Rien qu'à Liège, où les quartiers d'Angleur et de Chênée ont été sévèrement touchés, on dénombre 13.780 sinistrés et deux décès. 11 écoles ont été détruites, et plus de 40.000 m3 de déchets ont été évacués. Les médecins n'ont bien entendu pas été épargnés.
Rendez-vous à Angleur pour s'en rendre compte. Si la situation n'a pas été aussi catastrophique qu'à Pepinster par exemple, ce quartier populaire de Liège, d'une dizaine de milliers d'habitants, ressemblait à un bidonville quelques jours après les intempéries, avec des scènes surréalistes qui dépassent ce que les images de télévision ont pu retranscrire. Difficile d'y accéder en voiture, d'abord, à moins d'apporter des vivres pour les habitants qui n'ont plus accès aux boulangeries, aux épiceries, aux supermarchés qui ont dû fermer leurs portes. Ensuite, ce qui marque surtout, ce sont les gens affairés à vider leur maison, c'est voir des enfants jouer au milieu de tonnes de gravats, sentir cette odeur d'eau usée mêlée au gasoil qui n'a disparu qu'après plusieurs jours, voire semaines, et entendre le balai incessant des ambulances, pompiers, policiers, puis des camions de déblayage...Tous des ingrédients qui renvoient à des scènes que l'on imaginait plutôt dans des pays du tiers monde, et pas au bas de nos portes. Et pourtant.
Heureusement, de telles situations montrent à quel point l'homme peut faire preuve de résilience. Rapidement, la solidarité a pris le pas, et aujourd'hui, si les stigmates des inondations sont encore présents, la vie reprend peu à peu son cours.
Témoignages de médecins
Difficile de témoigner pour certains. Car ils ont tout perdu, jusqu'à leur activité, de manière temporaire. "Je ne souhaite pas faire étalage de mon cas personnel, mais c'était évidemment une catastrophe. Heureusement, tout cela n'est que matériel, la vie continue", explique un médecin généraliste angleurois. D'autres avaient la chance d'avoir un étage où la pratique peut désormais continuer. Il n'empêche que tous ont perdu des choses irremplaçables: affaires personnelles et données patients, entre autres.
Le ressenti des médecins est donc évidemment intimement lié à l'ampleur des dégâts qu'ils ont subi. Le Dr Anouar Kahack, généraliste également actif à Angleur, a lui ressenti ces inondations comme un coup de boost. "C'est paradoxal. J'étais très fatigué. Et je ne cherchais qu'à dormir. L'arrivée des inondations m'a donné un coup de fouet. Il a fallu monter, descendre à répétition. Une vingtaine de personnes sont venues nous prêter main forte. Et puis j'étais spectateur de toutes les pertes. Mais j'ai vite relativisé. Ce n'est pas grave, ce n'est que du matériel. Tout peut se remplacer."
Il n'empêche que l'homme a été affecté par ces événements. "Je n'ai pas souffert personnellement, et mon cabinet, surélevé, est sauf. Par contre, les pertes matérielles sont assez conséquentes. Ce qui m'a le plus affecté, c'est la perte de dossiers d'environ 1.000 patients, de mes syllabus, et de mes livres", raconte le Dr Kahack. L'informatisation des pratiques, heureusement, a permis de sauver une partie des données patients, mais, on le sait depuis des années, des couacs sont parfois présents. Et le Dr Kahack en a subi les frais. "J'ai une partie des données patients sur mon ordinateur. Le problème, c'est que le programme que j'utilisais n'est plus d'actualité. Et je n'ai pas pu transférer facilement les données patients sur mon nouveau programme. Désormais, c'est trop tard."
"Je fais de la médecine de contrôle, et j'ai également perdu des notes relatives à mon activité", embraye le médecin . "Tout comme ma correspondance, et mes photos. Ce sont des choses que l'on ne peut pas remplacer. Le frigo, la chaudière, l'adoucisseur, ça se remplace. Même les livres, d'autant plus que la médecine évolue. Mais les affaires plus personnelles ne se remplacent pas."
Sur l'insistance de son fils, Anouar Kahack a pris quelques jours de vacances. "Je suis parti au Maroc, trois jours, entre autres pour prendre du recul sur la situation et me reposer. Malheureusement, à mon retour, mes lombalgies sont vites revenues", explique avec humour le médecin généraliste. Et cela se comprend, puisque désormais, il faut gérer l'après catastrophe. " Je vois des gens qui souffrent énormément de cet événement, pour différentes raisons. Parce qu'il y a des pertes matérielles, parce qu'il y a eu une impossibilité de communiquer avec les siens. Un cas m'est resté en tête, celui d'une jeune cadre trentenaire qui n'a pas pu communiquer avec sa mère ni avec sa grand-mère pendant 48 heures." Au-delà des patients, il faut bien entendu gérer son propre cas. "J'aurais pu rester plus longtemps au Maroc, mais avec les problèmes liés aux inondations, il faut contacter les assurances, les différents corps de métiers, etc."
Reste que le médecin préfère voir le verre à moitié plein, plutôt qu'à moitié vide. "Il y avait une très belle solidarité à Angleur. Et ces événements ont provoqué un rapprochement humain évident entre les gens. J'ai des voisins avec lesquels on se disait à peine bonjour. Aujourd'hui, on a sympathisé, on est proches. Et au-delà de la solidarité, il faut dire que l'organisation était impeccable. Je tire mon chapeau à tous les intervenants: la police, la protection civile, toutes les associations, les assurances, les corps de métier...Tout le monde est débordé, mais chacun fait ce qu'il peut." Avant de conclure, sur le ton de l'humour. "Il faudrait presque qu'il y ait plus d'événements de ce type qui force les gens à se rapprocher et à développer des contacts humains, ce qui manquent parfois."
Succès des appels aux dons
La solidarité a été présente à tous les niveaux. On l'a vu, pendant le mois qui s'est écoulé: de nombreuses initiatives ont fleuri au sein des associations de médecins. Pas uniquement au bénéfice de leurs confrères ou leurs patients d'ailleurs. L'Association des médecins généralistes de l'est francophone (Agef) a par exemple organisé une récolte d'albums à destination des enfants sinistrés de la vallée de la Vesdre. Et c'est toute la Belgique francophone qui a finalement participé à l'opération par le biais des différents centres de vaccination. Ces dons seront prochainement acheminés vers les écoles et bibliothèques qui ont tout perdu suite aux inondations et une partie sera directement distribuée lors d'une animation pour les enfants des zones sinistrées.
L'entraide est également passée par les plateformes collaboratives. "En collaboration avec les OST liégeoises et la Fédération des maisons médicales, nous avons créé un appel aux soignants pour soutenir les Liégeois et les centres de crise", explique le Dr Kévin Boulanger, fondateur du projet WeLinkCare, plateforme collaborative qui met en réseau les acteurs de soins. "La capsule vidéo que nous avons diffusée a visiblement eu un super impact pour mobiliser les soignants à se rendre bénévolement dans les postes médicaux avancés. A priori, l'urgence médicale est maintenant derrière nous, alors que les besoins en soutien psychosociaux sont, eux, encore importants."
À plus grande échelle, l'Absym et la FAGW avaient également lancé un appel à l'aide pour les médecins sinistrés. Les résultats sont également probants. "Cela a bien fonctionné, nous avons actuellement 54 donateurs qui viennent des quatre coins de la Belgique, mais j'ai encore reçu deux offres ce week-end donc j'imagine que ça peut encore arriver", confiait Frédérique Viroux, secrétaire de l'Absym, la semaine dernière. "Il nous faut maintenant trouver un local du côté de Vaux-sous-Chèvremont (Chaudfontaine) pour tout stocker et un transporteur au grand coeur pour aller tout récupérer après quoi le Dr Herry se chargera de la gestion et de la redistribution auprès des médecins sinistrés."
Même succès du côté de la FAGW, où plus de 60 médecins-donateurs ont répondu à l'appel. Reste que la FAGW s'attend à une seconde vague de demandes.