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Formé en tant que médecin à Damas, Moustapha Hamdi a poursuivi sa formation chirurgicale en Belgique, où il exerce la chirurgie mammaire depuis plus de 30 ans. Fort de sa renommée, il a créé une fondation active en Belgique et et au Moyen-Orient dans son pays, la Syrie. Il évoque pour nous la libération de la dictature sanguinaire des Assad, la situation sanitaire et un avenir qu'il envisage désormais meilleur pour son pays et ses habitants. Le journal du Médecin: Quand vous êtes-vous rendu en Syrie pour la dernière fois? Pr Moustapha Hamdi: J'avais l'habitude, depuis l'arrêt de la guerre en 2017, de rentrer en Syrie tous les trois ou quatre mois car j'y ai encore de la famille: ma mère et les enfants de mon frère, mort dans une explosion durant la guerre. Je gère encore la vie de ses enfants, de sa femme et de ma mère. Avec la fin du conflit, je me suis également impliqué dans le traitement de cas résultant de la guerre, mais qui se sont espacés au fil du temps. Mon dernier séjour remonte à avril 2024, la situation est devenue instable du fait de la guerre à Gaza: Israël a commencé à bombarder à la fois le Liban et la Syrie, de manière tout à fait aléatoire dans ce deuxième cas. Mais depuis la chute du régime d'Assad, j'ai planifié mon prochain séjour, pour avril. Que savez-vous de la situation médicale actuelle? Je n'avais jamais imaginé voir la chute du régime de mon vivant, un peu comme les habitants de l'ex-bloc communiste à l'époque. L'allégresse a suivi, avant le choc de constater que les dirigeants étaient partis avec l'argent destiné au budget de l'État. Un État qui bénéficiait d'une aide minimale du fait des sanctions internationales, et basé uniquement sur la corruption. Face aux sanctions, le régime Assad a réagi en développant l'industrie du Captagon, stupéfiant dont la Syrie est devenue le producteur numéro un au niveau mondial après la guerre, et qui a permis au régime de s'enrichir. Lorsque Assad a fui en Russie, c'est lesté de deux milliards de dollars et 250 millions de dollars en or. Aujourd'hui, tout se trouve paralysé: les salaires ne sont pas payés, les hôpitaux liés au gouvernement sont quasiment à l'arrêt. Le nouveau régime de al-Charaa, devenu président, a remplacé ces services a minima, imaginé un "plan Marshall" dans l'urgence, tout en commençant le grand nettoyage au niveau de la corruption.30 % des fonctions dans les hôpitaux liés au gouvernement se sont révélées factices : des personnes rétribuées pour rester chez elles... Il s'agit de diminuer les charges des hôpitaux pour lesquels il n'y pas de budget. Je sais, d'après les témoignages de mes proches avec qui je suis en contact très régulièrement, que les choses évoluent favorablement sur ce plan. Mais le problème, évidemment, c'est le fonctionnement à long terme dans un pays privé de ressources financières à cause de sanctions qui ne sont pas levées. Impossible de rebâtir le pays, d'entretenir les structures de base et de redéployer les services médicaux. J'ai été heureux d'apprendre que récemment, l'Union européenne a décidé de lever la plupart des sanctions pour un an et de réévaluer ensuite la situation. Contrairement aux Américains qui les maintiennent encore pour cinq ans, alors qu'ils pompent le pétrole syrien dans la région du Nord tenue par les Kurdes. Sans la levée des sanctions, la Syrie se trouve dans une impasse. Au niveau médical, l'aide vient-elle des pays du Golfe, actuellement? Majoritairement du Qatar, de l'Arabie saoudite et de la Turquie. Le fait que le nouveau régime soit d'obédience islamiste, selon nos critères, a-t-il un impact au niveau de la santé? Non, le danger n'est pas un régime islamiste en soi: le danger, ce sont les radicaux. C'est évidemment une menace pour le peuple de ce pays, qui a suffisamment souffert. La Syrie n'a jamais été radicalisée. Au regard de l'histoire, le pays est connu pour être une halte importante sur la Route de la soie, un pays de commerçants. Et là où il y a du commerce, les religions jouent un rôle moins important. Hélas, lorsque l'économie est au plus mal et l'injustice criante, au sein d'un régime brutal, la population se tourne vers la religion. Mais les Syriens restent ouverts dans leur mentalité, dans un pays où les minorités religieuses sont nombreuses, notamment des chrétiens qui n'ont pas fui le pays comme dans d'autres pays du Moyen-Orient et sont des citoyens à part entière. Alors c'est vrai, durant cette période transitoire, le sentiment religieux musulman ira dans un sens un peu plus islamique, mais ne s'en prendra jamais aux minorités. Après n'importe quelle guerre, il y a des crises sociales très importantes, de la prostitution, du banditisme, du vandalisme du fait du manque d'argent. Avoir une doctrine religieuse temporairement un peu plus rigoriste en dehors des lois étatiques ne me choque pas. Mais ce n'est pas pour autant qu'on doit imposer une façon de vivre aux personnes faisant partie des minorités religieuses. Cette tendance islamiste n'a donc aucune influence sur la façon dont on soigne les gens? Non, mais sans arrêt des sanctions, je ne vois pas d'avenir. Pour bâtir un centre, pour développer des services, il faut une autorisation officielle. Lever les sanctions est indispensable pour disposer des transferts d'argent nécessaires. Autant les structures médicales en Syrie sont en ruines, autant le corps médical est remarquable, l'un des meilleurs au Proche-Orient, voire au monde. En Allemagne, actuellement, 4.000 médecins syriens sont à l 'oeuvre: s'ils quittent ce pays, il connaîtra une crise sanitaire. En Syrie, avoir un fils médecin ou ingénieur est une fierté. Les médecins syriens ont une excellente réputation, et pour partie, travaillent dans le pays du Golfe. On trouve des médecins syriens partout, lesquels jouissent d'une excellente réputation et souvent d'une situation aisée et envoient de l'argent au pays ou soutiennent le système de santé déficient. C'est le cas de la fondation que j'ai créée, mais c'est une initiative modeste. Vu le nombre d'ingénieurs, de businessmen, d'économistes et d'architectes que compte la Syrie pourrait devenir une 'Singapour' du Moyen-Orient au regard de ses ressources humaines. Existe-t-il dès lors une diaspora médicale syrienne ?Oui, et elle est très puissante. Avec la fondation, vous agissiez en Syrie durant le régime Assad pour aider la population. Vous allez poursuivre ce travail, même si les sanctions ne sont pas levées? Évidemment, mais cela reste limité vu qu'on ne peut pas effectuer de transfert de fonds: une fois les sanctions levées, on pourra agir à plus large échelle, pas seulement aller donner un séminaire ou traiter une ou deux patientes. Pour l'instant, votre rôle est un peu celui du 'software'. Si les sanctions étaient levées, on pourrait travailler au niveau du 'hardware', c'est-à-dire au niveau des établissements, des structures, des médicaments? Imaginez la différence entre remplir sa valise avec quelques instruments pour réaliser une ou deux opérations, ou être capable de bâtir un centre de trois étages où la patiente peut à la fois effectuer une mammographie, recevoir un diagnostic, subir une opération avec tout l'accompagnement que cela suppose comme la formation et les services médicaux spécifiques. Il serait possible non seulement d'impliquer des médecins, mais également des hommes d'affaires qui apporteraient leur contribution à de tels projets. Y a-t-il une communauté en Syrie qui fournit plus de médecins que d'autres? Comme en Europe, les médecins sont majoritairement issus des classes moyennes. Les parents n'étaient pas riches, mais étaient en mesure de donner une bonne éducation à leurs enfants. En Syrie existait une énorme classe moyenne, et la pauvreté y était inexistante. Malheureusement, du fait de la guerre, on estime que 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Je suis convaincu qu'il y aura un rééquilibrage. Des médecins réputés sont originaires de petits villages sunnites. S'il y a une seule chose que Assad père a bien faite, c'est d'avoir obligé tout le monde à aller à l'école - l'analphabétisme était quasi inexistant. D'autant que les études, y compris universitaires, étaient gratuites: un peu comme à Cuba, dont les médecins sont aussi réputés. Des médecins ont-ils été complices des exactions commises dans les sinistres prisons du régime? Malheureusement oui, certains étaient même impliqués dans la torture ; certains ont pratiqué le trafic d'organes. Une guerre est toujours sale et parmi les médecins, comme dans le cas d'autres professions, certains vendent leur âme pour de l'argent et du pouvoir...