rapport à ce fameux projet de loi de Vandenbroucke. Votre critique centrale porte sur l'assistant en soins infirmiers. Que "lui" reprochez-vous concrètement? On rajoute des couches avec "l'infirmier de base" côté néerlandophone et "l'assistant infirmier" côté francophone. Il y a les aides-soignants auxquels on va rajouter des actes. Il est intéressant d'avoir des infirmières en pratique avancée, des infirmiers chercheurs, en soins généraux, etc. Mais que vont devenir les infirmiers brevetés? Les assistants en soins infirmiers (côté francophone), on ne sait pas du tout comment ils se situent par rapport à l'infirmière brevetée. C'est un flou total. Parfois, il est autonome, parfois il ne l'est pas. Il aura une pratique autonome pour les "situations moins complexes". Mais ces situations complexes ne font référence à rien de connu. Cela va être interprété en fonction de quoi? L'autonomie se mesure-t-elle par rapport à la gravité de l'état du patient? Aux pathologies complexes? Si c'est une situation complexe, le médecin doit-il tenir le rôle de l'infirmier responsable en soins généraux? La loi est d'un flou total. Dans l'organisation sur le terrain, il faut savoir ce qu'il en est pour les remplacements, la garde de nuit... Le plan de soins infirmiers, qui le fait, concerté avec le médecin ou pas? Quid des maisons de repos et de soins? À domicile? C'est un vrai souci. La qualité des soins est liée à la formation. Il y a des incohérences dans le texte: l'assistant en soins infirmiers peut faire une évaluation initiale donc il devrait être en mesure de déterminer ce qui est complexe ou pas complexe. Et je le répète: je ne comprends toujours pas pourquoi la Flandre l'appelle "infirmier de base" et côté francophone il devient "assistant en soins infirmiers". À Bruxelles, vous aurez pour une même formation, des jeunes qui porteront un titre différent. Un infirmier de base est surtout infirmier au premier chef. Comment va-t-on les intégrer dans les équipes? En termes d'attractivité, c'est aussi différent. Il faut choisir la même dénomination en français et en néerlandais (je ne sais pas quelle est la meilleure). La réflexion n'est pas encore achevée? L'opposition sera-t-elle écoutée? Ou bien les dés sont jetés? J'ai amené des questions... pas juste pour faire de l'opposition. Ces questions, je les tiens du terrain, des MR(S), des soins à domicile, des écoles d'infirmières, des soignants, des équipes. Le projet de loi en est au stade de la commission de la Chambre. Le ministre Vandenbroucke a l'habitude de faire passer ses projets vite-vite au Parlement. On peut voter non mais la majorité n'a rien à dire et l'opposition n'a pas le droit de trop réfléchir. Qu'on supprime le Parlement! Quid de l'attractivité? Il faut un plan d'attractivité des métiers de soins. Il faut rehausser en urgence le nombre de numéros Inami. Et de manière extrêmement rapide. J'ai déposé une résolution en ce sens. Elle reprend un plan qui apporte des réponses immédiates pour relever l'attractivité du métier d'infirmière, stopper l'hémorragie, fidéliser les infirmières qui ont un visa. D'abord le ministre a nié la pénurie et les problèmes d'attractivité. Il a lancé "45.000" groupes de travail. Il répète que tout cela va concerner la prochaine législature. Déjà avant le covid-19, on a alerté le ministre. Les associations ont déposé des propositions responsables. On a perdu quatre ans! La réponse du ministre concerne de nouveau les futurs diplômés. D'ici là, il n'y a rien de concret sur le terrain. Le système est à bout et sous pression maximale. On a une pression sans commune mesure avec ce qu'on a connu. Dans les hôpitaux, un certain nombre de lits sont fermés. Les MRS ce n'est pas mieux. À domicile, non plus. Il y a urgence. C'est irresponsable pour les patients et les soignants d'attendre encore...