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Ce ne sont pas les accusations au pénal, ni au civil qui ont miné Laurent Carlier. C'est le manque de soutien de l'institution. " Laurent était serein par rapport à cette accusation ", confie le Dr Jasmine Nguyen. " Jusqu'à ce que la direction lui tombe dessus. "" Ma première suspension m'a été signifiée par mail le 26 juin, 30 minutes après une réunion avec la direction et le service juridique, durant laquelle ils m'avaient assuré de leur soutien ", indique Laurent Carlier.Le lendemain, c'est un médecin effondré qui est convoqué par le Comité de gestion de l'hôpital. Sur le chemin qui mène à son audition, il croise une cinquantaine de membres du personnel qui forment une haie d'honneur. " Le Dr Carlier avait tout le soutien du personnel de l'hôpital ", témoigne le Dr Jean-Philippe Hermanne, consulté pour avis dans l'euthanasie du patient. Il accompagne le Dr Carlier lors de cette audition. " Il y avait beaucoup d'émotion. Le sentiment que j'ai eu lors de cette audition ? Il n'y avait pas d'agressivité, plutôt de la compréhension, mais également la volonté farouche de protéger l'image de l'institution. Certains voulaient révoquer le Dr Carlier purement et simplement. Heureusement, d'autres ont pris position pour mettre le holà. "Effectivement, le médecin n'est pas révoqué, mais suspendu, dès le lendemain, une première fois, puis une deuxième, et une troisième fois. Avant d'être finalement révoqué fin septembre 2019.Jasmine Nguyen, suspectée de complicité d'assassinat, n'est quant à elle pas suspendue de ses fonctions.Sans avoir commis d'erreur médicale ni morale, le Dr Laurent Carlier, 23 ans d'ancienneté dans l'institution, s'est fait suspendre à trois reprises avant d'être finalement révoqué. " Je me suis senti massacré par les gestionnaires, par le directeur médical, et par le Conseil médical ", témoigne Laurent Carlier.Ces sanctions ne couvrent que le poste de chef de service des soins palliatifs, et non celui d'urgentiste, casquette qu'endosse le Dr Carlier depuis plus de 20 ans au CHR. " On témoignait par là notre confiance ", justifie Gilles Mouyard, président du CHRSM. " À aucun moment, en faisant cette proposition, nous voulions être machiavéliques ou avoir des arrière-pensées. Nous avons essayé de faire les choses le mieux possible. "" Cela prouve que les décisions sont aberrantes ", juge au contraire Jean-Philippe Hermanne. " Soit on suspend le médecin pour toutes ses activités soit on ne le suspend pas. " Une décision qui a encore moins de sens si l'on s'attarde sur le cas du Dr Nguyen, qui n'a pas été suspendue. " C'est simple, je suis la seule hématologue du CHR ", interprète l'intéressée. " Le service aurait été bien mis à mal s'ils m'avaient suspendue. J'ai demandé à plusieurs reprises aux gestionnaires pourquoi ils ne m'avaient pas suspendue. Je n'ai pas eu de réponse. " Gilles Mouyard n'était apparemment pas au courant de ces faits. " De ce que je connais du dossier répressif, à aucun moment le nom du Dr Nguyen n'a été cité avec un risque d'inculpation. "" Le Dr Carlier a fait son job. Le patient était satisfait. Il n'y a donc pas d'erreur médicale ", souligne Jean-Philippe Hermanne. " Mais d'un point de vue juridique, alors que le médecin respecte la loi euthanasie, il ne respecte pas une ordonnance. J'estime cependant que ce problème est et doit rester entre le Dr Carlier et le juge. Le médecin n'a donc pas fait d'erreur par rapport à l'institution. La réaction de l'hôpital face à ce médecin qui a fait son travail, on ne l'a pas comprise. "" Ils ont pris peur, ils ont agi dans la panique et l'ignorance ", expriment tous les médecins interrogés. " Tout au début du dossier, lors du premier comité de gestion, j'ai entendu des mots très durs concernant le Dr Carlier. Alors que l'on ne connaissait pas le dossier. Des mots comme 'assassin'. Cela fait peur quand on entend des mots tels que ceux-là. Et après coup, je me dis qu'on n'a pas si mal géré la situation ", se défend Gilles Mouyard. " Parce qu'il a fallu temporiser, parce que cela n'a pas duré trop longtemps. Les choses se sont ensuite déroulées normalement, avec la réintégration au final. "Le CA n'est en tout cas pas le seul à blâmer. La direction médicale et le Conseil médical aurait pu, aurait dû défendre le médecin. " Durant toute cette période, alors que le Conseil médical était censé me soutenir, du moins m'entendre, je n'ai pas eu le moindre contact ", affirme le Dr Carlier. Gilles Mouyard réfute. " Il n'y a jamais eu de notre côté, à aucun moment, une volonté de ne pas avoir de contact avec lui. "L'affaire a pris une telle ampleur au sein du corps médical qu'elle a été débattue lors de l'Assemblée générale des médecins du 20 novembre 2019. " L'AG a connu une participation massive et était extrêmement tendue ", témoigne le Dr Hermanne, présent ce soir-là. " Les médecins étaient nerveux et le Conseil médical était dans ses petits souliers. Il y a eu une prise de bec entre l'ensemble des médecins et le Conseil médical sur l'affaire Carlier. Les trois derniers présidents du Conseil médical étaient d'ailleurs présents dans l'assemblée des médecins et ont, chacun à leur tour, commenté la situation difficile du Dr Carlier. " La pression fût telle qu'un vote immédiat est décidé concernant la révocation du Dr Carlier. Alors que les votes se font généralement sous enveloppe, c'est exceptionnellement à main levée que " l'unanimité des médecins s'est prononcée en faveur de sa réintégration ".Il faudra cependant attendre le 11 février 2020 pour que le CA décide de réintégrer " à titre provisoire " le Dr Carlier. Mais le mal est fait. " Je n'ai plus aucune envie de revenir. L'attitude des dirigeants a eu un impact considérable sur ma santé, ma vie de famille et mon avenir ", confie Laurent Carlier.Il n'est pas le seul à avoir pris position. Jean-Philippe Hermanne a également décidé de démissionner de son poste de chef du service d'oncologie du CHR. Pour l'homme, cet événement est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. En 23 ans de carrière dans l'institution, il n'avait jamais connu pareille situation." Aurais-je pratiqué l'euthanasie si j'avais su les conséquences ? Oui. Je ne regrette pas mon geste. Le patient doit rester au centre des préoccupations ", conclut Laurent Carlier. " Je trouve qu'il est important de se battre. Si on ne le fait pas, on s'expose à des situations où des tiers peuvent s'opposer à tout acte médical. Ce qu'il faut défendre, c'est la liberté thérapeutique du médecin et celle du patient, ainsi que le bien-être et le confort de chaque personne. "